Le marchandage psychiatrique : faire parler le patient

Pourquoi arracher de force une parole à un patient ? Serait-ce afin de prétendre à une pseudo-thérapeutique ou plutôt pour pacifier l'angoisse du soignant ?

1 JANV. 2017 · Lecture : min.
Le marchandage psychiatrique : faire parler le patient

Si le névrosé, comme le disait Freud, est un artiste raté, beaucoup des patients enrôlés sous le drapeau des psychoses sont des Artaud, des Baudelaire, des Kafka ratés. En désaccord incessant avec les médiocres possibilités que leur offre la réalité, et aspirant à une vie autre, glorieuse, aventureuse, amoureuse, il leur manque adaptabilité et en vivotent la caricature dégradée dans la stabilisation de leur pathologie. Anges déchus du paradis de la liberté idéalisée, ils sont aussi les inaptes de cette armée de réserve qu'est, selon Marx, le sous-prolétariat.

Le patient épinglé « psychotique » est un pauvre patient. Dans le système institutionnel, tout le monde veut lui arracher sa vérité, car rien n'est plus insupportable pour les soignants qu'un patient qui reste muet. L'écoute et les encouragements peuvent glisser sur le versant du sadisme, et s'installe alors un cannibalisme de l'oreille tout comme nous connaissons un cannibalisme de l'œil ou de la bouche, qui assouvit sa faim de la narration des souffrances d'autrui. Parfois, c'est à une hémorragie discursive que l'on peut assister, d'une part probablement afin de satisfaire l'appétit vorace des soignants, un semblant de discours au sens Lacanien du terme, qui ne dit rien du sujet, mais une logorrhée pour remplir le creux auriculaire, d'autre part pour lutter contre le risque de se vider d'une identité si fragile, racontée encore et encore, où le sujet s'épuise.

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On entend bien, à la lecture des dossiers, cette double demande faite au patient dit psychotique : celle de raconter ses symptômes et son histoire, et une autre, celle d' « aller bien », de positiver. Cette façon de semer symboliquement des morceaux de lui-même renforce sa déstructuration mentale et la dépossession d'une subjectivité vacillante. Or, nous savons bien que la parole, pour être véritable parole est faite d'un double mouvement temporel : celui de l'ouverture et celui de la fermeture. Cela questionne vraiment la fonction du psychologue clinicien, comme nous le dit Patrick Declerck, dans son ouvrage Les naufragés :

« La parole n'accède véritablement à sa dimension propre que lorsqu'elle se trouve ponctuée de silences, c'est à dire de rétention. Il importe que le sujet reste maître de sa distribution. L'alternative est prolapsus et diarrhée verbale. Trop souvent, l'idéologie dominante du soin, dans une sorte de caricature soldée de la psychanalyse, met en avant l'importance de la parole sans s'interroger ni sur son sens, ni sur son intérêt. Car enfin que dire ? À qui ? Et pour quoi faire ? La parole, hors de tout cadre, de tout sens, de tout projet, et de toute écoute compétente, non seulement n'a pas de valeur en soi, mais de plus, se révèle une obligation intrusive, humiliante, épuisante et désespérante pour ceux qui y sont contraints. Mais qu'en serait-il de l'ennui des soignants s'ils n'avaient que leur travail à faire ? » 1

1 Patrick Declerck. Les naufragés, Avec les clochards de Paris. Terre humaine poche, 2009, Paris, p. 296.

Photos : Shutterstock

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Écrit par

Françoise Hautot-Boutonnat

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