La période du "non" : que faire quand l'enfant s'oppose ?

Comprendre et "faire face" à la période du "non".

10 AVRIL 2014 · Dernière modification: 11 AVRIL 2014 · Lecture : min.
La période du "non" : que faire quand l'enfant s'oppose ?
L’un des premiers sujets de conversation, quand des parents de jeunes enfants se rencontrent, c’est les dernières colères, bêtises ou bouderies de leurs petits. Parce qu’à certaines périodes de leur vie, s’opposer devient un enjeu indispensable, et, de ce fait…récurrent dans leur quotidien.

Pourquoi l’enfant s’oppose-t-il ?

Durant les premiers mois de sa vie, le bébé ne se sent pas différencié de sa mère et perçoit la satisfaction de ses besoins (nourriture, soins) comme une suffisance intrinsèque.Mais, petit à petit, il comprend qu’il est différent de sa mère, ce qui lui offre la possibilité d’évoluer selon son propre désir, de faire valoir ses propres intentions, en même temps que cette différence lui impose dépendance à l’autre et fragilité, en un mot : impuissance. Dès ce moment, l’enfant va tendre à développer son individualité par sa mobilité, sa dextérité, son langage…

Vers 18 mois, le petit enfant a su acquérir de nombreuses compétences pour le développement de son indépendance : il se déplace, attrape et manipule toute sorte d’objets, s’exprime de mieux en mieux chaque jour. Il se sent (légitimement) capable de réaliser énormément de choses seul, et son appétit de découverte et d’expérimentation est considérable. Paradoxalement, plus il se sent capable de (presque) tout, plus on balise son univers d’interdits et de contraintes (pour sa sécurité). Et l’enfant rencontre la frustration.

Bientôt, il entre dans « le stade anal » (c’est-à-dire, dans une période lors de laquelle ses préoccupations, ses centres de plaisir et de déplaisir, concernent essentiellement la région anale) : l’apprentissage de la propreté renforce le pouvoir qu’il peut prendre sur autrui, puisqu’on attend de lui quelque chose qu’on ne peut pas l’obliger à faire, ni faire à sa place ; c’est lui seul qui décide de « faire », ou pas. L’enjeu dépasse donc rapidement la « simple » question de la propreté pour revêtir un aspect relationnel empreint de pouvoirs, pressions et négociations.

L’enfant commence alors à « dire non », parce que c’est un moyen efficace de clamer son indépendance de pensée et de désir, parce qu’il refuse la frustration qui lui est imposée, parce qu’il reprend la prohibition de l’adulte à son compte, et enfin, parce qu’il a besoin de se confronter aux limites de son univers.

Le « non » est ainsi un élément indispensable du développement de l’enfant (R. Spitz en faisait le 3ème et dernier « organisateur » de la vie psychique, garant d’une construction saine de la personnalité).

Le « non » affirme l’individualité de l’enfant, sa confiance dans le fait qu’il est un « sujet » à part entière dont on doit reconnaître la différence : ses désirs et ses pensées ne peuvent pas (ou plus) être calqués sur ceux de sa mère.

L’enfant l’a compris, l’a accepté et le revendique.

Et tout cela est très positif :- sa compréhension témoigne d’une intelligence opérante qui lui a permis d’analyser le décalage entre ses besoins et les réactions maternelles ;- son acceptation nous montre qu’il se sent suffisamment en sécurité pour être un individu « seul » (on dit qu’il a pu « intérioriser » la satisfaction amenée par la réponse de l’adulte à son besoin, c’est-à-dire, développer une confiance dans le fait que le besoin, vécu, quel qu’il soit, comme très inconfortable, va être satisfait, et qu’il va revenir à un état « confortable ») ; - et sa revendication affirme qu’il commence à se « socialiser » : car le fait qu’il s’impose comme un sujet unique l’éloigne de sa mère pour le rapprocher du reste du monde.

Le « non » est l’expression directe du ressenti de la frustration, et, s’il semble raisonnable qu’un enfant (comme tout un chacun d’ailleurs) rechigne à se sentir frustré, il s’agit pourtant d’un obstacle au plaisir, nécessaire et fondateur.

Nous l’avons vu, le bébé, constatant la satisfaction de ses besoins, imagine qu’il est son propre pourvoyeur de satisfaction : il se croit « omnipotent ». Les premières frustrations qu’il va vivre diffèrent seulement la satisfaction (car la mère ne va pas systématiquement répondre au besoin de son bébé dans la seconde) mais sont si inquiétantes pour le bébé qu’il va trouver le moyen de se protéger de cette inquiétude en imaginant un « autre », différent de lui, à qui il va pouvoir en vouloir (M. Klein parlait de « mauvais sein » pour dépeindre la représentation que l’enfant se fait de sa frustration lorsqu’il a faim, et qu’on ne le nourrit pas instantanément). Ce n’est pas encore une différenciation claire des personnes réelles, mais c’en est bien le prélude !

La frustration permet à l’enfant de se définir dans le monde : comme un sujet à part entière, comme un sujet social, qui a besoin des autres pour certaines choses, et comme un sujet doué de désir, de projets, de volonté (si vous n’étiez jamais frustrés, à quoi rêveriez-vous ?)

Le « non » est, pour l’enfant, une manière de se défendre de son ambivalence envers sa mère : car depuis qu’il évolue plus librement, l’enfant, habitué à recevoir de sa mère réassurance, protection et apaisement, se voit subitement poser un cadre, des limites, des contraintes par elle. Ce qui signifie que son premier « objet d’amour », celle vers qui il pouvait se tourner inconditionnellement, peut lui faire défaut, et l’ « agresser » (le terme peut paraître un peu fort, mais du point de vue de l’enfant, dont tous les besoins ont toujours été satisfaits par sa mère, ce refus de satisfaire à son besoin de taper, ou de courir sur la route, est une véritable trahison -« tu n’es pas avec moi donc tu es contre moi », expliquait R. Spitz).

L’enfant va donc chercher à se protéger de cette agression, ou plutôt, de l’anxiété qu’elle occasionne, en mettant en place un « mécanisme de défense » (une adaptation de son psychisme à la réalité extérieure, qui va permettre de le protéger) appelé « identification à l’agresseur ». A. Freud a développé ce concept qui rend compte de la façon dont, pour se protéger d’une agression, l’enfant peut se mettre à la place de l’agresseur, et s’attribuer l’agression. Par ce mécanisme, il cesse d’être un objet, une victime, mais devient sujet, et acteur de ce qui se passe. Dès lors, le danger est amoindri. Et l’enfant, qui aime sa mère, et qui est frustré par elle, peut l’agresser, lui dire « non », afin de conserver sa position d’individu.

Cette identification à l’agresseur va progressivement s’exprimer dans les jeux de l’enfant, qui, en reproduisant les interdictions parentales, va pouvoir peu à peu les intérioriser, et fabriquer son «Surmoi», son sens moral.

Le « non », enfin, est une recherche de structuration du monde interne, et du monde externe de l’enfant, une recherche de limites.

Nous venons de le voir, l’enfant entretient une ambivalence au sujet de sa mère, qui peut l’angoisser beaucoup tant il redoute de perdre cet objet d’amour fondamental. Chaque contrainte imposée lui fait craindre cette perte, mais chaque expérience de contrainte lui démontre aussi la constance de son « objet d’amour ». Une nouvelle angoisse nait alors de l’incertitude de l’enfant quant à la limite à partir de laquelle il perdra l’amour de sa mère. Et le « non » va dès lors pouvoir être utilisé pour éprouver cette limite au sein de laquelle il peut se permettre d’évoluer en toute quiétude.

Par ailleurs, l’enfant ressent parfois de terribles vagues d’agressivité et de violence lorsqu’il est frustré, ce qui est effrayant car il n’est pas encore en mesure de canaliser cette émotion qui le submerge au point de lui faire perdre tout contrôle. Il va alors chercher une limite qui contienne cette émotion ravageuse, et n’hésitera pas à pousser ses parents à bout pour qu’enfin on lui fournisse cette limite, et l’apaisement qui l’accompagne.

On comprend dès lors que cette période du « non » soit à la fois si importante et nécessaire pour l’enfant et si difficile pour ses parents, qui, quelles que soient leurs réponses, auront à affronter régulièrement les colères de leur enfant jusqu’à ce qu’il ait suffisamment pris confiance (en lui et dans les autres) (généralement autour de 4 ans).On comprend aussi la nécessité d’autoriser l’enfant à grandir, gagner en autonomie, et de lui offrir un cadre rassurant au sein duquel il puisse évoluer sans crainte.

Pour autant, que signifient concrètement « autonomie » et « cadre » lorsqu’il s’agit de répondre à un enfant qui crie, pleure, se roule par terre ?Quelles stratégies peuvent-elles être mises en place ?Comment se protéger soi, parent, de l’agressivité d’un petit enfant ?Comment traverser cette étape indispensable sans s’épuiser ?

Comment répondre à l’enfant qui s’oppose ?

Si l’on garde à l’esprit tout l’aspect positif du « non », que nous venons d’évoquer, alors, c’est facile : il suffit de donner à l’enfant des réponses adaptées à sa sécurité et à la vie en société, fermes et régulières (afin de poser des limites claires et repérables), tout en maintenant une ambiance rassurante pour l’enfant (afin que celui-ci se sente « libre » de grandir), et une considération de sa personne comme d’un individu « compétent » (afin de valoriser ses progrès et renforcer sa « confiance »).

Dans la « vraie vie », hélas, les choses ne sont souvent pas si simples !Car les parents sont humains, fragiles, faillibles et même, fatigables… Les réponses « fermes et régulières » sont entachées d’exceptions, l’ambiance rassurante souffrira bien souvent d’un manque de patience du (et c’est bien naturel !) à la fatigue ou aux exigences sociales imposées aux adultes (horaires, obligations de toutes sortes), quant à la compétence du petit individu, elle semble parfois peu vérifiable à l’observation de son comportement…

Il n’existe pas de recette miracle pour sortir de cette période rapidement et sans heurts. Tous les parents connaissent ou connaitront des périodes d’énervement, de fatigue et de lassitude dans l’éducation de leur enfant, particulièrement lorsqu’il s’oppose. Et, lorsque la relation parents-enfant est globalement harmonieuse, ces moments de crispation ne porteront généralement pas à conséquence, à condition, bien sûr, de s’inscrire dans des comportements « raisonnables » (excluant donc les gestes violents, insultes, ou punitions abusives !).

NEANMOINS, QUELQUES REPERES PERMETTENT SOUVENT D’APAISER LES CRISES :

  • Lorsque votre enfant se met en colère, posez-vous systématiquement cette question : pourquoi ce que je lui impose est-il important ?

La réponse vous paraît évidente : alors tenez-bon, et expliquez-lui pourquoi. Si, en revanche, la réponse ne vous paraît pas très claire, peut-être que vous pouvez « lâcher du lest » et ne pas créer de tension là où ça n’est pas nécessaire.Par exemple, lorsque vous demandez à votre enfant de vous donner la main (et qu’il le refuse), si vous vous apprêtez à traverser une rue, ou que le trottoir est très étroit, il en va de sa sécurité, ce n’est pas discutable. En revanche, sur une voie (piétonne) suffisamment large, pourquoi ne pas lui faire confiance ?

  • Laissez-lui le choix : lorsque votre enfant refuse ce que vous lui imposez, c’est parce que vous niez son individualité, sa capacité à déterminer seul ce qui est bon pour lui.

Proposez-lui de choisir entre deux possibilités (que VOUS aurez choisies) : il sera fier de décider et sentira que vous lui faîtes confiance.Par exemple, s’il refuse de mettre son pull vert que vous lui aviez préparé, demandez-lui s’il préfère mettre le pull vert ou le pull rouge.

  • Ne vous préoccupez pas du regard des autres : les enfants comprennent très rapidement qu’une grosse colère au supermarché ou dans la rue lui sera plus profitable à la faveur des gros yeux ou réflexions que ne manqueront pas de faire quelques passants au « mauvais » parent qui « ne sait pas s’y prendre ». La culpabilité, la honte, le sentiment d’infériorité que ces intrusions dans votre éducation provoquent, ne vous permettent pas de réfléchir, ni de vous faire confiance.

N’oubliez pas que ces passants intrusifs, bien souvent, voulaient seulement aider (même si personne ne le leur a demandé), n’oubliez pas qu’ils ne connaissent rien à votre enfant ni à votre relation et n’ont donc pas de jugement à poser, n’oubliez pas que vous êtes le parent, et de ce fait, c’est vous, le spécialiste de votre enfant ; c’est vous qui connaissez la réponse à lui apporter (et cela reste vrai même si votre enfant continue de hurler ou de se rouler par terre).

  • Quand vous répondez à votre enfant, et que vous êtes en colère, vous aussi, ne lui parlez pas de lui. Parlez de vous.

Par exemple, privilégiez « je suis furieux(se) » à « tu es insupportable ». En disant « je suis furieux », vous posez une limite, en indiquant à votre enfant là où votre capacité à le comprendre et à l’entendre se perd. C’est constructif. Tandis que « tu es insupportable » renforce la crainte de perdre votre amour et le culpabilise de ne pas être à la hauteur de ce que vous attendez.

Cependant, inutile de vous flageller parce que vous avez tenu ce type de propos à votre enfant une fois ou l’autre. Il ne va pas être traumatisé ! Mais pensez-y une prochaine fois, et la crise pourrait bien s’écourter…

  • Faîtes appel à un tiers !

Lorsque la relation semble embourbée dans les conflits, passez la main (à l’autre parent, à un proche, à la crèche ou à l’école…) Economisez-vous, il est inutile d’attendre d’être à bout, et certains enfants sont redoutables dans ces « bras de fer » relationnels. Quand rien ne paraît pouvoir désamorcer la colère, un nouvel interlocuteur pourra souvent faire passer l’enfant à autre chose, tout simplement parce qu’il permet à l’enfant d’entrer en relation avec quelqu’un de « neutre » (ce qui ne veut absolument pas dire que l’enfant aime davantage cette tierce personne…)

Dans la majorité des cas, les colères s’estomperont peu à peu autour de 4 ans. Toutefois, si votre enfant vous semble « trop » en colère, avec des crises plusieurs fois par jour, ou si ces colères perdurent, ou encore si son comportement lors des colères paraît dangereux (pour lui ou pour les autres), n’hésitez pas à évoquer la situation avec un professionnel.

Photos : Shutterstock

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Écrit par

Charlotte Doé De Maindreville

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