Addiction et Sevrage : Quand la cigarette vient panser une blessure d’enfance

Derrière la cigarette, il y a parfois, une vieille douleur. Le sevrage réveille une absence plus profonde qu’on ne l’imagine.

19 JUIN 2025 · Lecture : min.
Addiction et Sevrage

Arrêter de fumer ne relève pas seulement de la volonté ou d'une bonne résolution. Sous l'acte banal de « griller une clope » se cache souvent une mémoire affective profonde, une blessure ancienne liée aux premières séparations de l'enfance. En psychanalyse, le symptôme de l'addiction devient un langage, un indice d'un manque originaire non symbolisé. Et si, au lieu de lutter contre la cigarette, on écoutait ce qu'elle cherche à nous dire ?

Le sevrage : une expérience fondatrice et ambivalente

Dans la psychanalyse freudienne, le sevrage est bien plus qu'un passage alimentaire : c'est une expérience psychique fondatrice. Lorsqu'il parle de l'état anaclitique, Freud décrit cette phase où le nourrisson est totalement dépendant de la mère, ne distinguant pas encore entre son moi et le monde extérieur. Le sevrage vient rompre cette illusion de toute-puissance et cette fusion.

Cette première expérience de perte est donc douloureuse, mais nécessaire à l'individuation. Elle n'est pas anodine : si elle est mal contenue ou trop brutale, elle peut laisser une trace profonde dans l'appareil psychique. À ce moment-là, ce n'est pas simplement le sein ou le biberon qui est retiré : c'est l'expérience rassurante de l'autre primordial.

P.C. Racamier parle de "séduction narcissique originaire" : une relation fusionnelle, marquée par une fascination mutuelle entre la mère et l'enfant. Cette phase, bien qu'essentielle, doit être temporaire. Si elle perdure ou s'entrelace à une forme d'emprise, elle peut engendrer des difficultés à s'autonomiser affectivement. Le sujet, devenu adulte, risque de rechercher toute sa vie une fusion perdue, un objet qui le comble.

Fumer : une mise en bouche du manque

La cigarette ne s'inscrit pas seulement dans une habitude ou une pulsion : elle relève de la logique orale. Le fumeur porte à sa bouche un objet qui vient combler, rassurer, structurer son vide interne. En cela, l'acte de fumer peut être lu comme un récit silencieux de la tétée : on cherche dans la fumée un apaisement primaire.

Le besoin de fumer devient ainsi le témoin d'un manque fondamental non symbolisé. Il se situe au niveau de l'expérience corporelle. Le tabac, comme d'autres objets d'addiction, fonctionne comme un objet transitionnel dans le sens winnicottien du terme : il permet de supporter l'absence, de ne pas sombrer dans l'angoisse du vide.

Mais, contrairement à l'objet transitionnel de l'enfant, destiné à être délaissé au profit d'une intériorisation sécurisante, la cigarette persiste. Elle devient indispensable. Elle supplée un étayage interne défaillant. Le Moi ne peut plus penser sans elle. Ce n'est plus une habitude, c'est une extension de soi.

Addictions : du comblement à la compulsion

Ce que fumer révèle, d'une certaine manière, c'est une stratégie de survie psychique. Pour certains, ce comportement remplit un vide intérieur laissé par des pertes précoces, par un sevrage mal accompagné ou par un environnement défaillant. Dans ce cas, le manque n'a pas pu être mis en mots, pensé, contenu. Il est resté à l'état brut, prêt à ressurgir au moindre déclencheur.

Pour Bion, la capacité maternelle à contenir les émotions de l'enfant et à les transformer en pensées est fondamentale. Sans cela, l'enfant n'acquiert pas ce qu'il appelle "l'appareil à penser les pensées". Faute de cette transformation, les affects restent non symbolisés, et les objets extérieurs deviennent des prothèses indispensables.

L'addiction est donc une tentative, mécanique et parfois violente, de réparer quelque chose de non pensable. On ne fume pas par plaisir, mais pour se maintenir. Le symptôme parle. Il dit : « j'ai mal à un endroit où je ne sais pas parler ».

Le sevrage : une nouvelle séparation à accompagner

Arrêter de fumer, dans cette perspective, ne se résume pas à un combat contre soi ou à une victoire de la volonté. C'est un processus profond de séparation, une renonciation symbolique à un objet qui apaisait l'angoisse. Cela revient, inconsciemment, à revivre la douleur de la première perte.

Chaque tentative d'arrêt ravive un noyau ancien de détresse. C'est pourquoi elle peut être accompagnée d'angoisses, de colères, voire de dépression. Il est crucial, dans cette phase, de pouvoir élaborer ce qui se rejoue. Le travail analytique offre un cadre pour contenir cette expérience, pour la penser, pour en faire une parole et non un acte.

Ce qui était jusqu'alors inconscient peut commencer à se dire :

  • Qu'est-ce que je perds vraiment en cessant de fumer ?
  • Qu'est-ce que cette cigarette m'a permis de ne pas ressentir ?
  • Depuis quand ce vide est-il là ?

Reprendre la main sur son histoire psychique

La psychanalyse ne vise pas à supprimer un symptôme, mais à le déchiffrer. L'objectif n'est pas tant de "réussir" à arrêter de fumer que de comprendre ce que fumer est venu symboliquement combler. En remettant du sens sur le geste, le sujet peut reprendre la main sur son histoire, cesser d'en être le jouet répétitif.

Ce chemin passe par une reconnaissance intime : le fumeur ne fume pas par faiblesse, mais pour survivre à une blessure ancienne. C'est en écoutant cette blessure, en la nommant, que le besoin de l'objet peut peu à peu s'atténuer.

Vous n'êtes pas seul(e)

Si vous vous reconnaissez dans ce parcours, sachez que ce que vous vivez a du sens. Ce n'est ni un échec moral ni un défaut de caractère. C'est une stratégie de survie psychique qui peut être accompagnée, écoutée, transformée.

En cabinet ou en ligne, un espace thérapeutique existe pour accueillir ce que vous traversez. Il ne s'agit pas seulement d'éradiquer un comportement, mais de redonner du souffle à votre histoire psychique. Un pas après l'autre, vers une liberté retrouvée.


Bibliographie indicative :

  • Freud, S. (1926). Inhibition, symptôme et angoisse. PUF.
  • Winnicott, D.W. (1953). Jeu et réalité. Gallimard.
  • Bion, W.R. (1962). Aux sources de l'expérience. PUF.
  • Racamier, P.-C. (1992). Le génie des origines. Payot
  • Article « Le Sevrage » publié dans The Writings of M. Klein (1936)

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Écrit par

Céline Durand

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Bibliographie

  • Freud, S. (1926). Inhibition, symptôme et angoisse. PUF.
  • Winnicott, D.W. (1953). Jeu et réalité. Gallimard.
  • Bion, W.R. (1962). Aux sources de l'expérience. PUF.
  • Racamier, P.-C. (1992). Le génie des origines. Payot
  • Article « Le Sevrage » publié dans The Writings of M. Klein (1936)

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