Axe, C(oe)ure et Tango

Ceci est un extrait d'une communication orale et fruit d'une réflexion avec des collègues psychanalystes sur la notion d'AXE de la cure analytique. (Société de Psychanalyse Freudienne 2014).

2 DÉC. 2017 · Lecture : min.
Axe, C(oe)ure et Tango

AXE, C(oe)ure et TANGO

30 juillet 2014

Ceci est un extrait d'une communication orale et fruit d'une réflexion avec des collègues psychanalystes sur la notion d'AXE de la cure analytique. (Société de Psychanalyse Freudienne 2014).

A ceux qui s'intéressent à la psyché, à Eros, à l'âme, au cOEur et au corps... Au TANGO aussi, à la psychanalyse...

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Je vais commencer en évoquant un moment de travail analytique avec un petit patient âgé de 8 ans à l'époque, dont le prénom est magnifique : Aurélien, un prénom fait d'or et de lien.

Quelques semaines avant l'arrêt de sa cure (d'une durée d'un an environ), Aurélien arrive à sa séance, très enthousiaste et enjoué. Cette séance représentera d'ailleurs un basculement dans le travail, par un changement de position dans son énonciation et dans notre lien transférentiel.

Ce jour-là, en se saisissant d'une feuille blanche pour dessiner, il me pose une question. (Je vous la pose aussi !)

- "Est-ce que tu sais ce que ca donne deux points d'interrogations qui se rencontrent ?"

Bien sûr j'ai répondu que je ne savais pas !

Alors, à votre avis, qu'est-ce que ca donne ?

Il dessine la symétrie de deux points d'interrogation, qui se rencontrent oui, et se touchent, face à face, formant un cœur avec un grand vide au centre. Un vide autour duquel ils pourraient danser et tourner d'ailleurs si ils se révélaient des points d'interrogations joueurs, animés par le désir et la curiosité, de se deviner... autour du manque…

Un proverbe populaire dit que « la vérité sort de la bouche des enfants », l'inconscient sort-il de la bouche des enfants ? (titre d'un livre d'une analyste, Elizabeth Leclerc Razavet, un beau témoignage au pas à pas de la pratique, de ses scénarios à rebondissements, ses coups de théâtre, ses relances et ses coupures). Oui, les enfants disent souvent des vérités que les adultes auraient préférés taire ou ne pas entendre.

Quelque fois nous avons bien envie de les entendre ces vérités !

Est-ce que nous pourrions partir de cette image clinique, certes enfantine mais assez symbolique, comme fil conducteur, fil rouge en quelque sorte, pour évoquer l'idée d'un axe? L'axe du cOEur ?

Cette image est pertinente pour ce dont je vais parler ensuite (Tango).

Revenons à notre thème :

L'Axe de la cure (psychanalytique)

C'est un titre qui peut sonner davantage comme une question théorique, un appel à théoriser, avant d'être une question clinique.

Pourquoi ?

Parce que L'Axe de LA Cure (avec un grand L) m'évoque la question de l'universel, l'universalité.

Ce qui est différent d'UN axe d'UNE cure qui évoque davantage le singulier, la singularité d'une cure.

De quel axe parlons nous alors ? L'axe de LA cure ou l'axe d'UNE cure ?

Pouvons nous faire des généralités ? Y-a-t-il autant d'axes que de cures ? Y-a-t-il plusieurs axes dans une seule cure ? Retrouvons nous des invariants ?

Etymologiquement, AXE vient de la géométrie et de l'astronomie : c'est l'idée d'une ligne imaginaire autour de laquelle s'effectue une rotation.

Nous pensons aussi à une ligne réelle ou virtuelle séparant quelque chose en deux parties, souvent symétriques, ou donnant une direction.

De manière générale, c'est l'idée d'une ligne droite qui passe par le centre d'un corps ou de quelque chose, et autour de laquelle ce corps, ce quelque chose, tourne.

En mécanique c'est une pièce servant à faire tourner un objet sur lui-même ou à articuler un assemblage de pièces.

En anatomie, c'est la 3ème vertèbre du cou qui permet de faire pivoter la tête de gauche à droite.

En physique, c'est l'axe de l'aimant, l'axe magnétique.

On pense aussi à l'axe du corps, la colonne vertébrale, L'axe de la terre, L'axe des abscisses et des ordonnées en math, L'axe routier, L'axe des polarités, L'axe d'une pièce de théâtre, un film, un conte : l'intrigue.

Est-ce que l'axe de la cure est équivalent à la visée de la cure ? A la direction de la cure ? Est-ce un vecteur ? Une trajectoire ?

Une traversée ?

Quelque chose qui coupe, qui divise?

Est-ce davantage une position ? Laquelle ?

La position manquante et la place vide tenue par l'analyste ? permettant à l'analysant de faire l'expérience de l'impossible, du manque au centre de la cure comme limite permettant d'entendre son rapport au réel, autrement dit, à ce qui ne va pas pour lui, à son symptôme ?

Où se situe l'axe ?

Est-ce l'axe de l'analyste ? L'axe du patient, de l'analysant ?

L'axe du travail de transformation entre les 2, l'axe du processus analytique ? L'axe du couple analyste analysant ?

Est-ce que cet axe sera le même selon l'analyste et selon l'analysant ? Leur rencontre singulière ? Le moment et le temps de leur rencontre ?

Selon le lieu de travail (privé, institution), l'espace, l'environnement, le contexte ?

Selon le dispositif (fauteuil, divan) ? Selon ce que l'analyste fait du transfert ? Qu'il l'analyse ? Qu'il l'utilise (nous sommes alors davantage du côté de la psychothérapie) ?

Si l'analysant est un enfant, un adolescent, un adulte ? Un homme ? Une femme ? Selon sa psychopathologie si on envisage les choses par là.

Si l'analyste entend l'enfant dans l'adulte, l'adolescent dans l'adulte ?

L'enfant dans l'adolescent, l'adulte dans l'adolescent ?

L'adolescent dans l'enfant, l'adulte dans l'enfant parfois ?

Quand est-il de la notion d'axe dans les différentes langues théoriques de la psychanalyse ? L'envisage-t-on de la même façon avec Freud, Lacan, Ferenczi, Klein, Winnicott, Dolto, Bion, Jung, Green et les autres ?

Heureusement tous n'ont pas tournés autour des mêmes questions, chacun a focalisé sa théorie autour de points différents.

Sur quoi justement un analyste focalise son écoute ? Que cherche-t-il ? Qu'entend-il ? Que n'entend-il pas aussi ?

Dans quelle mesure cette écoute découle de sa propre formation, de son expérience de l'analyse mais aussi de la vie, de son histoire individuelle et collective, de ses références théoriques, de sa filiation analytique ?

Dans quelle mesure aussi, cette écoute découle de son inconscient et de sa manière d'y être connecté et de l'explorer ? De sa liberté psychique et fantasmatique ? Sa sexualité ? Sa capacité d'identification ? Ses limites analytiques ? Sa créativité, sa souplesse, son ouverture à l'inattendu et à l'étrangeté parfois ? Ce qu'il se représente possible dans l'expérience mais aussi dans, par exemple, les rapports entre les sexes, les rapports d'altérité ?

Autour de quoi tourne une cure ?

Le complexe d'OEdipe ? La séparation ? La castration ? L'avènement d'une nouvelle position subjective ?

La traversée de l'angoisse ? du fantasme fondamental ?

La jouissance d'un sujet ?

La capacité d'historicisation ? La capacité dépressive et créative ? La capacité d'être seul ?

A partir de quelle position, de quelle posture mais aussi de quelle expérience permettons-nous un mouvement, une rotation, un pivot, un déplacement, une traversée, un changement de position?

TANGO

Pour penser autrement cette question d'axe, je voulais faire un petit détour par la danse, plus spécialement le TANGO.

Je parle du tango tourné vers l'intérieur, vers l'être, le tango vécu et senti de l'intérieur. Ce tango est différent du tango tourné vers l'extérieur, la maîtrise technique, le paraître, la démonstration.

Parfois, c'est en observant et en faisant, en pratiquant avec son corps, en expérimentant, que l'on sent, que l'on saisit un peu ce que l'on cherche et que l'on intègre un concept, une idée.

C'est étonnant car au niveau symbolique, les origines et la visée des deux disciplines, la psychanalyse et le tango sont très similaires : créer du lien social, se libérer de certaines aliénations réelles et/ou imaginaires, ouvrir un espace de liberté et d'émancipation permettant l'expression de mouvements.

Mouvements psychiques par la parole pour l'une, par le corps pour l'autre.

Dans les deux cas, ils existent des codes, des normes explicites et implicites et un langage spécifique sensés favoriser la rencontre, analytique pour l'une, dansée, pour l'autre, notamment par la retenue et la réserve que ces règles introduisent.

Bien sûr, une séance de psychanalyse n'est pas un tango mais le tango par sa forme artistique, peut être une source d'inspiration par analogie. Ces deux pratiques, en permettant un écart, un décalage, peuvent se nourrir mutuellement.

Le tango et la psychanalyse représentent deux manières différentes et complémentaires de rencontrer l'altérité, l'autre réel, l'autre en soi. La danse a cet avantage que son langage est universel, au-delà des déterminants sociaux, âge, langue, origine, religion, catégorie sociale, idée politique.

Le tango est un univers culturel particulier et intéressant. Il est multigénérationnel, métissé et s'avère un réel espace de réflexion et autour des rapports entre les hommes et les femmes, des rapports entre les générations, la nature de ces rapports et leur évolution aujourd'hui, des places et de l'implication de chacun, des rôles.

C'est un espace publique de jeu, de rencontre, de mise en scène, notamment de la co-création du féminin et du masculin, d'invention, qui permet d'expérimenter des relations en gestation, en devenir et donc incertaines.

D'un côté, l'interdit fondamental du toucher régit les séances d'analyse pour permettre la libération et le déploiement d'une parole. Mettre l'accent sur la parole. Une parole, on l'espère, chaque fois plus authentique et dégagée de ses entraves.

Au tango, c'est l'interdit de la parole qui régit la danse pour permettre une écoute plus sensible, subtile et profonde des corps. Des corps qui tentent de s'apprivoiser, de se connaitre, se reconnaître, de se répondre, de s'épanouir chaque fois plus librement.

Malgré ces interdits, le toucher métaphorique, de la voix et du regard, par exemple, des bruits, du langage et de la musique corporels ne sont pas absents des séances. De la même façon, le langage métaphorique du corps, du regard, du toucher, des respirations, des postures n'est pas non plus absent de la danse. On se parle aussi réellement entre les danses ou en dehors du bal.

Un homme et une femme, deux femmes, deux hommes, ne parlant pas la même langue, dansent en silence peut être pour mieux s'entendre ?

De la même manière que l'on rencontre un analyste pour mieux s'entendre ? Entendre son dire ? Trouver un dire plus juste ? Plus poétique ? Plus harmonieux ? Un dire qui nous plaît ? et ainsi mieux s'entendre avec soi ?

Dans les deux cas, ca passe par un autre.

Dans les deux cas, on sent, on entend, on devine aussi ce qui ne se dit pas, ne s'exprime pas.

Dans les deux cas, on écoute et on accueille une présence, la présence singulière d'un autre, de son corps singulier.

Il se trouve que le tango a ceci en commun avec la psychanalyse : la notion d'Axe y est fondamentale.

Les axes sont présents à divers endroits au tango.

L'axe du guideur, en général, le danseur, l'axe du guidé, en général, la danseuse.

L'axe du couple, la colonne d'air, chaque fois singulière, crée entre les deux danseurs, connectés dans leur abrazo (l'enlacement), plus ou moins ouvert ou fermé, par leur buste et leur cœur (clin d'œil au petit patient du début). Le volume de cette colonne d'air est changeant et représente le baromètre du couple, l'air peut y être très chaud laissant deviner le désir et le plaisir des partenaires ou très froid, lorsque, par exemple, deux personnes dansent par convenance, froide politesse ou pour combler le vide.

Ces trois axes ne sont rien sans la musique qui les attirent, les réunit et leur donne vie.

Le couple s'insère aussi parmi les autres couples de danseurs dans le bal. Tous tournent dans le même sens autour d'un axe central, un vide central. Le couple est à la fois centré sur son axe intérieur et en contact avec les autres centré sur l'axe collectif. Cela crée un jeu de réflexivités très important pour la construction du couple et de la danse.

Les danseurs sont donc connectés et c'est de ce lieu de connexion et grâce au mouvement d'épaules et la respiration de son partenaire que la danseuse ressentira le guidage, les directions, la communication, les impulsions, les demandes du danseur dans la danse. Celui-ci doit savoir ce qu'il veut, avoir un projet, montrer clairement ses intentions.

Une grande qualité du danseur sera de faire passer la musique des oreilles au cœur, le sien puis celui de sa partenaire.

De cet endroit central, le danseur sentira lui aussi, les réactions de la danseuse à son guidage et trouvera, OU PAS, une manière, plus ou moins sensible et fine de s'y ajuster, de relancer ses propositions de mouvements.

En quelque sorte, les partenaires co-écrivent la musique avec leurs corps. C'est de l'improvisation poétique avec les corps. Comme l'autre est fondamentalement imprévisible, cela renforce la nécessité d'une écoute généreuse et d'une réelle présence sensible.

"It takes two to tango". On ne travaille pas un axe de danse seul, les deux axes respectifs des partenaires sont nécessaires pour en créer un troisième autour duquel ils danseront à deux.

La qualité de leur connexion dans la danse est sous tendue par la curiosité, le désir préalable et l'intention d'aller vers l'autre, de le rencontrer en dansant. Les jeux de regard et de séduction préparent cette connexion. L'invitation à danser se fait par le regard.

La richesse des changements de partenaires et des multiples combinaisons de couples est la possibilité de ressentir les nuances dans l'art du guidage, les nuances d'axe, d'espace plus ou moins laissé à l'autre dans son expression, son improvisation, la multitude des styles donnant une infinité de possibles et de créativité.

La capacité des deux partenaires à s'assumer et rester sujets de leurs propres mouvements sur leurs axes respectifs, autonomes, à la fois ancrés et légers, résistants et souples, tout en permettant à l'autre de rester lui-même, est fondamentale au tango. S'assumer pour jouer sa partition tout en restant sans cesse à l'écoute de la position et des mouvements de l'autre.

L'illusion d'unité produite par un couple de danseurs est merveilleuse ; mais en réalité l'unité est une dualité maintenue, assumée.

JULIE LE ROUSSEAU

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Écrit par

Julie Le Rousseau, Psychanalyste

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