Exposition précoce et excessive aux écrans

Un enfant a déjà tellement à découvrir et à développer sans les écrans que les parents ne devraient jamais penser ainsi : nous ne voulons pas « priver » notre enfant d’écrans.

4 FÉVR. 2019 · Lecture : min.
Exposition précoce et excessive aux écrans

La société dans son entierté fonctionne avec des images (via la publicité, le marketing, le commerce…) et les supports de celles-ci, les écrans. Un foyer sur deux dispose en moyenne d'une dizaine d'écrans. Certains jeunes parents laissent jusqu'à cinq écrans perpétuellement allumés dans la même pièce ; la télévision charrie des images inadaptées sur fond de pollution sonore pendant que tel parent joue aux jeux vidéo, en simultané le téléphone est sans cesse sollicité par des messages, et le second parent n'est pas inactif non plus, accaparé par une tablette tactile, son pc portable et son smartphone. Dans cette vision d'une journée familiale rythmée par les écrans, l'enfant est lésé. Même très lourdement pénalisé.

Les écrans et les enfants

L'exposition précoce et excessive aux écrans – véritable fléau contemporain pseudo-éducatif - génère des troubles neurodéveloppementaux chez les tout-petits. La kyrielle d'écrans et la surdose de sonorités et d'images inadéquates auxquelles l'enfant est exposé troublent tous les processus d'apprentissage, de concentration, d'appréhension et de préhension. L'enfant n'apprend plus et ne prend plus les objets qui l'environnent pour, à travers ceux-ci, réaliser quelque chose de lui-même et ainsi accomplir le trajet de réalisation de soi. Il délaisse peu à peu le réel immédiat qui l'entoure pour, mimétiquement, vivre comme ceux qu'ils voient au quotidien, les parents, qui vivent dans les écrans et les images. Les parents pensent, à tort, bien faire en donnant à leurs enfants une tablette tactile pour montrer des images stupéfiantes au lieu de faire appel au langage pour expliquer certaines choses (publicité et marketing se chargent de véhiculer maladivement une symbolique positive et ludique des écrans, au risque de détruire l'intelligence en construction des tout-petits). Ils s'imaginent aussi que le prétendu calme des enfants à table le matin, le midi, au goûter et le soir, assis devant un dessin animé, est une bonne affaire ; l'enfant n'a pourtant même plus le goût de son repas, ne parle plus à table où de grands mécanismes d'apprentissage du langage et de sociabilité sont censés se mettre en place.

L'écran pour l'enfant, c'est d'abord une manière de se représenter le monde en deux dimensions alors que toute son intelligence et sa disposition motrice réclament de s'exercer sur un monde en trois dimensions. Il est évident qu'en regardant des formes et des figures (rond, cercle, carré, triangle…) sur un écran (pc, tablette tactile), l'enfant apprendra bien moins par son corps ce que sont les objets (apprentissage du volume des formes et des figures par le toucher, des choses dans l'espace). Quand, à trois ans, l'enfant joue aux jeux vidéo tous les jours et pire encore les samedis et dimanches, que reste-t-il de ses jouets ?

Les écrans sont hypnotiques et enferment les organes que sont les yeux dans une restriction violente qui finit par supprimer la vue ou, en termes autres, l'intelligence dans la perception. La vue ne se confond pas avec les yeux. Or quand les yeux ne fonctionnent plus comme ils le devraient, l'impact est immédiat sur la vision. La définition proche du dictionnaire la plus simple d'un écran est : ce qui empêche de voir la réalité.

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Une nouvelle réalité éducative ?

La nouvelle réalité éducative qui se profile pour les tout-petits surexposés aux écrans dès deux ans à trois ans n'a pas la consistance d'une belle image : retard de développement du langage, troubles pluriels de la concentration et de l'attention, tendance à l'agitation, aux crises incontrôlables et aux pleurs en journées, grandes difficultés d'endormissement et sommeils agités par des images inadaptées incrustées dans le cerveau, émotions vives et zombification par alternance, baisse colossale de la motricité fine, annihilation de la créativité graphique et de l'imagination, perte des facultés logiques élémentaires ; l'enfant n'a plus envie de sortir et découvrir, et n'a plus d'affection pour les autres, même ses parents. Beaucoup de jeunes parents ne prennent plus ou pas la peine de lire d'histoires la journée et le soir avant le coucher.

Nous parlons de « nouvelle réalité éducative » pour désigner quelque chose, un état, une situation, une fonction (parentale par exemple). En fait, nous sommes abusés par le langage, car il n'y a ni réalité, ni éducation. « Nouvelle », terme adéquat. La nouveauté, c'est la surprise : sur-prise ou, ce sur quoi l'on a aucune prise.

Apprendre à éduquer autrement

Se renseigner pour apprendre à éduquer autrement avec l'air du temps irrespirable des écrans n'est qu'un point de départ que chaque parent devrait faire sien s'il souhaite retrouver une assise parentale et avoir une certaine prise sur le réel éducatif avec toujours en l'esprit, la visée de la réalisation de son enfant. La fréquence d'exposition mérite un examen minutieux et des limites nettes. Ainsi, pour la fourchette 2-3ans, l'enfant peut être exposé à un écran entre 5 à 15minutes avec une pause sans exposition de trois à quatre fois le temps d'exposition, avec une exposition cumulée maximale d'une heure par jour. Il faut bien appréhender cette « nouvelle réalité éducative » et faire avec son temps comme on dit, à savoir, faire avec les écrans. Ajoutons : pas d'exposition aux écrans deux heures avant le coucher pour éviter les troubles de l'endormissement et du sommeil, pas d'exposition aux heures des repas.

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Nous parlions de point de départ, au sens où un principe premier est censé être indiscutable. Ce qui signifie que l'on peut en choisir un autre : placer à six ans la première exposition aux écrans LED (pc et ou tablette pour une recherche documentaire ou un logiciel éducatif ; smartphone si l'on souhaite visionner des photos et vidéos anciennes) et rejeter l'air du temps, la publicité, le commerce et le marketing des écrans ; on pourra accorder une exposition aux écrans pour quelques dessins animés adaptés, non hypnotiques. Certaines crèches font appel à la version originale d'un dessin animé afin de susciter chez l'enfant une proximité avec une langue étrangère. Les dessins animés les plus adaptés (qualité de l'image, langage adapté et sujet convenable) sont aussi ceux qui durent le plus longtemps. Il ne faut pas hésiter à les proposer en format épisodique.

Un enfant a déjà tellement à découvrir et à développer sans les écrans que les parents ne devraient jamais penser ainsi : nous ne voulons pas « priver » notre enfant d'écrans. Il faut plutôt formuler comme ceci : nous souhaitons protéger notre enfant des écrans. La notion de privation concerne bien plus les parents que les enfants car ils ne souhaitent pas eux-mêmes s'en priver.

Entendre un parent affirmer que c'est une bonne chose pour un enfant de 5 ans de faire des vidéos publicitaires sur certains jouets via YouTube car l'enfant apprend très tôt à évaluer, défendre, valoriser ou disqualifier des jouets ; il fait l'apprentissage d'un travail assidu et minutieux (répétition et préparation des scènes, choix d'un langage pour désigner une réalité, intensité du langage, théâtre dans les gestes de la scénographie, mise en scène des émotions et des affects…) et obtient une rétribution en retour. Et puis un travail ludique et amusant rémunéré n'est pas vraiment un travail usant…

Au lieu d'énumérer les points de trouble, d'usure et de fatigue que l'on repère dans ce type de cas, je me poserai une question simple : qu'est-ce qui distingue un jouet d'un produit ? Une fois que l'on a saisi qu'un produit ne concerne en rien l'enfant, qu'en tant que parent, l'on a trouvé avec équilibre et justesse le sens et le rôle d'un jouet, il devient beaucoup plus facile de trouver son propre point de départ en considérant avec sérieux et bon sens que les écrans mettent avec tout ce qui n'est pas un écran une distance et qu'il faut mettre avec eux une distance.

Photos : Shutterstock

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Écrit par

Maxime Le Bihan

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