Harmonie des contraires

Qui n'a pas rêvé d'une vie sans conflit ? Pour Héraclite, l'équilibre de l'univers résulte d'une guerre universelle, perpétuelle, cosmique, qui oppose partout et toujours les contraires.

22 MARS 2022 · Lecture : min.
Harmonie des contraires

Qui n'a pas rêvé d'une vie sans conflit ?

Pour Héraclite, l'équilibre de l'univers résulte d'une guerre universelle, perpétuelle, cosmique, qui oppose partout et toujours les contraires : eau contre feu, jour contre nuit, hier contre demain, justice contre injustice, et ainsi de suite. « Le Polémos est le père de toutes choses ».

De cet affrontement des contraires il résulte une paix apparente qui masque en réalité une instabilité universelle. Il n'y a rien d'éternel.

Freud dira que tout est éphémère (1) ; les êtres et les choses naissent puis s'en vont à jamais pour être remplacés par d'autres êtres, d'autres choses ; tout est fuyant ; " Tout coule ", disait Héraclite. Ou encore : " On ne peut pas se baigner deux fois dans le même fleuve " ; car la seconde fois, ce n'est plus le même fleuve, puisque l'eau du premier jour a été chassée par une eau nouvelle.

Rien dans le monde entier ne demeure un seul instant identique à soi-même : tout passe, tout change, tout meurt à chaque moment. Aucune chose n'est à proprement parler, tout le devient et tout revêt tour à tour les formes les plus opposées. Le jour devient la nuit et la nuit le jour.

Partout on voit des tensions opposées et ce qui sépare s'unit.

On peut rapprocher ce conflit des contraires d'Eros et de Thanatos, couple antagoniste mais fondamental en psychanalyse, où l'un n'est pas sans l'autre, et ce, inlassablement.

Les contraires sont dans un équilibre. Souhaiter, avec Homère, voir " la discorde s'éteindre entre les dieux et les hommes ", c'est demander la destruction de l'univers car ce conflit fécond permet l'harmonie des forces agissant en sens opposés. « Ce qui est contraire est utile et c'est de ce qui est en lutte que naît la plus belle harmonie ; tout se fait par discorde. »

Toute comme la nuit n'existerait pas sans le jour et vice versa, la créativité existerait-elle sans le cadre ? La nuit, si elle s'admirait seule tel Narcisse dans son reflet, perdrait toute sa beauté. Dans le tout, le désir n'est pas. La liberté existerait-elle sans la limite ? Fallait-il en être si privé pour la désirer.

« Nous supposons que les pulsions de l'homme sont de deux sortes, soit celles qui veulent conserver et réunir – nous les appelons érotiques, tout à fait dans le sens de l'Eros dans le Banquet de Platon, ou sexuelles en donnant consciemment à ce terme l'extension du concept populaire de sexualité -, et d'autres qui veulent détruire et mettre à mort ; nous regroupons celles-ci sous le terme de pulsion d'agression ou de pulsion d destruction. Vous le voyez, ce n'est à vrai dire que la transfiguration théorique de l'opposition universellement connue entre l'amour et la haine ». (2).

L'équilibre, c'est pouvoir harmoniser Éros et Thanatos, la pulsion de vie et celle de mort. Les deux sont complémentaires et l'une ne va pas sans l'autre, dans une harmonie des contraires, en déséquilibre et rééquilibre perpétuel.

« L'une de ces pulsions est tout aussi indispensable que l'autre, c'est de l'action simultanée et antagoniste de ces deux pulsions que sont issues les manifestations de la vie. Or il semble qu'une pulsion de l'une des deux sortes ne puisse quasiment jamais avoir une activité isolément, elle est toujours liée, comme nous le disons, en un alliage, à un certain montant de l'autre côté, qui modifie son but ou, dans certaines circonstances, lui permet seul de l'atteindre » (3).

« Il ne s'agit pas d'éliminer complétement le penchant humain à l'agression ; on peut essayer de le dévier autant que possible afin qu'il ne retrouve pas nécessairement son expression dans la guerre » (4)

On peut évoquer l'harmonie avec la poésie où la contrainte d'un cadre en transcende particulièrement l'expression. Il faut que les vers soient enfermés pour être si puissants. L'enfermement strict n'empêche pas la liberté. Dès lors, les tentatives de liaisons sont telles qu'il se crée une sorte de folie créatrice, une pulsion de vie telle la rage d'exister qui n'aurait jamais été déployée si les mots n'avaient pas été enfermés.

Le désir s'échappe par le moyen de la créativité, plus puissant que jamais, elle permet de saisir tout comme le poème dans ses règles, peut être libre, tel est le message du poète. Le bourreau devient le mentor. C'est un peu comme dans le sado-masochisme, on ne sait plus qui a besoin de qui pour exister.

Pour Héraclite " l'harmonie n'existerait pas sans l'aigu et le grave ".

Les contraires tout en s'opposant se maintiennent l'un l'autre.

L'utilisation du haikus

Je voudrais compléter mes propos par cet atelier que j'utilise souvent en art thérapie : le haikus. Le haikus est un poème japonais court, composé de 3 vers de 17 mores. D'apparence court, ne vous fiez pas trop aux apparences. On sait à quel point le vers est un énoncé linguistique soumis à des contraintes formelles. Le vers correspond à la ligne dans le haikus et la syllabe au more (le son élémentaire) dans le haikus.

L'important sera de souligner les oppositions et les ruptures (les vides) entre les syllabes et de créer du plein en liant les mots entre eux. Là aussi, deux oppositions qui se complètent, le vide et le plein.

À noter que le e à la fin du vers ne se compte pas. Les ruptures, mises bout à bout, donnent le rythme, l'unité, les contraires et les tensions créant l'harmonie. Le haikus est symbolique d'un art de vivre dans la simplicité de l'instant, d'un équilibre.

Photos : Shutterstock

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Écrit par

Corinne Vera Alexandre

Psychanalyste, Hypno analyste, Psychothérapeute et Sexothérapeute, elle exerce dans le Vaucluse à Bollène et Avignon ainsi qu'en ligne. Elle utilise les thérapies brêves en association de la psychanalyse dans une pratique intégrative en EMDR et en Hypnose.Sa pratique est aussi psychocorporelle avec l'hypnose et de la médiation corporelle.

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Bibliographie

  • (1) Freud, Ephémère destinée, Résultats, Idées, Problèmes tome 1

  • (2) Freud, lettre de Freud à Einstein, Pourquoi la guerre ?, Collection Freud en poche Editions in press, 2018, p.64 et 65

  • (3) Freud, lettre de Freud à Einstein, Pourquoi la guerre ?, Collection Freud en poche Editions in press, 2018, p. 65

  • (4) Freud, lettre de Freud à Einstein, Pourquoi la guerre ?, collection Freud en poche, Editions in press, p. 69 , 2018

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