Haut potentiel intellectuel et sexualité : des particularités à prendre en compte ?

Le haut potentiel intellectuel a t'il un impact sur le rapport au corps, et sur la santé sexuelle? Si oui, est-il possible et nécessaire de proposer un accompagnement spécifique?

13 JANV. 2020 · Lecture : min.
Haut potentiel intellectuel et sexualité : des particularités à prendre en compte ?

Le haut potentiel intellectuel est étudié depuis plusieurs décennies (Lubinski, 2016). Si sa définition commence à se clarifier (Benbow, 1986), et si son accompagnement est de plus en plus présent dans le cadre scolaire, professionnel, voire thérapeutique (Terrassier, 2005), son impact sur le corps et la sexualité demeure peu exploré.

Une sexualité épanouie nécessite un minimum de lâcher-prise et d'abandon à l'autre et à l'instant. Il semble donc pertinent de s'interroger sur l'impact que pourraient avoir une cérébralité exacerbée, une intellectualisation à outrance, sur la Santé Sexuelle.

Ce travail vise donc à vérifier, chez des individus étiquetés "haut potentiel", la présence d'une intellectualisation envahissante, de marques d'un rapport au corps potentiellement conflictuel et d'éventuelles dysfonctions sexuelles.

En cas de lien de cause à effet, est-il possible et nécessaire de proposer un accompagnement thérapeutique spécifique ?

Dans cette optique, une enquête a été réalisée de mars à juillet 2017, en majeure partie sur les espaces de discussion virtuels (forums internet d'adultes à haut potentiel), et pour une petite part via le réseau professionnel et personnel, à travers un questionnaire en ligne, élaboré spécifiquement pour cette enquête. Choix a été fait d'un anonymat complet des réponses, ce qui a permis de toucher 165 répondants de 18 à 68 ans.

L'analyse statistique a été réalisée par une Unité de Méthodologie Biostatistiques et Datamanagement, à l'aide du logiciel SAS, version 9.4.

L'objectif étant d'interroger le rapport au corps, le questionnaire se penche sur des marqueurs susceptibles de traduire une relation au corps conflictuelle ou problématique (scarifications, modifications corporelles, troubles du comportement alimentaire, addictions).

La capacité au lâcher-prise et l'intérêt sexuel sont également explorés.

Puis un focus est réalisé sur différentes dysfonctions sexuelles (réponses en échelle paire, du type jamais-parfois-souvent-toujours). Enfin une question ouverte permet de récolter de nombreux témoignages et éclaircissements.

Concernant les marqueurs d'un rapport conflictuel, certains chiffres attirent l'attention. Ainsi, on note 27.27% de scarifications dans l'enfance, 16,97% à l'âge adulte. Contrairement à ce qui est observé dans la population générale, elles touchent plus d'hommes que de femmes (Choquet et Coll., 2001)

Les addictions déclarées touchent 53,33% du panel, 68,6% des hommes.

On constate notablement plus de difficultés chez les diagnostics précoces.

Ainsi que l'expriment certains répondants, il semble que « la pensée ne laisse pas d'espace au corps pour exister par lui-même ». On assiste parfois à une véritable « négation du corps ».

En ce qui concerne la sexualité, les premiers rapports sont plus"tardifs" que dans la population générale (Hommes 20,3 ans -min 14, max 44- Femmes 18,2 ans).

Quant aux troubles sexuels, il y a une nette prévalence des troubles du désir avec 26% des répondants (15,8% des hommes, 33,7 % des femmes)

et du plaisir 20% (14,3% des hommes, 24,3% des femmes)

Ainsi les personnes concernées évoquent une "difficulté à débrancher le cerveau", une "mascarade, pantomime insupportable", une "comédie du désir".

Le lâcher-prise étant un facteur indispensable à l'épanouissement sexuel, et son expression pouvant être freinée par une hyper vigilance intellectuelle, la question a été posée ("parvenez-vous à "lâcher-prise" durant les rapports sexuels? »).

On note une nette corrélation entre capacité à lâcher-prise et moindres troubles sexuels.

L'hyper-intellectualisation, à contrario, freine nettement cette capacité.

Au terme de cette étude, il apparaît donc que les adultes HP présentent certains signes d'un rapport au corps conflictuel, distant, et une intellectualisation envahissante, qui laisse peu de place à l'expression de la corporalité.

La sensation de désincarnation semble majeure, même si certains répondants réussissent à garder intacte leur hyper sensorialité, qui leur permet de lâcher prise et de laisser les sens concurrencer pour un temps l'intellect. Cette hyper sensorialité, alliée à une imagination permettant l'élaboration de fantasmes riches, permet à certains de vivre une sexualité épanouissante, mais pour un plus grand nombre la cérébralité exacerbée gêne l'expérimentation d'une sexualité pleinement satisfaisante.

En occupant tout l'espace du Soi, et en posant un regard acerbe et critique sur les gesticulations triviales du rapport sexuel, l'intellect entrave la perception du désir et du plaisir.

Les thérapies corporelles, et les pratiques corps-esprit, semblent tout indiquées pour aider les patients à reprendre contact avec leur corporalité. Il paraît également nécessaire de permettre à l'intellect de trouver un intérêt et un épanouissement spirituel dans ce travail, au risque de voir la motivation disparaître rapidement.

Il semble ici indispensable de prendre en compte la particularité de ces patients, en communiquant sur le déroulement de la thérapie, en commentant et éclaircissant tous les points débattus: nourrir la curiosité intellectuelle avant de pouvoir laisser pleinement s'exprimer le corps, en somme.

Une pleine adhésion à la thérapie, une alliance thérapeutique forte permettront alors d'aider le patient à s'autoriser à lâcher-prise et à écouter son corps.

En outre, une démarche d'éducation thérapeutique, replaçant la sexualité dans ses dimensions culturelle, cognitive (Wunsch, 2016) voire spirituelle, pourrait faciliter une réconciliation corps-esprit.

Reste la question du diagnostic précoce (Magnié-Mauro, 2012), qui dans cette recherche ne semble pas impliquer un mieux-être corporel ni sexuel.

Si on peut supposer que les personnes diagnostiquées dans l'enfance présentaient des difficultés importantes qui ont pu provoquer cette recherche de diagnostic, il n'en reste pas moins que ce dernier n'a apparemment pas suffit à améliorer la situation.

Un accompagnement spécifique dans l'apprentissage de la gestion des émotions et des sensations semble tout indiqué pour que l'enfant haut potentiel puisse apprivoiser ses ressentis, et ainsi éviter l'inhibition sensorielle et intellectuelle. Ici encore les thérapies corporelles ont leur rôle à jouer.

Au vu de ces constatations, il ne semble pas inintéressant de continuer à se pencher sur ce sujet, afin d'affiner nos connaissances sur ce qui se joue dans le rapport au corps des haut potentiels, ceci afin d'accompagner au mieux ces patients vers une Santé Sexuelle épanouie, et vers une pleine expression de toutes leurs potentialités.

Bibliographie

Articles

-Benbow CP. Physiological correlates of extreme intellectual precocity. Neuropsychologia. 1986; 24(5):719-25

-Bost, C. Différence & souffrance de l'adulte surdoué: Vuibert, pratique, 205 p.. Revue internationale de psychosociologie, vol. xvii,(41), 363-364. 2011

-Choquet et coll., Les élèves à l'infirmerie scolaire : identification et orientation des jeunes à haut risque suicidaire. Inserm.2001

-Fumeaux P., Revol O. Le haut potentiel intellectuel : mythe ou réalité? La revue de santé scolaire et universitaire, 2012 (18, 8-10)

-Gauvrit Alain. le complexe de l'albatros, l'inhibition intellectuelle chez l'enfant intellectuellement précoce. Se défendre ou s'interdire ?

-Gicquel L, Corcos M, Richard B, Guelfi JD. Automutilations à l'adolescence. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris) Pédopsychiatrie 2007;37-216-J-10. 3.

-Grubar JC, Duyme M, Cote S. La précocité intellectuelle : de la mythologie à la génétique. Liège: Mardage; 1997.

Huon J. Le sommeil des sujets à quotient intellectuel élevé. Electroencephalography and Clinical Neurophysiology 1981;52S:128.

-Lautrey, J (dir.) L'état de la recherche sur les enfants dits «surdoués », laboratoire Cognition et Développement, Paris V

-Le Breton, David. Les scarifications comme actes de passage , L'information psychiatrique, vol. volume 82, no. 6, 2006, pp. 475-480.

-Leo D, Heller TS. Who are the kids who self-harm? An Australian self-report school survey. Med J Aust 2004;181:140-4.

-Liratni M, Pry L. Profils psychométriques de 60 enfants à haut potentiel au WISC IV

-Lubinski, D .From Terman to Today: A Century of Findings on Intellectual Precocity . Review of Educational Research Month 2016, Vol. XX, No. X, pp. 1–45

-Magnié-Mauro, MN. Le haut potentiel intellectuel : des particularités neurophysiologiques. anae - Approche Neuropsychologique Des Apprentissages Chez L'enfant, Anae/Pleiomedia, 2012, Hauts potentiels des enfants : force ou faiblesse ? Identifier leurs aptitudes pour développer leurs talents., 24 (119), pp.457-462.

-Pommereau, Xavier. Les violences cutanées auto-infligées à l'adolescence , Enfances & Psy, vol. no 32, no. 3, 2006, pp. 58-71.

-Terrassier J-C. Les dyssynchronies des enfants intellectuellement précoces. Conf Rennes psychiatres 2005

-Terrassier J-C. "Les enfants surdoués ou la précocité embarrassante". Collection Références. ESF éditeur. 6ème édition. 2004.

-Vaivre-Douret, L. Les caractéristiques précoces des enfants à hautes potentialités. Journal français de psychiatrie, no18,(1), 33-35. 2003

-Wunsch, Serge. (2016). Principaux facteurs, contextes et variations du développement sexuel humain. Une synthèse transculturelle et transdisciplinaire. 2e partie : modélisation. Sexologies. . 10.1016/j.sexol.2016.07.002.

PUBLICITÉ

psychologues
Écrit par

Psychologue.net

Notre comité d'experts, composé de psychologues, psychothérapeutes et psychopraticiens agréés, s'engage à fournir des informations et des ressources précises et fiables. Toutes les informations sont étayées par des preuves scientifiques et contrastées pour garantir la qualité de leur contenu.
Consultez nos meilleurs spécialistes en
Laissez un commentaire

PUBLICITÉ

derniers articles sur actualités

PUBLICITÉ