Instinct maternel, mythe ou réalité ?

Autrefois, si une maman ne faisait pas, ou peu, preuve d’instinct maternel, elle était cataloguée « mauvaise mère ».

22 AVRIL 2015 · Lecture : min.
Instinct maternel, mythe ou réalité ?

Aujourd'hui, on parlera plutôt d'un épisode dépressif, de baby blues… Mais d'où vient-il cet instinct ? Où se cache-t-il parfois ?Porte-t-il bien son nom ?

L'instinct maternel a-t-il toujours existé ?

Il s'agit d'un concept relativement récent. En effet, jusqu'à la fin du 18ème siècle, les modes de relation parents-enfants étaient bien différents de ce que l'on peut rencontrer aujourd'hui.

Philippe Ariès, en 1960 dans son « L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime », développe l'idée d'une évolution du rapport à l'enfant, passant de ce qu'il appelle « l'enfant inconnu » (l'enfant est un adulte miniature) à « l'enfant reconnu » des 18-19ème siècles. C'est à cette époque qu'intellectuels et pédagogues défendent l'idée que l'enfance est un état en soi, avec ses propres joies, ses propres spécificités, et qu'il a le droit de vivre. D'autres, comme Rousseau iront plus loin, en affirmant que l'enfant n'est pas la bête sauvage à dresser comme on l'a longtemps fait croire, mais un être fragile et innocent à protéger.

C'est également l'idée soutenue par les doctes chrétiens, ne niant pas la toute-puissance paternelle, encore dans les mœurs au 19ème, mais préconisant de la mettre à profit pour l'intérêt de l'enfant, refusant par conséquence l'abandon, l'infanticide et l'avortement.

Ce renversement des idéologies familiales a entraîné un bouleversement de l'organisation, ne reléguant plus l'enfant aux oubliettes chez une nourrice dans le meilleur des cas, mais le plaçant alors au centre des attentions. C'est donc à la fin du 18ème siècle qu'apparaît la notion d'amour maternel, aussi appelé attachement, sensibilité maternelle ou encore instinct maternel.

Se serait-il construit, aidé par des circonstances sociales et culturelles ?

C'est en tout cas l'idée que défend Elisabeht Badinter, féministe, dans son ouvrage « L'Amour en plus : histoire de l'Amour maternel » (1980). Elle avance d'ailleurs qu'il s'agirait d'un sentiment construit avec le concours de l'Etat qui trouverait un intérêt dans cette culpabilisation des femmes. Pour elle, il n'est pas plus naturel que la mère, et non le père, ressente cet amour pour son enfant.

Cette thèse de la « mère socialement construite » est celle de nombre de féministes, dont Simone de Beauvoir, mais elle n'est pas partagée par cette anthropologue et non moins féministe, Sarah Blaffer Hrdy, qui ne conçoit pas l'inexistence du Sentiment maternel.

Ses recherches scientifiques l'ont conduite à affirmer que ce qu'on appelle « instinct maternel » trouve sa source dans les changements physiologiques de la grossesse et l'accouchement, tout en ne pouvant réellement émerger que si l'environnement n'est pas défavorable.

Ainsi, à la naissance, la production d'ocytocine favorise la transformation de la mère. Si elle bénéficie d'un contact prolongé et intime avec son enfant, ses circuits neuronaux se modifient, l'encourageant à répondre aux signaux et demandes du nouveau-né.

Les réponses des humains dépendant également énormément du contexte social et du soutien reçu, il est donc important de veiller à être bien entouré.

« Le terme instinct est souvent utilisé à tort, dénonce Sarah Blaffer Hrdy, comme un interrupteur qu'il suffirait d'enclencher. Or, l'instinct maternel n'est pas une pulsion sommaire indestructible. »

Pour certaines, il est immédiat, au premier regard qui nous confirme notre identité de mère. Pour d'autres, les circonstances (fatigue, stress, accouchement difficile, manque de soutien…) ou encore le vécu font que cela prendra un peu plus de temps.

Christelle, 29 ans, témoigne : « J'ai été horrifiée en voyant mon bébé, si maigre, tout plissé, j'ai pensé qu'il ressemblait à un alien et m'en suis immédiatement voulue d'avoir imaginé une telle horreur. Je n'ai évidemment osé le dire à personne tant j'avais honte ! »

Ce « retard au rendez-vous » sera d'autant plus difficile à vivre que nous aurons fantasmé cet enfant, et la rencontre avec lui depuis que nous avons commencé à l'envisager, soit depuis notre tendre enfance, époque où nous jouions déjà à la petite maman.

L'association « Maman Blues », à Paris, se bat pour le droit aux mères de ne pas être immédiatement en phase avec leur maternité :

« On parle de 10% des mères qui vivraient ce qu'on appelle une difficulté maternelle. Or, nous pensons que ce chiffre a été extrêmement minimisé, parce que la souffrance des mères n'est souvent pas perçue par le personnel soignant, mais également parce que les mères se sentent coupables, donc se taisent. »

Il est important d'accepter que notre rythme puisse être un peu plus lent que prévu. Certes, nous avons tendance à culpabiliser, car nous imaginons que les autres attendent de nous que nous soyons une mère parfaite immédiatement.

Et l'instinct paternel ?

Elisabeth Badinter n'avait pas tout à fait tort : les pères également peuvent ressentir ce sentiment, cet attachement. En effet, comme l'explique Sarah Blaffer Hrdy (« Mothers & others : the evolutionary origins of mutual understanding »), les pères, n'accouchant pas, ne sont pas soumis aux mêmes modifications hormonales programmées, que les mères. Mais si ceux-ci se montrent suffisamment proches, impliqués, avant et pendant la naissance, il arrive qu'ils connaissent eux aussi des transformations physiologiques (augmentation de la prolactine et diminution de la testostérone), bien que moindres.

Ce phénomène est également courant chez les mères adoptives par exemple.

Thomas Sluys, Kinésithérapeute en périnatalité (Mons)

Les parents aujourd'hui pensent souvent que l'instinct maternel va arriver comme par magie. Cela arrive pourtant assez rarement, provoquant alors souvent honte et culpabilité.

La préparation à la naissance, en kiné ou autres, est bénéfique à différents points de vue :

-Elle permet de prendre conscience progressivement de son statut de nouveau parent.

- Suivie en couple, elle favorise la communication

-Elle représente un soutien, élément indispensable dans le processus.

-Elle est une occasion de mieux comprendre comment va se passer l'accouchement, et d'éviter les désillusions.

-Elle aide à mieux gérer le stress, et à envisager une rencontre sereine avec bébé.

Fabienne, 32 ans :

Mon bébé est né à 7 mois et est donc resté un moment en service de néonatologie. J'étais moi-même très fatiguée et perturbée, m'en voulant de lui avoir imposé cette naissance difficile. Dans les premiers temps, quand j'allais voir ma fille, j'étais complètement perdue. Toutes ces couveuses, tous ces pleurs d'enfants… j'avais souvent entendu dire qu'une mère reconnaîtrait les pleurs de son enfant entre mille, et moi je n'étais même pas capable de reconnaître le mien entre dix. J'avais l'impression d'être une mauvaise mère et je pleurais souvent seule dans ma chambre. Je n'ai osé en parler à personne à cette époque, j'avais bien trop honte.

Lucie, 28 ans

Lors de ma grossesse, je me suis longtemps demandée quand allait arriver ce fameux instinct maternel. J'étais très contente d'être enceinte, mais je n'arrivais pas encore à me sentir mère. Mes amies, qui parlaient à leur bébé et se frottaient le ventre toutes les dix secondes, me laissaient un peu perplexe.

Mais le jour de l'accouchement, quand on me l'a mis pour la 1ère fois dans les bras et que j'ai vu son visage si rond et si joli, j'ai tout de suite senti que j'allais aimer cet enfant, mon enfant, de tout mon coeur et que je serais prête à risquer ma vie pour lui.

Biblio

  • « L'Amour en plus : histoire de l'Amour maternel », E.Badinter, Flammarion
  • « Les Instincts maternels », Sarah Blaffer Hrdy (Auteur), Françoise Bouillot (Traduction),
  • Broché (2000)
  • « Anthropologie de la famille et de la parenté », Robert Deliège, Ed. Armand Colin
  • « Métamorphoses de la parenté », Maurice Godelier, Fayard.
  • « Carnet de grossesse d'un apprenti papa » , Illich L'Hénoret, Editions Le Bord de l'Eau
  • « Mode d'emploi de mon bébé : Conseils de dépannage et instructions de maintenance pour la 1e année d'utilisation » de Louis Borgenicht, Joe Borgenicht, Paul Kepple, et Jude Buffum (Broché - 25 avril 2006)

(Article écrit pour le magazine "Femmes d'aujourd'hui", oct. 2010 )

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Écrit par

A l'écoute de soi - Florence Beuken

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