L'avènement du robot-thérapeute
De plus en plus de personnes utilisent des applications de santé mentale basées sur l'Intelligence Articielle. Est-ce une bonne chose ?
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Pour une raison ou pour une autre, il peut être difficile de voir un thérapeute en face à face : budget serré, horaires qui ne conviennent pas, impossibilité de se déplacer ou de parler en face d'un(e) psychologue... Pour de plus en plus de personnes, les applications de santé mentale deviennent ainsi une solution.
Selon le site The Bold Italic, des milliers de personnes dans la zone de San Francisco ont téléchargé des applications mobiles de santé mentale, telles que Woebot, Wysa et Youper afin de gérer leurs symptômes de stress, d'anxiété ou de dépression.
À la différence d'autres services de e-thérapie, qui connectent les patients et thérapeutes par le biais de messageries instantanées ou appels audios et vidéos, ces applications utilisent des bots, des robots programmés à l'aide d'une intelligence artificielle et créés pour répondre aux utilisateurs sur la base de leur langage.
De nombreuses personnes n'ont pas les moyens de commencer une thérapie ou pas le temps de rechercher la personne parfaite pour le suivi. Ces applications, elles, sont gratuites et prêtes pour entamer un dialogue en quelques minutes.
Comment fonctionnent ces applications ?
Elles sont modelées sur le principe des thérapies cognitivo-comportementales (TCC), un modèle de thérapies brèves validées scientifiquement et reconnues pour traiter des troubles mentaux plutôt courants, tels que les troubles anxieux ou dépressifs. Ces applications sont accessibles à tout moment de la journée ou de la nuit, permettant aux utilisateurs et utilisatrices de travailler sur les points qu'ils et elles estiment nécessaires en interagissant avec l'application. Ils et elles peuvent ainsi identifier des schémas mentaux inadaptés (distortions cognitives) du quotidien et sont encouragé(e)s à mettre en place des objectifs de santé mentale, à suivre leur humeur et à analyser les sources de cette humeur.
C'est une excellente chose que de plus en plus de personnes obtiennent une forme d'aide qui leur serait inaccessible d'une autre façon. Mais les compagnies qui créent ces chatbots ne sont que rarement claires sur ce que leur technologie peut accomplir. Évidemment, les créateurs et créatrices des applications précisent que celles-ci ne remplaçeront jamais un suivi thérapeutique avec un(e) professionnel(le) ou qu'elles ne seront jamais des outils efficaces en cas de crise, mais ils et elles sont tout à fait conscient(e)s que ces applications sont tout de même utilisées comme telles.
Quelle est la problématique de ces applications ?
Ces applications n'indiquent pas clairement à quel public elles sont destinées, ni pour quel degré de sévérité d'addiction, d'anxiété ou de troubles dépressifs elles sont utiles. Liz Zarka, journaliste à The Bold Italic, a interrogé plusieurs utilisateurs et utilisatrices à propos de leur utilisation de ce type d'applications et précise :
"Les sujets auxquels j'ai parlé ont dit qu'ils comprenaient mal ce qui pouvait constituer un traitement suffisant pour leurs inquiétudes au sujet de leur santé mentale, et étaient découragés lorsque ces applications ne parvenaient pas à les aider".
Les experts s'accordent sur le fait qu'un robot, même extrêmement intelligent, ne peut tout simplement pas remplacer la compétence d'un(e) thérapeute habilité(e) à offrir un aperçu profond d'évènements passés, offrir un espace de parole, compatir et offrir une relation affective basée sur la confiance mutuelle.
"Même si une intelligence artificielle (IA) atteint un niveau de sophistication où elle peut devenir une alternative complète à un traitement de santé mentale classique, je pense que, pour être efficace, elle devrait faire partie d'un parcours de soin intégré" précise Jose Hamilaton Vargas, CEO de Youper.
Alison Darcy, fondatrice et CEO de Woebot, a d'ailleurs partagé cette idée sur une récente discussion sur Reddit :
"L'éventualité qu'une IA puisse un jour prendre la place d'humains dans ce domaine est, à mon sens, largement surestimée".
Mais encore plus que d'établir que ces applications ne pourraient jamais remplacer une thérapie en face-à-face, ces fondateur(ice)s ne sont pas très clair(e)s sur ce pourquoi elles devraient être utilisées. Et leur marketing rend les choses encore plus brumeuses. Ainsi, les sites web liés aux applications présentent des témoignages dithyrambiques, qui pourraient pousser les éventuels utilisateurs et utilisatrices à préférer se tourner vers les applications plutôt que vers un suivi en face à face. Les développeurs et développeuses de ces applications nient avec force que ces applications pourraient être utilisées dans le cas de troubles psychologiques mettant la vie en danger, mais leur matériel marketing tel que les témoignages suggère le contraire.
Les sites webs associés aux applications suggèrent que ces dernières aideront les utilisateurs à être plus heureux, moins anxieux et plus productifs, mais il est difficile de déterminer la légitimité de ces affirmations à cause du manque de transparence des objectifs de santé mentale que les robots peuvent aider à atteindre.
Sont-elles réellement efficaces ?
Youper et Wysa ont lancé leurs applications sans publier d'étude examinée par les pairs, alors que Woebot a publié une étude à propos de ses objectifs en partenariat avec le Département de Psychiatrie et des Sciences Comportementales de l'Université de Stanford en 2017. L'étude a montré que deux semaines d'utilisation de ces robotos conversationnels chez les 18-28 ans étaient en lien avec une réduction significative des symptômes de la dépression et de l'anxiété par rapport au groupe de contrôle.
Ceci semble prometteur, mais on ne peut pas généraliser les résultats : l'étude a porté sur un échantillon insuffisant de 70 personnes, toutes des étudiant(e)s non diplômé(e)s qui ne correspondent pas forcément au profil-type d'un(e) utilisateur(ice) de cette application, qui serait plutôt une personne employée à plein temps, ayant des factures à payer et ne pouvant pas se permettre de payer une thérapie traditionnelle.
Pour éviter de définir une audience précise pour leurs applications, les développeur(euse)s précisent que, si certaines personnes auront besoin de réaliser une thérapie traditionnelle, tout le monde peut au moins tirer un bénéfice quelconque de cette interaction avec l'application. Mais, d'après Liz Zarka, rien n'est moins vrai, et plusieurs utilisateur(ice)s avec qui elle a discuté ont évoqué une exacerbation de leurs symptômes à l'utilisation de ces applications, tandis que d'autres ont affirmé que les applications retardaient la recherche d'un réel traitement.
"Je n'appelerais pas ça un robot thérapeute, mais plutôt un outil que les gens peuvent utiliser de temps à autre pour mieux gérer leurs passages à vide", Rohit, utilisateur(ice) de Youper.
Ces services thérapeutiques basés sur l'intelligence artificielle démontrent le potentiel que peuvent avoir de tels outils pour améliorer la santé mentale. Mais les compagnies qui les proposent doivent mieux comprendre et articuler les possibilités et limites de leurs technologies. Leur survie, mais surtout celle des utilisateurs et utilisatrices, en dépend.
Photos : Shutterstock
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