Le suicide de la soeur cadette

Lors d'un stage "Aux sources de la personnalité", une participante entourée de tous réussit à faire le deuil de sa soeur qui s'était noyée il y a 10 ans.

12 MAI 2016 · Lecture : min.
Le suicide de la soeur cadette

J'interviens dans le cadre d'une association de psychologues qui offre un stage de quatre jours intitulé : « Aux sources de la personnalité ». Il réunit plusieurs groupes composés chacun d'une douzaine de participants. J'y transmets 4 théories « Le cycle de l'expérimentation », « Les résistances », « La dimension holistique », « Les contraintes existentielles ». Ces apports théoriques sont des impulsions ou des récapitulations. La majeure partie du temps est réservée au « Hot Seat ». C'est dans l'un de ces groupes que j'ai rencontré Anne, 37 ans, sans enfant.

Suite au travail bouleversant d'une participante affectée depuis douze ans par la mort de sa mère, Anne visiblement troublée, se risque sur le « Hot Seat ».

Elle exprime son désarroi en affirmant qu'elle souffre de prendre beaucoup trop à cœur les problèmes d'autrui : « Je suis une éponge. Je n'ai pas de limites entre moi et les autres, membres de ma famille ou clients. »

Dans son flot confus de paroles sous tendues par beaucoup d'émotions, elle avait dit banalement et en vitesse : « Ma sœur cadette s'est suicidée ».

Enfin elle se tait et reste immobile, le regard dans le vide comme absente.

Après un silence, je l'invite à poursuivre. Elle ne m'entend ni ne réagit. Je m'approche. Je la regarde. Doucement je lui dis de se lever. Ce qu'elle fait. Je lui propose une ballade. Ce qu'elle accepte.

Bras dessus, bras dessous, nous faisons une ronde au milieu des participants.

Alors elle se met à parler, lentement cette fois-ci : « Ma sœur Sylvie s'est suicidée, il y a 5 ans ». Elle explique ensuite le déroulement du drame.

Du vivant de sa sœur, Anne, plus que les autres membres de la famille a déployé une grande énergie pour sauver sa sœur de sa « mal vie » apparue à l'adolescence... Dix ans de lutte.

Le suicide fut pour Anne un grand soulagement.

Après la mort, plus personne dans la famille n'a jamais reparlé de Sylvie. Le tabou s'est installé.

Ceci explique la forte introjection d'Anne, l'empêchant tout à l'heure d'exprimer quoi que ce fût.

Je propose alors à Anne d'entrer en relation avec sa sœur en lui demandant de choisir un membre du groupe. Anne hésite. Elle demande à Pauline qui accepte[1]. Elle se met à parler à sa sœur symbolique.

-2-

Quatre phases successives apparaissent :

-de la colère contre elle : « Tout ce que j'ai fait pour toi, en vain ! »,

-de la culpabilité : « J'aurais du pouvoir te sauver »,

-de la tristesse face à l'irrémédiable,

-de la joie aux souvenirs des jeux de l'enfance et des complicités dans l'adolescence.

Anne est maintenant apaisée et très en contact.

Je lui demande si elle veut faire un pas de plus. Elle acquiesce avec détermination. J'invite Pauline à se coucher sur le sol. Elle représente la sœur trouvée morte au bord d'un torrent.

Anne s'approche et prend soin du corps. Dans la réalité, bien que présente à ce moment dramatique, elle s'était tenue à l'écart.

J'encourage Anne dans sa décision d'aller enterrer sa sœur. Anne choisit quatre hommes du groupe pour la porter en terre. Le cortège s'organise. Il traverse la salle. Anne demande d'inhumer le corps derrière une armoire.

Une fois celui-ci déposé délicatement, Anne dit en pleurs : « Cette fois tu peux reposer en toute tranquillité ».

Du coup Anne devient paisible, ses traits se détendent, son corps lâche prise. Elle est pleinement dans l'ici et maintenant. Elle respire profondément. Elle sourit. Elle regarde chacun et demande spontanément des marques de tendresse.

A la fin du travail, je restitue l'identité de chacun. Anne en regardant Pauline lui dit : « Tu n'es plus Sylvie, tu es Pauline ».

Quant à Pierre, Paul, Jacques et Jean je leur dis : « Vous n'êtes plus des croque-morts, vous êtes des psychologues... ! ! ! ».

Par cette courte expérimentation, Anne réussit à terminer une Gestalt restée inachevée durant des années : à l'époque, elle n'avait pas pu s'associer émotionnellement à la fin tragique de sa sœur et à son enterrement.

Elle est ainsi devenue disponible pour une nouvelle Gestalt, une démarche thérapeutique et personnelle qui lui permettra probablement de concilier sa survie avec la vie.

Six mois plus tard, dans un entretien téléphonique, elle me confie : « Tu sais, je suis paisible de rencontrer les gens, je ne me laisse plus bouffer par leurs problèmes. A propos, connais-tu dans ma région un Gestalt-Praticien ? ».

Bernard Serez, psychothérapeute en Gestalt.


[1] Auparavant, j'avais posé la règle d'un refus possible. Le travail d'Anne une fois terminé, dans la phase des feed-back, Pauline dira qu'elle avait pressenti le choix d'Anne. Elle ajoutera qu'elle souffre intérieurement des suicides de son grand-père et de son oncle.

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Écrit par

Bernard Serez

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