Les maux à dire : comment dit-on ce que l'on ne peut pas dire ?
« Les maux du corps sont les mots de l'âme. Ainsi on ne doit pas guérir le corps sans chercher à guérir l'âme. » - Platon
La somatisation au sein du "mal dit"
- La désorganisation psychosomatique
Le terme de mentalisation figure dans les écrits théoriques de Pierre Marty, celui de démentalisation en est absent par contre. La notion de désorganisation psychosomatique est développée à la place. La désorganisation psychosomatique est une force de déconstruction qui efface les bases sur lesquelles s'est établie l'organisation psychique du sujet et ses mécanismes de défense, se trouve à l'œuvre dans l'appareil psychique et à certains moments traumatiques du sujet.
Cette force représente le courant contre-évolutif par les pulsions individuelles de mort. Pour Pierre Marty, désorganisation psychosomatique correspond à l'effacement des mécanismes de la mentalisation.
Si le sujet est soumis à un état de stress chronique en permanence, il peut arriver que les mécanismes de défense tels que refoulement et répression commencent à perdre de leur efficience et à la longue et le mental commence à se désorganiser.
Alors, toutes les excitations libidinales telles que l'angoisse au lieu d'être prises en charge par des mécanismes de défense mentaux vont être prises en charge par le comportement, la deuxième porte de la dérivation et la troisième est la somatisation.
- 3.2 La mentalisation dysfonctionnelle
Le désordre économique trouve ses origines dans la non-expression de la voie psychique telle que par sonobstruction, le déficit ou l'altération et constituent les bases propices à une apparition d'un désordre somatique.
Les mécanismes de défense majeurs sont le refoulement et la répression qui sont des filtres pour nous protéger.
- 3.3 Le mécanisme du refoulement
Selon Freud, il existe deux modèles théoriques de la somatisation :
La première où l'énergie sexuelle dérive du psychisme vers le somatique et la deuxième, à l'inverse, où l'énergie dérive du somatique vers le psychisme.
Freud rattache la psychopathologie au processus de refoulement. Selon lui, le symptôme résulte de l'échec du refoulement et correspond au retour du refoulé.
« Ce mécanisme de défense se déroule en trois temps :
1) Le premier temps correspond au refoulement originaire, c'est la mise de côté́ à une époque très précoce de l'histoire du sujet, d'un ensemble de représentations et d'affects qui restent en deçà de l'évolution libidinale. Le choix de la névrose nait en fonction du stade ou s'est produit le point de fixation.
2) Le deuxième temps correspond au refoulement proprement dit. Il intervient lors d'un conflit entre une pulsion et un critère moral, entre le ça et le moi, obéissant au surmoi dans la névrose, entre le moi et le monde extérieur dans la psychose.
3) Le troisième temps est celui de l'échec de refoulement et du retour du refoulé ; ce qui avait été́ éliminé́ revient dans le champ de la conscience, sous forme du méconnu et qui correspond au symptôme névrotique ou psychotique.
La pulsion, concept limite entre le psychique et le somatique, est le représentant des excitations issues de l'intérieur de l'organisme. L'affect est l'expression qualitative d'une quantité́ non mesurable d'énergie libidinale transformable. Le refoulement est une force constante individuelle qui mobilise une énergie inconsciente ou énergie de contre- investissement. »6
Lorsque le mécanisme du refoulement s'épuise dans le temps et à force de répétition un autre mécanisme de défense prend le pas, c'est le mécanisme de répression.
- 3.4 Le mécanisme de répression
La répression est un mécanisme de défense plus ou moins conscient, qui permet à l'individu de poursuivre des buts qu'il s'est fixés pour ne pas penser, ne pas décevoir, ne pas perdre l'autre ainsi que l'estime de soi.
La répression est d'abord une répression externe, exercée par un parent sur son enfant, laquelle empêche l'enfant de se développer et de s'épanouir.
Le sentiment ne subit pas de refoulement, cependant, l'affect peut faire appel à des mécanismes de défense autres comme la conversion, le déplacement, la projection et la transformation en son contraire.
« L'activité opératoire comme mode ultime de répression des sentiments lorsque le combat pour le maintien de la relation est devenu sans objet. Il faut ici introduire, à ces confins de l'excès de répression, la répression de sentiments par l'activité opératoire avec comme première conséquence peu apparente, la pensée opératoire, la vie opératoire, et la dépression essentielle.
La répression des sentiments attachés à une relation investie et spécialement la répression de la douleur morale liée à une perte grave, irréversible et inacceptable, telle que la mort, incite a encore plus de répression, dont la répression des sentiments, des émotions, et des comportements pulsionnels aboutissant à un dessèchement de l'activité imaginaire, fantasmatique, préconsciente.
Ces événements se situent toujours dans l'immédiat d'après-coup du traumatisme, soit par séparation irréversible, de l'traumatique, imposée par l'objet de l'affecte soit par la disparition subite, non envisageable de l'objet externe, soit une atteinte grave de l'image de soi. »7
Ce processus prive le psychisme d'une grande partie de son fonctionnement en le privant du sentiment associé. Si l'individu fait l'objet de répression, celle-ci peut se déverser massivement dans le corps, les pathologies associées sont souvent en lien avec des inflammations, des problèmes musculaires, ou font partie d'un désordre métabolique ou hormonal. La répression de l'affect de type agressif semble être à l'origine de pathologies auto-immunes et inflammatoires.
- 3.5 Le trauma
L'appareil psychique a ses limites et ses mécanismes de défense peuvent se retrouver dépassés, lorsque le sujet est soumis à un excès traumatique, pour se protéger le psychisme fait un « system-shut-down » ou arrête partiellement son fonctionnement.
Les événements traumatiques qui peuvent survenir sont de catégories multiples. Les pertes sont en lien et réactivent soit des vécus de séparation, soit des vécus de castration, soit les deux à la fois. Les pertes sont soit réelles ou soit imaginaires.
Les pertes ressenties qui sont réelles sont en lien avec le deuil d'un être cher, le divorce et les séparations de partenaire, la retraite, la perte du travail, la perte matérielle et la perte affective, la chirurgie, les sevrages toxiques et bien sûr la perte de la liberté par une incarcération.
Les pertes ressenties qui sont imaginaires sont en lien avec la perte d'un pouvoir, ou d'un idéal investi, la perte de l'estime de soi, l'andropause pour l'homme et la ménopause pour la femme, ou la perte d'un objet fétiche tel que la voiture, la maison et encore la perte d'un statut social du sujet.
Les agressions physiques et verbales font aussi partie intégrante du trauma, que ce soit un accident, des menaces proférées, ou un cambriolage, ils peuvent être ressentis également comme une agression ou comme un viol, une violation de l'intimité du sujet.
- 3.5.1 La dépression essentielle
Elle survient à la suite de traumatismes majeurs ou un cumul de traumas, à type de perte ou d'épuisement. Elle génère à terme un épuisement de l'appareil psychique qui se réduit au minimum de la pensée de vie opératoire, arrivant à une attente grave de certains axes physiologiques souvent en lien avec des affections dermatologiques, déficits immunitaires, maladies auto-immunes, certains cancers y trouvent aussi leur origine.
Le déficit psychique par un des trois processus est appelé état de démentalisation.
Le désordre économique est à la base du processus de la somatisation. Il ne détermine pas à lui seul la pathologie, il est l'élément inducteur. Il ouvre la voie à la cible de la fixation par un processus nommé régression, elle participe au processus morbide. P. Marty a appelé cela des désorganisations progressives qui sont à la base des maladies graves.
Rien n'est le fruit du hasard, tout contribue et y trouve sa place, l'histoire de l'individu, son parcours émotionnel et physiologique, tout se joue dès la plus jeune enfance.
On ne peut aborder sérieusement d'un point de vue psychosomatique un patient si l'on ne connait pas son histoire et les éléments clés de sa vie qui ont édifié son organisation psychique.
La cible somatique désigne l'organe de la fixation ou de la fonction atteinte, toutefois plusieurs facteurs complexes entrent en jeu pour déterminer le type de fixation, le vecteur où se produit le désordre économique, le type d'émotion réprimée ou refoulée.
Le somatopsychique est l'ensemble des effets, réactions et conséquences de la maladie somatique avec ces réactions psychiques, comportementales et remaniements intrapsychiques et la modification de l'équilibre pulsionnel, qui ont un effet sur la globalité de l'individu en somatisation.
- 3.6 Les somatisations
Le risque de somatisation se met en place lorsque les mécanismes de défense s'épuisent dans le temps, c'est alors que le soma prend le relais.
Lorsque la mentalisation ne fonctionne plus correctement et le sujet ne peut plus s'exprimer ni par le comportement ni par la verbalisation de ses expressions d'émotion ou de ses sentiments. Ce processus de la somatisation passe par des étapes et des paliers différents.
- 3.6.1 La somatisation conversionnelle
Au début l'aggravation et le maintien des symptômes du trouble de conversion sont souvent associés à des facteurs psychologiques tels que le stress, l'angoisse et l'anxiété dans la vie du sujet qui est soumis et exposé à ce stress à répétition.
Le trouble de conversion est une forme de somatisation, l'expression de phénomènes mentaux se présentant comme des symptômes somatiques physiques. Le trouble de conversion est l'expression de phénomènes mentaux se présentant comme des symptômes somatiques physiques.
« Le trouble de conversion a tendance à se développer à la fin de l'adolescence et au début de l'âge adulte, mais peut survenir à n'importe quel âge. Il est plus fréquent chez la femme, mais l'homme n'y échappe pas non plus.
Les symptômes du trouble de conversion se développent souvent brutalement et leur apparition peut souvent être liée à un événement stressant.
Typiquement, les symptômes comprennent des déficits apparents de la motricité volontaire ou des fonctions sensorielles, mais impliquent parfois des tremblements et des troubles de la conscience, des convulsions, une position des membres anormale évoquant un autre trouble neurologique ou physique général.
Par exemple, les patients peuvent avoir à la présentation un trouble de la coordination ou de l'équilibre, une paralysie ou une faiblesse musculaire d'un bras ou d'une jambe, une perte de la sensibilité d'une partie du corps, des crises convulsives, un état de non- réponse, une cécité, une surdité, une aphonie, des difficultés de déglutition, une sensation de boule dans la gorge, une rétention urinaire.
Les patients peuvent présenter soit un seul épisode, soit plusieurs épisodes répétés de conversion ; les symptômes peuvent devenir chroniques. Les épisodes sont généralement courts. »8
Le premier palier fait état de la somatisation de conversion, ce qui signifie c'est un état indiquant un trouble et un désordre psychique en devenir généralement la somatisation se manifeste par des eczémas, le psoriasis sur la peau du sujet, ou s'exprime par le tremblement des membres. Éventuellement le sujet peut être pris de tétanie, son corps se fige ou encore son rythme cardiaque peut être impacté, partant en tachycardie lorsque le sujet est en crise.
La conversion est un état de première catégorie, il y a des manifestations physiques en cours qui témoignent d'une problématique en voie d'expression puisque le corps a décidé de prendre le relais, car les autres manifestations d'expression par le comportement et l'expression d'émotions et des sentiments n'ont pu se faire dans le temps.
- 3.6.2 La somatisation fonctionnelle
La somatisation fonctionnelle prend le pas, en deuxième palier, lorsque le sujet a été soumis à une situation de stress ou la perte qui s'est prolongée dans le temps et les symptômes ont préalablement été ressentis et formulés par des plaintes répétitives du sujet.
Les manifestations fonctionnelles sont aussi une expression d'origine en conflit avec la représentation. Elles entrainent une modification physiologique pathologique.
Il est probable que le sujet ne pouvant s'exprimer de manière directe, les mouvements affectifs passent dans la physiologie de manière inappropriée. Ces manifestations sont réversibles et correspondent à un dysfonctionnement physiologique sans lésion, ni séquelles à ce stade fonctionnel.
Les manifestations fonctionnelles peuvent être aiguës ou chroniques et toucher tous les appareils : elles peuvent être motrices, sensorielles, digestives, respiratoires, cardiaques, urinaires, génitales, neurologiques.
Les troubles végétatifs peuvent se mettre en place, éventuellement avec des troubles hormonaux, des spasmes gastriques et aussi des angines blanches. Les maladies auto-immunes font partie de l'éventail de la somatisation fonctionnelle.
La Fibromyalgie, une pathologie encore peu connue du grand public avec ses effets de maux musculaires et des articulations s'accompagnant de fatigue chronique s'inscrit elle aussi dans la somatisation fonctionnelle. Pareillement, beaucoup de sujets souffrent du syndrome de l'intestin irritable avec de grandes fragilités et, dans la même mesure, on trouve beaucoup de cas de syndrome d'hyperventilation et de douleurs thoraciques d'origine non cardiaque.
Les différents symptômes sont fréquemment associés entre eux. Ils sont associés à la détresse psychique, à la dépression et à l'anxiété, et à des facteurs de risque communs.
La différence avec les précédents symptômes est qu'il y a une inscription neurofonctionnelle avec effet biologique et donc le trouble s'est possiblement automatisé. Les troubles se sont installés et sont devenus chroniques, ils semblent installés, ce qui implique une modification durable dans le corps.
On retrouve les divers symptômes douloureux déjà énumérés pouvant toucher tous les appareils. Les symptômes gastro- intestinaux vont plutôt être du type ballonnements, diarrhée, gastrite et des ulcérations à ce stade. Au dernier stade il s'ensuit un épuisement des surrénales, une atrophie du thymus, des ulcères gastriques graves. Le diagnostic se fait devant des circonstances évocatrices souvent en lien avec un affrontement ou un conflit- internes ou externes, un harcèlement au travail, ou un conflit familial.
- 3.6.3 La somatisation lésionnelle
La somatisation lésionnelle est l'ultime stade de la somatisation. Il est souvent le plus sévère et souvent irréversible pour le sujet et par moment son issue est fatale.
Le sujet à ce stade a souvent enduré beaucoup de stress et d'angoisse, vécu des moments d'anxiété, et est préalablement passé par les deux autres stades pour terminer au stade lésionnel.
Les pathologies en lien avec les somatisations sont la maladie de Cohn, la rectocolite hémorragique, des ulcérations de l'estomac graves, le cancer de l'estomac qui fait de plus en plus de ravage en milieu hospitalier.
En somme tous les cancers en hématologie, toutes formes de lymphomes en général, dont la maladie de Hodgkin, y trouvent leur place.
Selon les études de cas clinique du Dr Lipowski : « Plusieurs études cliniques et épidémiologiques montrent une forte association entre somatisation et troubles dépressifs et anxieux.
Entre 10 et 30 % des patients avec un diagnostic de trouble dépressif se présentent avec des symptômes somatiques : ils se plaignent essentiellement de symptômes physiques liés à l'état dépressif, la fatigue et la perte pondérale et minimisent la partie affective et cognitive du trouble.
Les troubles anxieux se manifestent souvent par des symptômes somatiques de type douleurs thoraciques, palpitations ou vertiges qui peuvent amener le patient à consulter un médecin somaticien plutôt qu'un psychiatre. Il y a là un continuum, entre la situation ou le patient décrit d'abord des plaintes somatiques, mais est capable d'exprimer une souffrance psychologique et celle ou l'élargissement de la plainte au vécu psychique est impossible. »9
Tous ces cas cliniques ont une chose en commun c'est la difficulté à exprimer leurs émotions. Le « mal dit » ou « le non-dit » prend tout son sens dans ces cas cliniques du sujet en train de somatiser. Ils passent dans un mode de « pensée opératoire ».
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