Les smartphones ont-ils détruit une génération ?

Plus à leur aise en ligne que dans une fête, les post-Millénials sont plus en sécurité que les adolescents ne l'ont jamais été. Mais sont à deux doigts de la crise liée à la santé mentale.

1 JUIN 2018 · Lecture : min.
Les smartphones ont-ils détruit une génération ?

Jean M. Twenge, professeur de psychologie à l'Université de San Diego étudie les différences générationnelles depuis 25 ans. Les caractéristiques permettant de définir une génération se construisent petit à petit, selon un continuum. Les croyances et comportements en développement continuent ainsi à se maintenir.

Elle a noté en 2012 d'abrupts changements dans les comportements et états émotionnels des adolescents, et certains traits caractéristiques des Millenials ont commencé à disparaître au fil des ans. La plus grande différence entre les Millenials et leurs prédécesseurs était la façon de voir le monde ; les adolescents d'aujourd'hui ne partagent plus leur point de vue, ni leur façon de passer leur temps. Ce qu'ils vivent chaque jour est radicalement différent de ce que vivent ceux qui sont nés quelques années avant.

Mais qu'est-il arrivé en 2012 pour causer un tel changement de comportement ?

Pour Jean M. Twenge, c'était après la Grande Récession, qui a duré officiellement de 2007 à 2009. Mais elle note que c'est surtout le moment où la proportion d'Américains ayant un smartphone a dépassé les 50%.

Au fil de ses enquêtes et entretiens avec des adolescents, elle a pu noter que cette génération est sculptée par le smartphone, et par la montée concomitante des réseaux sociaux. L'iGen, comme elle l'appelle, est une génération de jeunes nés entre 1995 et 2012, grandissant avec les smartphones, ayant un compte Instagram avant le lycée, et ne connaissent pas l'époque d'avant Internet. Les Millenials ont aussi grandi avec le web, mais il n'était pas aussi présent dans leur vie, à portée de main nuit et jour.

L'arrivée du smartphone va bien plus loin que les problèmes que l'on connaît déjà (troubles du sommeil, de la concentration, etc.). Elle a radicalement changé tous les aspects de la vie des adolescents, depuis la nature de leurs interactions sociales jusqu'à leur santé mentale. Ces changements affectent les jeunes sans distinction.

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Cependant, pour Jean M. Twenge, l'important n'est pas d'être nostalgique d'une autre époque, mais de comprendre ce qu'il se passe aujourd'hui. Certains changements générationnels sont positifs, d'autres négatifs, parfois les deux à la fois. Ainsi, plus à l'aise dans leur chambre qu'à faire la fête, les adolescents d'aujourd'hui sont physiquement plus en sécurité qu'ils ne l'ont jamais été. Ils ont remarquablement moins de chance d'avoir un accident de voiture, ont moins le goût de l'alcool que leurs prédécesseurs, et ont moins de risques d'avoir des maladies liées à l'alcool.

Physiologiquement, pourtant, ils sont plus vulnérables que les Millenials. Les taux de suicide et de dépression adolescents ont bondi depuis 2011. Il n'est pas exagéré de dire que l'iGen est à deux doigts de la plus grande crise liée à la santé mentale depuis des décennies. Et la plupart de ces problèmes viennent des téléphones.

"Nous avons des preuves que ces appareils que nous avons placé dans les mains des plus jeunes ont des effets sérieux sur leur vie, et les rendent profondément malheureux", Jean M. Twenge

La notion d'indépendance, si chère aux générations dès les années 70, a moins d'attrait pour les jeunes aujourd'hui, eux qui ont beaucoup moins tendance à sortir de chez eux sans leurs parents. Les adolescents aujourd'hui ont aussi moins tendance à avoir des rendez-vous amoureux, et connaissent également un déclin de l'activité sexuelle. Ils ont généralement leur premier rapport sexuel à 17 ans, soit un an plus tard que la génération précédente. Comme conséquence positive, cette génération actuelle est aussi celle qui connaît le moins de grossesses adolescentes.

Même avoir le permis, symbole de la liberté adolescente, se fait plus tard, et la plupart des adolescents le passent car ils y sont poussés par leurs parents. Mais il est vrai que l'indépendance n'est pas gratuite, et, aux époques précédentes, les adolescents travaillaient souvent, avec l'envie de financer leur indépendance ou poussés par leurs parents à apprendre la valeur de l'argent, ce qui est beaucoup moins le cas actuellement.

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Bien sûr, repousser les responsabilités adultes n'est pas typique de l'iGen. La génération X, dans les années 90, a été la première à repousser les marqueurs traditionnels de l'adulte, notamment en commençant une carrière, en se mariant et en ayant des enfants plus tard que les Baby Boomers.

Pourquoi les adolescents attendent-ils si longtemps avant de prendre les responsabilités et plaisirs de la vie d'adulte ?

Les bouleversements économiques et l'éducation ont évidemment un rôle à jouer. Mais si les adolescents d'aujourd'hui ont plus de temps libre car ils n'ont pas de travail (autre que leurs devoirs), que font-ils ? Ils sont dans leur chambre, sur leur téléphone, car ils n'ont pas besoin de quitter la maison pour passer du temps avec leurs amis. Ils sont souvent seuls et angoissés.

Ironiquement, même s'ils passent beaucoup plus de temps sous le même toit que leurs parents en comparaison avec les précédentes générations, les adolescents ne peuvent pas se dire aussi proches d'eux que ne l'étaient leurs prédécesseurs. Et effectivement, ils sont souvent concentrés sur leur téléphone et éludent les conversations. De même, le nombre d'adolescents passant du temps avec des amis a chuté de 40% entre 2000 et 2015. Et il ne s'agit pas de quelques adolescents en moins qui ne font plus la fête : populaires ou non, bons élèves ou non, peu importe la situation économique, ils ont tous déserté les piscines, stades et skate-parcs au profit d'espaces virtuels.

On pourrait penser que, s'ils passent tant de temps sur ces espaces virtuels, c'est parce que cela les rend heureux, mais les données montrent que ce n'est pas le cas. Une étude menée par l'Institut National de la Toxicomanie a suivi des adolescents entre 1975 et 1991, et a mesuré leur taux de bonheur a travers plus de mille questions. Les résultats ne peuvent pas être plus clairs : les adolescents qui passent plus de temps que la moyenne sur les écrans ont plus de risque d'être malheureux, alors que ceux qui passent moins de temps que la moyenne sur les écrans ont plus de chance d'être heureux.

Il n'y a pas d'exception. Toutes les activités sur écran sont liées à une diminution du bonheur, et toutes les activités qui ne se font pas sur écran à plus de bonheur. Les adolescents de 14 ans qui passent 10 heures ou plus par semaine sur les médias sociaux ont 56% plus de risque de dire qu'ils ne sont pas heureux que ceux qui y passent moins de temps. Ce taux chute à 47% pour ceux qui utilisent les médias sociaux entre 6 et 9 heures par semaine.

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"Si vous vouliez donner un avis pour une adolescence heureuse à partir sur cette enquête, il serait direct : pose ton téléphone, éteins ton ordinateur, et fais quelque chose, n'importe quoi, qui n'implique pas un écran", Jean M. Twenge

Les réseaux sociaux nous promettent de nous connecter à nos amis. Mais le portrait de l'iGen qui ressort de ces études montre qu'il s'agit d'une génération seule et disloquée. Les adolescents qui vont chaque jour sur les réseaux sociaux mais voient moins leurs amis en personne ont plus de chance de s'identifier aux affirmations "je me sens souvent seul", "je me sens souvent mis de côté" et "j'aimerai souvent avoir plus de bons amis". Le sentiment de solitude qu'ils ressentent a atteint un sommet en 2013 et n'est jamais redescendu depuis. Attention, cela ne signifie pas que, à un niveau individuel, les enfants qui passent du temps en ligne sont plus solitaires. En règle générale, les adolescents d'aujourd'hui passent plus de temps avec leurs amis en personne. Mais chez ceux qui voient moins leurs amis et passent plus de temps sur les écran, la solitude est plus commune.

Et c'est aussi le cas de la dépression... Une fois encore, on ne peut pas manquer l'influence des écrans. Plus les adolescents passent de temps sur les écrans, plus ils reportent des signes de dépression. Les adolescents qui passent trois heures ou plus chaque jour sur des appareils électroniques présentent à 35% plus de facteurs à risques suicidaires, comme faire un plan de suicide. Depuis 2007, le taux d'homicide chez les adolescents a chuté, mais celui de suicide a grimpé.

Quel est le rapport entre les smartphones et la détresse psychologique des adolescents ?

Bien qu'ils aient le pouvoir de relier les adolescents nuit et jour, les médias sociaux exacerbent aussi la crainte séculaire des adolescents d'être mis à part. Lorsque qu'ils se retrouvent, ils documentent leur regroupement sur les réseaux sociaux, ce qui fait que ceux qui ne sont pas invités se sentent vraiment mis de côté. Comme l'augmentation du sentiment de solitude, celui de se sentir mis à part a aussi grimpe drastiquement.

C'est quelque chose qui touche particulièrement les filles. Elles utilisent plus souvent les médias sociaux, et ont donc plus de risques de se sentir exclues et seules. Mais les réseaux sociaux ont aussi une taxe psychique sur celles qui postent, qui attendent anxieusement l'affirmation par les commentaires et les likes. Les conséquences des réseaux sociaux sont aussi plus fortes pour les filles, qui ont plus de risque d'être victimes de cyber-harcèlement.

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Qu'est-ce que l'utilisation des téléphones dit de nous ?

Em 2014, le téléphone d'une jeune fille a surchauffé et a pris feu dans son lit, pendant qu'elle dormait. Curieuse de savoir pourquoi elle dormait avec son téléphone, Jean M. Twenge a demandé a ses élèves où se trouvait leur téléphone pendant leur sommeil. Presque tous dormaient avec leur téléphone, sous leur oreiller ou sous le matelas, ou à portée de main à l'extérieur du lit. Ils allaient sur les réseaux sociaux avant de dormir, et prenaient leur téléphone dès qu'ils se réveillaient. Tous l'utilisaient aussi comme réveil. Leur téléphone était la dernière chose qu'ils voyaient avant de s'endormir, et la première lorsqu'ils se réveillaient. Ils avaient aussi tendance à le regarder la nuit s'ils se réveillaient. Beaucoup utilisaient d'ailleurs le langage de l'addiction ("je sais que je ne devrais pas, mais je ne peux pas m'en empêcher"). D'autres expliquaient que le téléphone était une extension de leur corps, voire un amant ("ça me réconforte d'avoir mon téléphone près de moi quand je dors").

Un réconfort, mais qui empêche de dormir, quand on sait que la plupart des adolescents dorment moins de sept heures par nuit, et que c'est souvent dû à l'utilisation des smartphones (beaucoup moins qu'à la télévision). Les enfants qui utilisent des supports électroniques avant de dormir ont tendance à moins dormir que ce dont ils ont besoin, à moins bien dormir et ont deux fois plus de risques de s'endormir dans la journée. Et le manque de sommeil cause de nombreux troubles, qui peuvent continuer à se manifester à l'âge adulte :

  • Difficultés à penser et à raisonner
  • Sensibilité aux maladies
  • Prise de poids
  • Augmentation de la tension
  • Dépression et anxiété.

Demander à ses enfants de lâcher totalement leurs écrans est une demande irréaliste. Mais nous devons leur apprendre à les utiliser raisonnablement, avec modération.

Photos : Shutterstock

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Commentaires 1
  • AniA

    J'ai 55 ans et je reconnais quant aux like que j'attendais de mes proches, desquels je suis éloignée géographiquement et lorsque je n'en avais pas cela me peinait, vu mon la période dans laquelle j'ai grandi, j'ai eu cette chance de réaliser que c'était complétement absurde et sans réelle importance, donc j'en suis vite revenue. Nous sommes définitivement dans une ère nouvelle et qui bouleverse les aspects culturels et surtout des relations humaines, qui se déshumanisent....

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