Pensée socratique aujourd’hui, nous et l’entreprise

Pour avancer dans l’existence, nous avons besoin des autres. Nous communiquons pour apprendre, nous enrichir, progresser, connaître.

15 MARS 2019 · Lecture : min.
Pensée socratique aujourd’hui, nous et l’entreprise

Pour quelle obscure raison doit-on chacun revenir dans sa vie – et pas qu'une seule fois ! - à l'origine des questionnements qui furent posés par Socrate, puis Platon ?

L'histoire de la pensée socratique, c'est d'abord une manière de poser l'origine de la pensée et de construire une sorte de psychologie de la connaissance doublée d'une philosophie de la connaissance. Le travail socratique est inscrit dans les œuvres de Platon sous forme de dialogue. Nous dialoguons tous mais connaissons-nous vraiment le sens du mot dialogue et sa vertu originelle ? Pas vraiment.

Allons-y…

Le mot dialogue se scinde en deux parties, la dyade et le logos, qui étymologiquement, signifient respectivement la multiplicité (au moins deux, la dualité) pour le premier terme, raison/logique et langage structuré pour le second. Le dialogue peut ainsi se comprendre comme l'échange au moyen du langage structuré logiquement d'une multiplicité de propos exposés logiquement par des individus différents ; la logique dans le dialogue est une façon d'argumenter, d'exposer avec rigueur des idées dans une visée de la vérité. Dialoguer, c'est être au moins deux, à parler selon des principes de la rationalité et un ordre dans le langage.

La logique, la raison et le langage structuré dans le dialogue permettent de mettre à jour des différences d'opinion, de jugement, de pensée. Ces différences sont entendues en deux sens : ou bien elles sont irréconciliables et conflictuelles, ou bien elles s'entretiennent les unes les autres positivement pour se dépasser et accéder à un nouveau niveau de discours qui logiquement dépasse les conflits et les contradictions.

Pour avancer dans l'existence, nous avons besoin des autres. Nous communiquons pour apprendre, nous enrichir, progresser, connaître. Le meilleur moyen de se connaître soi-même, c'est le dialogue.

Au sens philosophique et psychologique, autrui dans le dialogue est le médiateur indispensable entre moi et moi-même, autrement dit entre moi qui m'ignore et moi-même qui commence à me connaître.

Le dialogue est une interaction au sens où la pensée agit avec autrui dans la parole pour construire quelque chose, au moins les conditions de recherche de la vérité (sur soi, les autres et le monde), ou d'une vérité subjective (cette formule dépasse la pensée socratique qui nie la valeur d'une vérité subjective). Le dialogue socratique nécessite une mise à jour...

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Ce préalable indiqué, posons-nous cette question simple :

Dialoguons-nous vraiment et apprenons-nous vraiment dans le dialogue avec les autres ?

Pas toujours. Les raisons sont plurielles et nous allons examiner un peu plus ce qui lèse le dialogue.

Premièrement, les interlocuteurs qui se font face dans le dialogue parlent en demeurant arrimer à leurs propos ; ils sont prisonniers de la vanité, l'orgueil, la fierté, la fatuité...c'est que, en général, un individu prendra toujours plus de plaisir à penser qu'il a raison au risque de dire des âneries que de dire qu'il a tort. Or, bien dialoguer selon Socrate exige de l'humilité ; on ne saurait progresser sans reconnaître que l'on ne sait rien. Il faut bien initialement ne pas savoir, pour ensuite savoir. C'est de bon sens.

La logique permet à Socrate de formuler des questions décisives qui, à l'image d'une « torpille », font exploser l'édifice de pseudo connaissance d'un interlocuteur réfractaire à la bonne foi ; poser une bonne question, c'est mettre un interlocuteur en difficulté qui ne sait quoi répondre et éprouve une honte qui le déstabilise. Nous avons tous déjà rencontré un individu que nous qualifierons de « grande bouche » pour être poli. Poser une question décisive permet de faire taire celui qui ne sait rien.

Cette première raison en apparence guerrière ne doit pas occulter la bonne foi qu'un dialogue bienveillant est censé revêtir.

Le deuxième point pose tout autant problème que le premier bien qu'il soit bien différent en ce qu'il relève de la bonne foi d'un interlocuteur. Chaque personne qui se livre dans un dialogue y expose ce qu'il considère comme étant défendable et authentiquement ce qu'il pense juste, vrai ou bon. Chaque personne met dans le dialogue son intériorité psychologique particulière, ses opinions, ses convictions, ses avis, ses jugements, ses expériences, ses désirs, ses idées sur tout : le bonheur, la vérité, la politique, l'art, la télé, la liberté, la poterie et la mode, la théorie du complot et la coiffure de Donald Trump.

D'où viennent en général nos opinions (celles que nous défendons le plus dans le dialogue) que nous considérons les plus authentiques ? C'est ce point qui pose problème car, quand on examine de plus près l'origine de ce que nous défendons, nous arrivons à des racines inauthentiques. En d'autres termes, ce que je défends le plus ne vient pas de moi-même. Ce qui, en soi, ne pose pas problème quand cela concerne une vérité scientifique. Quand cela concerne des opinions, des croyances, des désirs, il en va autrement.

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Nos opinions, qui sont « personnelles », ont souvent une origine impersonnelle, héritée de l'opinion publique, du mimétisme, des processus divers de socialisation, de la publicité, de la manipulation, de la mode, de l'environnement social, de la culture. Nos désirs ne sont pas épargnés dans la mesure où nous désirons aussi à la manière des autres, d'une société. De plus, beaucoup de nos opinions sont issues de nos perceptions, purement subjectives et individuelles, que nous aimerions universaliser dans un discours ; nous forçons le processus d'universalisation illégitimement et défendons des discours indéfendables, avec généralement la seule garantie d'un discours fort (parler fort, être intransigeant, absence de nuance, stratégie langagière et rhétorique, sophistique). Un discours qui impose et ne propose rien ne dit pas grand-chose et ne profite qu'à celui qui le profère. Et encore...

L'introspection est l'acte par lequel j'examine et pose à plat les éléments qui composent mon identité afin de les questionner, les remettre en question et discerner s'ils sont « réellement » défendables, solidement démontrés, rationnels ou irrationnels, s'ils sont vraiment du moi. L'introspection a des bienfaits ; prendre conscience de soi et se questionner sur soi peut se définir comme processus d'individuation et de construction de soi.

Le troisième point qui nous interpelle concerne le manque d'objectivité et de distance de l'introspection que le dialogue peut en partie résorber. Dans le dialogue bienveillant, nous apprenons la distance critique positive, les apports réflexifs des autres. Le dialogue participe à la co-construction de l'identité de soi en devenir. Dans l'introspection, je suis à la fois sujet et objet, double posture difficile à tenir. Introspection et dialogue s'enrichissent mutuellement.

Ces quelques considérations invitent à réfléchir sur nos manières personnelles de livrer dans le dialogue ce que nous pensons être notre vie, notre vécu, nos sentiments, nos opinions, nos convictions, nos désirs. Nous dialoguons bien plus que nous ne méditons sur nous-mêmes, ne serait-ce que par le temps que nous passons au travail. Autant dialoguer avec méthode, humilité, logique, bienveillance et bonne foi. La culture d'entreprise reprend à son compte de plus en plus cette manière de dialoguer pour que les salariés se réalisent au travail dans une communication bénéfique accompagnée d'un souci pour le bien être intérieur de chacun.

Photos : Shutterstock

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Écrit par

Maxime Le Bihan

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