Quand toucher n'est plus jouer...

Savoir faire la différence entre les jeux sexuels spontanés et normaux chez les enfants, et ce qui n'en relève pas, ou plus, et s'appelle alors abus...

3 JUIL. 2017 · Lecture : min.
Quand toucher n'est plus jouer...

Bien que le sujet reste encore tabou en France, différents pays dont les Etats-Unis, l'Angleterre ou encore l'Australie ont commencé à étudier les abus sexuels entre enfants depuis plusieurs années déjà, et notamment les incestes dans la fratrie. Or, il ressort de ces études que ce type d'incestes serait plus fréquent que l'inceste parent /enfant... Cela laisse imaginer le nombre de victimes, laissées pour compte le plus fréquemment, car malgré les chiffres affligeants, le silence perdure autour de cette épineuse question.

Épineuse, car les repères deviennent flous lorsqu'on parle d'abus entre enfants : lorsqu'un adulte abuse un enfant, on identifie bien l'agresseur. Quand c'est un enfant, les choses se troublent : on ne veut pas voir, et on banalise par le fameux « touche pipi » : tous les enfants font ça !

Tous les enfants ont un développement psycho-sexuel qui passe par différents stades, certes. Et au cours de ces stades nous retrouvons ce fameux « touche pipi », puis le plus élaboré « jeu du docteur » pour citer les plus connus. Lorsque tout se passe normalement, ces explorations sexuelles se font sous la forme du jeu justement. « On va jouer au papa et à la maman », ou « on va jouer à je te montre mon zizi et tu me montres ta zézette ! », etc. Or, une des trois conditions fondamentales pour pouvoir parler de jeu est la participation spontannée, active et consentante de chacun des partenaires. Nous sommes donc dans des jeux normaux d'exploration sexuelle lorsque chaque enfant est co-acteur du jeu. Si on oblige à jouer, le jeu disparaît aussitôt.

Face à ces comportements naturels, les parents doivent poser un cadre sécure et épanouissant pour l'enfant, afin que ce dernier apprenne à moduler ses façons de traduire sa curiosité sexuelle, et les limites à ne pas franchir : inceste, respect du non-désir de l'autre et de l'intimité, etc. Malheureusement, bien des enfants ne bénéficient pas de ce cadre propice au bon développement de leur sexualité, et se retrouvent dans des situations de comportements sexuels inadaptés voire de véritables abus sexuels, desquelles aucun adulte ne vient les sortir !

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Mais quand glisse-t-on dans l'abus lorsqu'on est enfant ?

Différents facteurs peuvent amener un enfant à abuser dans sa fratrie ou parmi ses pairs : souvent, le manque d'investissement des parents, voire une défaillance parentale avérée. Parfois, l'enfant a été lui-même victime d'abus (qu'il soit physique, moral ou sexuel). Les dysfonctionnements psychologiques dans les transactions familiales (enfant mis en position d'adulte/conjoint d'un des parents par exemple, ou enfant roi préféré à qui l'on n'interdit rien) et bien d'autres facteurs peuvent faire le lit d'un passage à l'acte abusif.

L'abus a donc lieu lorsque l'un des enfants oblige de façon directe ou tacite (menace, chantage, utilisation de sa position dans la famille, etc) l'autre à se soumettre à des pratiques sexuelles non souhaitées et/ou inadaptées à l'âge de l'enfant. On comprendra donc aisément que l'on parle d'abus lorsqu'un frère de 12 ans demande à sa sœur de 8 ans de lui « lécher » le zizi en lui faisant croire que c'est un jeu et que c'est normal ! Parler de « touche pipi » dans ce cas est un déni intolérable !

D'une manière générale, toute situation ou :

  • il y a un décalage entre l'acte sexuel réalisé et le degré de développement psycho-sexuel de l'enfant. (Exemple d'un enfant de 4 ans qui veut mettre son zizi dans les fesses d'un autre...)
  • l'acte se répète dans le temps, malgré, lorsqu'il a lieu, le recadrage des parents. (Différentes études donnent des durées d'abus dans la fratrie d'en moyenne 4/5 ans!)
  • il y a utilisation de la violence pour parvenir à ses fins, doit absolument alerter et faire réagir !

De même, un enfant qui manifeste un comportement sexuel inapproprié, même sans avoir abusé un autre, doit retenir toute l'attention car c'est un enfant qui d'une façon ou d'une autre est confronté à un dysfonctionnement au sein de sa famille ou de son entourage autour de la question sexuelle, et peut du coup, « malgré lui », avoir un comportement abusif sur un autre enfant...

Si l'on ouvrait les yeux sur ces enfants perdus dans une sexualité qui les déborde et qui pour nombre d'entre eux traduisent de manière sexuelle une souffrance sous-jacente, il y aurait beaucoup moins d'abus, et donc beaucoup moins de victimes laissées de côté sur les bancs de la société. On est dans le déni car on ne veut pas remettre la famille en question. Car on ne veut pas accepter de regarder ses éventuelles défaillances de parents. Car on ne veut pas se mêler de la sexualité des enfants, car cette sexualité de l'enfant perturbe, dérange : elle met mal à l'aise. Il est pourtant de notre devoir d'adulte de protéger les enfants, non ?

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Ce déni engendre une souffrance à long terme chez les victimes que nous retrouvons, pour celles qui osent sortir du silence, dans nos cabinets en ville. Or, on note avec les différents chercheurs que les conséquences sont les mêmes que les victimes d'incestes parents/enfants ! Le psychotraumatisme à l'oeuvre engendre les mêmes mécanismes (figement, dissociation, mises à distance des ressentis et émotions, etc.) et les mêmes symptômes : dépression, angoisses, troubles alimentaires, comportement à risque, troubles sexuels, addiction et tant d'autres encore...

Mais la spécificité des abus entre enfants et surtout de l'inceste frère/soeur que l'on peut noter est le rejet (familial mais aussi sociétal!) que les victimes subissent, ce que j'appelle pour ma part la double peine : d'une part elles ont subi un abus, et ensuite, comme elles dérangent avec leur souffrance le petit équilibre familial et sociétal, elles se font mettre de côté, de façon détournée souvent, et reléguer au rang de canard boiteux et trop fragile de la famille... L'agresseur lui n'est pas remis en cause et garde sa place intacte dans cette dernière. Ce qui ne fait qu'accroître la douleur psychologique ressentie par la victime qui, en présence de ses proches, revit en permanence l'injustice de la situation. Nombre de ces victimes sont alors amenées, pour se protéger, à couper les ponts d'avec un ou plusieurs membres de leur famille. La souffrance associée à l'isolement n'en rendent leur parcours que plus difficile à vivre.

C'est pourquoi :

  • Il est urgent de sortir du déni et de regarder en face les faits étudiés et relayés par de nombreux pays déjà !
  • il faut que les parents et autres adultes entourant l'enfant se rendent compte qu'oser voir qu'il y a un problème et faire appel à un professionnel si l'on n'arrive pas seul à gérer la question de la sexualité de ses enfants et de leurs troubles éventuels c'est être un parent bienveillant : fermer les yeux et laisser l'enfant victime (mais aussi l'enfant abuseur !) dans ce lien toxique et traumatique, c'est de la maltraitance.
  • Enfin, il faut que les victimes comprennent qu'elles ne sont pas les folles, fragiles, menteuses, ou encore aguicheuses consentantes qu'on veut leur faire croire, et qu'elles osent reprendre les rênes de leur vie et de leur désir propre en main en libérant leur parole auprès d'un professionnel compétent en la matière.

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Pour finir, un mot pour les victimes qui traînent ce lourd fardeau, secret, depuis des années : le chemin de la guérison n'est pas facile. Mais il est possible. Ne restez pas, comme vos familles ou la société (la plupart du temps) le font, dans le déni de votre souffrance.

Faites ce qu'ils n'ont pas fait : donnez-vous la parole, le droit d'être entendue et consolée.

Pour en savoir plus, retrouvez le livre "Quand toucher n'est plus jouer : Inceste frère/soeur et abus sexuel entre enfants" d'Anne Schwartzweber.

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Photos : Shutterstock

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psychologues
Écrit par

Anne Schwartzweber

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