Reconnaître les abus narcissiques et en guérir
Cet article explore comment l’abus narcissique reste souvent méconnu, tant pour la victime que pour son entourage. Il examine des stratégies telles que l’excès d’amour, l’isolement et le détournement cognitif, et comment en guérir.

Le conte de L'Enfant de Marie illustre les conséquences destructrices de grandir auprès d'une figure parentale narcissique. L'histoire suit une jeune fille, enlevée à l'âge de 3 ans et ensuite surprotégée tout en étant négligée par la Vierge Marie au Ciel. À l'âge de 14 ans elle est cruellement punie pour sa désobéissance et son mensonge, avant d'être chassée du Ciel et abandonnée dans la forêt.
Pour plus d'information, lire d'abord :
- Grandir avec un parent narcissique : Préparation à l'échec (https://www.psychologue.net/articles/grandir-avec-...)
- Grandir avec un parent narcissique : Projection du mal et intégration de la honte (https://www.psychologue.net/articles/grandir-avec-...)
L'excès d'amour narcissique (love bombing)
Dans ce conte, nous pouvons interpréter la mère de substitution Marie comme une figure narcissique habile à masquer sa véritable nature. Consciemment ou inconsciemment, elle agit de manière à dissimuler ses motivations profondes, en accomplissant des actions qui semblent bienveillantes. En surface, elle prodigue des attentions excessives à l'enfant sous sa garde, lui permettant de vivre dans un luxe inatteignable au Ciel. Cela correspond à la phase de l'excès d'amour, mise en avant par le narcissique pour créer un attachement, une dépendance, et un sentiment de confiance chez l'objet de sa manipulation.
Un signe d'alerte dans l'histoire est que l'enfant n'a aucune opportunité de grandir ou de mûrir. Elle ne développe pas de compétences essentielles, comme cuisiner ou gérer des tâches ménagères, et elle est isolée des autres, ne jouant qu'avec des petits anges. Ce manque d'interaction l'empêche d'apprendre à établir des relations et de gérer les conflits.
L'enfant est donc totalement dépendante de Marie dans tous les aspects de sa vie. Les personnes narcissiques ont tendance à isoler l'objet de leur affection pour exercer un maximum de contrôle.
Mais, comme cela arrive souvent dans les relations à long terme avec un narcissique, il finit par être insatisfait du miroir qui lui est renvoyé. À partir du moment où cet approvisionnement (supply) ne suffit plus, les abus reprennent et s'aggravent. Il augmente lentement et progressivement son emprise, soit qu'il en veuille toujours plus, soit parce que l'autre se rebelle en prenant conscience de sa situation. Mais quand son contrôle perd son efficacité (l'enfant tient finalement tête à la Vierge Marie et dit non, je ne coopère plus), la personne dépendante est chassée et abandonnée sans autre explication.
Détournement cognitif (gaslighting)
Cette personne est si attachée à son manipulateur qu'elle perd alors tout contact avec la réalité. Cela permet au narcissique de la manœuvrer pour qu'elle endosse toutes les projections, comme décrit dans l'article "Grandir avec un parent narcissique : Projection du Mal et intégration de la honte". (https://www.psychologue.net/articles/grandir-avec-...)
L'enfant, sans défense face aux techniques de détournement cognitif de Marie, finit par croire qu'elle est la cause de ses malheurs. Elle porte ainsi tout le poids de la culpabilité et de la honte.
Lorsque la personne sous emprise commence à guérir et découvre un peu de bonheur et d'amour, le narcissique ne peut le supporter et s'efforce de ruiner toutes les possibilités de croissance. Dans le conte, Marie enlève successivement les trois bébés de sa fille, désormais devenue reine après son mariage avec le Roi qui l'a trouvée dans la forêt. Les narcissiques sont prêts à tout pour maintenir le statu quo, piégeant ainsi la personne dépendante dans leur projection, car reconnaître leur propre ombre signifierait leur destruction.
Traumatisme intergénérationnel et dissociation
Nous pouvons également analyser ce conte à travers le prisme du traumatisme intergénérationnel et de la dissociation. On peut voir Marie comme une femme qui, en raison de son propre traumatisme, peut-être hérité de son éducation, n'a pas pu développer son plein potentiel. Si elle n'a pas effectué le travail nécessaire pour surmonter ses blessures, elle ne sera pas en mesure d'offrir à sa fille le soutien dont elle a besoin pour s'épanouir.
Face à la rébellion, à l'éveil sexuel et à la maturation de sa fille, son traumatisme se réactive, devenant pour elle une source d'angoisse. Elle cherche donc à tout faire pour empêcher le développement naturel de sa fille, la maintenant ainsi dans un état de dissociation similaire au sien.
Dans sa douleur et sa souffrance, elle va à l'extrême. La fille, à son tour, subit ce même traumatisme et est vouée à reproduire ce schéma avec ses propres enfants.
En effet, elle agit ainsi ! En ne parvenant pas à mûrir ni à prendre ses responsabilités, l'enfant de Marie se retrouve privée de ses propres enfants, un par un. Ceux-ci finissent à leur tour par être abandonnés et élevés par la narcissique Marie.
Ce cycle de traumatisme se prolonge indéfiniment, jusqu'à ce qu'une personne décide de briser cette chaîne en s'engageant dans un travail ardu de guérison et de résolution du traumatisme. Ce processus peut être accompli, en partie, grâce à une thérapie ou une analyse à long terme.
Guérir consiste à intégrer une partie de notre ombre personnelle
Dans la psychologie jungienne, l'ombre représente les aspects refoulés, inconscients ou inacceptables de la personnalité, souvent projetés sur autrui, mais dont l'intégration est essentielle pour parvenir à une individuation et à une complétude psychique.
Dans Blanche-Neige et L'Enfant de Marie, la guérison des deux jeunes femmes réside dans l'intégration de leur ombre personnelle, mais chaque récit illustre ce processus de manière distincte, selon la nature de l'épreuve et les moyens de transformation.
Blanche-Neige
Dans la version originale de 1815 de Blanche-Neige, la princesse est empoisonnée par une pomme donnée par sa mère jalouse. Bien que visiblement morte, elle reste enfermée dans un cercueil de verre où elle peut encore percevoir la vie sans y participer : une image de dissociation, selon Marie-Louise von Franz. De même, le prince est incapable de ressentir de véritables émotions ou d'établir une relation authentique, car il est consumé par son obsession pour sa beauté physique et par la projection de son anima sur elle.
Dans la psychologie jungienne, l'anima représente le côté féminin inconscient de la psyché d'un homme, un archétype qui représente la totalité de sa vie émotionnelle, relationnelle et intuitive, et qui peut se manifester dans les rêves, les fantasmes ou les projections sur les femmes.
Quand le prince fait transporter Blanche-Neige sans cesse dans son château, personne ne prend pas au sérieux l'illusion de l'amour du prince. C'est finalement un serviteur, excédé par cet ordre absurde, qui secoue le cercueil pour exprimer sa colère. Ce geste libère Blanche-Neige du morceau de pomme coincé dans sa gorge.
Ainsi, c'est le contact physique avec la réalité qui brise l'illusion et la projection, permettant à Blanche-Neige de se réveiller, de retrouver ses émotions et sa capacité de relation, et finalement de devenir pleinement elle-même.
Le Roi Grenouille
Dans Le Roi Grenouille, une princesse doit tenir une promesse faite à une grenouille en échange d'un service. Cette grenouille, exigeante et intrusive, pousse la princesse à bout. Finalement, dans un accès de colère, elle la jette contre le mur. Cet acte violent rompt le charme et révèle que la grenouille est en réalité un roi ensorcelé. Ici encore, la colère agit comme un catalyseur, permettant de dépasser l'illusion et de restaurer la vérité.
L'Enfant de Marie
Dans le conte de L'Enfant de Marie, la jeune fille élevée par la Vierge Marie chute après avoir désobéi en ouvrant une porte interdite. Sa guérison nécessite des années de travail : un an seule dans la forêt pour mûrir et apprendre à prendre soin d'elle-même, puis trois ans dans une relation curative mais imparfaite avec le roi.
Ces années sont marqués par l'exil, la souffrance et le silence. Lorsque ses enfants disparaissent mystérieusement, le peuple l'accuse d'infanticide, et elle est condamnée à être brûlée vive. Après avoir subi de terribles abus, elle a enduré ces punitions grâce à sa dissociation, mais le désespoir et la menace de la mort par le feu provoquent sa transformation.
En tant qu'énergie, le feu est passionné et colérique : une force dont il faut tenir compte.
La colère du peuple, exprimée par le feu, brise l'illusion de l'amour que le roi lui porte. En reconnaissant son ombre, la reine est pardonnée, et le feu s'éteint. La Vierge Marie lui rend alors sa voix et ses enfants, lui offrant la possibilité de vivre pleinement son potentiel et de s'engager dans une véritable relation.
L'histoire semble se clore là, mais que se passe-t-il après cela ? Qu'en est-il de Marie ? Elle retourne probablement au Ciel, mais elle n'est pas consciente de son propre mal. La partie d'ombre dissociée de Marie se renforcera à nouveau, la poussant à manipuler d'autres objets ou personnes. C'est un cycle commun chez les personnes narcissiques traumatisées, qui ne se rétablissent jamais véritablement.
Contrairement à Blanche-Neige et Hansel et Gretel, où les méchants reçoivent une punition juste, L'Enfant de Marie se termine différemment. Marie échappe à toute réconciliation, restant convaincue de sa propre justice. Elle restera dans son propre enfer privé jusqu'à la fin, bien que l'on l'appelle paradis dans l'illusion. Elle continuera à blesser et manipuler les autres, peut-être sans jamais s'en rendre compte.
Quant à l'enfant de Marie, la reine, elle fait un premier pas vers la guérison en intégrant son ombre infantile. Cependant, bien que ses enfants lui soient rendus et qu'elle ne soit plus accusée d'être une ogresse, la conclusion semble insuffisante. Elle reste vulnérable à de futures manipulations, même après avoir retrouvé sa voix.
Le véritable changement aurait été de voir l'enfant de Marie prendre activement position pour son bonheur, mais elle continue à endurer passivement. Bien qu'elle soit désormais reine et mère, elle vient à peine de commencer son chemin vers l'individuation.
L'individuation, selon Jung, est le processus psychologique par lequel un individu intègre les aspects inconscients de sa personnalité afin de devenir une personne plus entière.
En raison du traumatisme précoce et des abus narcissiques qu'elle a subis, son développement a été gravement entravé. En plus des défis naturels de la vie, elle doit faire le deuil de ce qui lui a été privé dans son enfance et sa jeunesse, un vide irréparable.
Cependant, il existe un espoir de guérison et de maturation complète avec le temps et un travail sur soi. Elle possède désormais sa voix, ses enfants et son mariage sacré avec le Roi, une union des contraires qui, selon le principe jungien de la fonction transcendante, porte en elle le potentiel de créer quelque chose de nouveau et d'intégrer les opposés pour engendrer une transformation psychique.
Si cet article vous touche et que vous souhaitez travailler avec une psychopraticienne ayant une connaissance approfondie des relations d'emprise, je vous propose de me contacter pour convenir d'une séance en ligne.
Bibliographie
Peggy Vermeesch (2023). Traumatisme intergénérationnel et guérison. Espace Francophone Jungien. https://www.cgjung.net/espace/accueil/peggy-vermee..
Marie-Louse von Franz (1970). Puer Aeternus. https://www.cgjung.net/mlvf/oeuvre/puer-aeternus.h...
The Original Folk and Fairy Tales of the Brothers Grimm : traduction anglaise de 2014 par Jack Zipes à partir des deux premières éditions des Contes de l'enfance et du foyer des frères Grimm de 1812 et 1815.
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