Réorienter la pratique du jeu vidéo pour développer des compétences psychosociales et se défaire des jeux violents

Dans le jeu, le personnage permet à la personne d'être ce qu'elle désire être et ou devenir ; la personne apprend d'elle-même dans le personnage et s'exerce à devenir une autre personne.

26 FÉVR. 2019 · Dernière modification: 4 MARS 2019 · Lecture : min.
Réorienter la pratique du jeu vidéo pour développer des compétences psychosociales et se défaire des jeux violents

Rentrée dans la 11ème « Classification internationale des maladies » de l'OMS en mai 2018, l'addiction aux jeux vidéos nécessite l'attention des parents et des praticiens psychologues qui élaborent une nouvelle clinique des addictions relatives aux écrans. La privation pure et simple des jeux vidéos n'est pas en tant que telle une solution pour les patients touchés par cette dépendance corrosive, qui brûle le psychisme et le potentiel de vie sociale des individus qui délaissent progressivement ce que nous nommons avec des pincettes la réalité.

On peut faire ici trois remarques afin de cibler préalablement les propos qui suivront : d'une part, le jeu vidéo est utilisé par les psychologues dans des cures spécifiques, d'autre part, des jeux vidéos enrichissent la réalisation personnelle et développent les compétences psychosociales, enfin, l'opposition réalité et virtualité n'est qu'une vision simple, pour ne pas dire simpliste de ce qui se noue dans la relation entre le joueur et son jeu. C'est par ce troisième point que nous entamerons notre réflexion.

Le couple virtuel-réel

Premièrement, il faut substituer le couple virtuel-réel (à savoir, au sens du philosophe Aristote, potentialité-actualisation) à l'opposition virtualité-réalité pour saisir la richesse en matière de compétences psychosociales qui se réalisent ou s'actualisent dans les jeux vidéos. Si l'on entend la virtualité du jeu comme privation de la réalité vraie alors en effet il n'y a rien de bon dans le jeu vidéo ; le jeu serait un isolement dangereux, une rupture sociale, une absence de tout ce que la réalité humaine apporte lorsque nous vivons avec les autres ; la réalité en ce sens aura la texture d'une présence effective, la virtualité du jeu vidéo son envers, une absence de tout. Or, cette opposition nous le disions ne tient pas. Dans le jeu vidéo, le joueur va mobiliser son potentiel et réaliser des éléments inactifs de lui-même sans le jeu. Très simplement : selon Aristote, un bout de bois est potentiellement une statue, un morceau de table ou de chaise, un instrument de musique, un combustible pour l'âtre de la cheminée...lorsque l'on agit sur ce morceau de bois effectivement, alors on actualise ou réalise quelque chose ; je décide de sculpter le morceau de bois et réalise une statue. Avec certains jeux vidéos c'est la même chose, chacun dispose de compétences psychosociales, de capacités inactives à activer : comprendre un problème ; solutionner un problème en établissant un choix justifié rationnellement dans la palette des choix disponibles ; développer l'estime de soi et la conscience de soi en déterminant les caractéristiques comportementales d'un personnage dans un jeu de rôle ; déterminer son rôle et loger sa propre personne dans un personnage...

Dans la vraie vie, nous sommes tous simultanément des personnes et des personnages. Ce n'est pas la fausseté du personnage qu'il faut mettre entre parenthèse mais bien plutôt mettre en exergue comme au théâtre ce que nous réussissons à mettre en œuvre dans le personnage où une part fondamentale de nous inactive se réalise. Dans le personnage, nous pouvons enfin exercer et déployer des qualités et facultés (l'empathie, la compréhension, la logique et le bon sens, l'anticipation et la prévision, la rapidité, la décision, la projection, la sociabilité, la force, l'humilité) que nous possédons virtuellement et qui voulaient se vivre, dans un jeu aussi. Dans le jeu, le personnage permet à la personne d'être ce qu'elle désire être et ou devenir ; la personne apprend d'elle-même dans le personnage et s'exerce à devenir une autre personne. Si l'on jette à la poubelle la notion de personnage d'un jeu vidéo en prétextant qu'elle est néfaste, artificielle, illusoire et mauvaise pour le joueur, on peut faire la même chose avec les personnages que nous jouons dans le monde social et refuser aussi d'aller voir une représentation théâtrale pour la même raison.

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Au siècle passé, Camus étourdissait les lecteurs avec sa description du théâtre social humain absurde. Jadis, les philosophes stoïciens définirent le monde social comme fête et foire, jeu et théâtre, en d'autres termes, une vie fausse dont il faudrait vivement s'extraire. Va-t-on tirer un trait à la manière des stoïciens sur le personnage ? Pour harmoniser nos propos, nous pouvons dire que le personnage, s'il n'est que fausseté, exige que l'on s'en éloigne, alors que le personnage qui permet l'actualisation de la personne se présente comme un pilier d'individuation plutôt que masque (le joueur ne se cache pas derrière son avatar ; il y met bien au contraire tout ce qu'il estime de lui-même comme ce qu'il aimerait voir advenir ; l'avatar, c'est le réceptacle du devoir-être, du devenir soi).

La "loi du jeu"

Deuxièmement, les psychologues eux-mêmes exploitent la « Loi du jeu » de certains jeux vidéos dans des cas de psychose infantile. On pourra citer notamment ici l'article « Du jeu au jeu vidéo. Sur l'intérêt des univers vidéo ludiques dans la clinique de la psychose infantile » d'Olivier Duris (Revue de l'enfance et de l'adolescence 2017/1, n°95, p. 85-98) : « Cet entre-jeu peut être décrit comme le jeu de l'entre-je, qui désigne le lieu où deux aires de jeux se chevauchent : celle du patient et celle du thérapeute. [..] Ainsi, l'enfant psychotique présentant un défaut au niveau de son propre appareil à penser, et donc une incapacité à profiter seul des possibilités de subjectivation offertes par les jeux vidéo, pourrait, par le biais d'un autre-sujet incarné par le thérapeute observant son jeu et effectuant des commentaires et des interprétations sur son rapport à l'avatar, se rapprocher de l'avènement de son Je et être amené à un début de subjectivation. »

La stimulation des compétences psychosociales positives  

Troisièmement, il y a effectivement dans certains jeux violents (FPS, Survival-horror) une faible stimulation des compétences psychosociales positives. Ces jeux sont surtout consommés par des joueurs de sexe masculin, jeunes, adolescents comme jeunes adultes (alors que les joueuses ont plutôt tendance à privilégier des jeux stratégiques, des jeux sociaux). Il faut certes du talent pour réussir dans ces jeux violents et la rapidité, la réactivité véloce, la précision et la dextérité, le « réflexe de survie » et le bon sens parfois s'y accomplissent. Mais c'est bien ce sentiment de violence et de peur dans l'impression vive d'images marquantes rythmées par la mort et le sang qui s'incruste dans le psychisme via ces jeux type FPS et Survival-Horror.

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Or, certains jeux stratégiques, des jeux de rôles, mobilisent en plus des capacités d'attention et de concentration qui supposent un apprentissage précis et ces compétences pourront être réinvesties dans la réalité. Réinvesties, ce mot est important. Alors que dans les FPS la plupart des compétences exploitées se résument au jeu lui-même, au tir, et ne sont pas actualisables dans la vie sociale. Dans les jeux de rôle (en ligne et ouvert), l'imaginaire s'éveille et le joueur vit son personnage dans une très grande histoire, un monde ouvert riche d'un scénario palpitant, cadencé par des rencontres dans un tissu de sociabilité numérique où empathie et altérité sont au fondement des personnages ; quoique très positif dans son but, le jeu de rôle présente des caractéristiques addictogènes aussi prégnantes que dans les FPS. L'apprentissage de l'automodération dans le jeu doit donc se s'apprendre dès le plus jeune ; il appartient aux parents de favoriser chez l'enfant et l'adolescent la maîtrise du temps passé au jeu, à expliquer les dangers de l'addiction aux jeux vidéos.

Tout n'est pas à jeter dans le jeu vidéo. Les psychologues n'hésitent pas à mettre à jour le rôle du jeu dans une thérapie bâtie sur l'espace transitionnel qu'est le jeu vidéo et nous invitons ici encore à consulter l'article de Duris. Pour tenter de réfléchir bien plus encore sur le couple virtuel/réel, nous proposons de lire aussi cet article de Duris, ainsi que deux autres articles tirés de Revue de l'enfance et de l'adolescence 2017/1 (n°95) : - Angélique Gozlan, « Envisager la création de masques virtuels...au sein des réseaux sociaux » (p. 33-46) – Thibaut Pannetier, Aziz Essadek et Gérard Shadili, « Virtuels, écrans et adolescents » (p. 99-112).

Photos : Shutterstock

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Écrit par

Maxime Le Bihan

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