Sous le voile de la honte, le souffle de la culpabilité

Il n’est pas rare, dans le cadre de mon travail de psychanalyste, que des patients viennent en séance traversés par un sentiment difficile à nommer.

19 JUIN 2025 · Lecture : min.
La honte ou la culpabilite

La honte : quand le regard de l'autre devient insupportable

La honte, c'est ce moment où l'on se sent vu, exposé, inadéquat. Elle n'est pas toujours liée à une faute réelle, mais plutôt à une sensation d'avoir été "démasqué", d'avoir révélé une part de soi que l'on voulait cacher. Ce peut être le corps, une émotion, un désir, une fragilité… Elle naît souvent dans l'enfance, à un moment où le regard des autres devient un miroir dans lequel on se sent en défaut.

La honte nous parle de notre relation à l'image que l'on veut donner — à ce que Freud appelait l'idéal du moi. Lorsqu'on s'en sent éloigné, un sentiment de dévalorisation peut apparaître. Et plus on garde cela pour soi, plus la honte s'enracine.

La culpabilité : quand on se sent avoir fauté

La culpabilité, elle, vient lorsque l'on a l'impression d'avoir transgressé une règle, blessé quelqu'un, ou manqué à une obligation. Elle s'appuie sur une faute, réelle ou fantasmée. C'est un sentiment qui peut être paralysant, ou au contraire pousser à la réparation, parfois de manière excessive.

En séance, il arrive que cette culpabilité ne trouve pas immédiatement sa cause. Elle peut être intériorisée depuis longtemps, transmise silencieusement dans l'histoire familiale ou dans le poids des attentes vécues.

Pourquoi consulter ?

Ni la honte, ni la culpabilité ne disparaissent en un claquement de doigts. Mais elles peuvent s'exprimer autrement. Être écouté dans un cadre bienveillant et sécurisé, sans jugement, permet de commencer à démêler ces affects complexes. Ce travail peut se faire en cabinet, mais aussi en visio, si cela vous convient mieux.

Consulter un psychanalyste, ce n'est pas être "malade". C'est, parfois, reconnaître qu'il y a quelque chose en soi qui mérite d'être entendu autrement. C'est s'autoriser à dire ce qui a été tu, ou à regarder ce qui a été longtemps évité.

Pour aller plus loin : Réflexions psychanalytiques sur les racines du regard, de la faute et du sentiment d'exil

En psychanalyse, la honte et la culpabilité sont deux affects souvent confondus, mais profondément distincts dans leur origine et dans leur structure. La honte n'est pas liée à une faute objective, mais à un sentiment d'exposition, d'inadéquation à une image idéalisée de soi. Elle surgit dans le champ du regard, là où le sujet se perçoit comme déficient. La culpabilité, quant à elle, naît d'une transgression – réelle ou fantasmatique – et implique une dette envers une loi intériorisée.

Honte et chute du regard : le mythe d'Adam et Ève

Pour illustrer la genèse de la honte, je souhaite revenir à l'un des mythes fondateurs de notre culture : celui d'Adam et Ève. Avant la chute, le couple originel vit dans l'insouciance du Paradis, où la nudité ne pose aucun problème. Ils ignorent la honte parce qu'ils ne se perçoivent pas encore comme des sujets séparés, sexués, regardés.

Le serpent vient bouleverser cette harmonie illusoire. Il séduit Ève, non seulement en lui proposant le fruit défendu, mais en éveillant en elle le désir de savoir et de toute-puissance. Par ce geste, Ève (et Adam à sa suite) transgresse l'interdit divin. Ce n'est pas tant le fruit qui est en jeu que la promesse de devenir « comme des dieux ». L'acte inaugure une perte irrémédiable : celle de l'innocence originelle.

L'effet immédiat de cette transgression n'est pas la culpabilité, mais la honte : « Leurs yeux s'ouvrirent, et ils virent qu'ils étaient nus. » Ce regard soudain sur eux-mêmes, médiatisé par la Loi divine, marque une cassure : ils se découvrent incomplets, exposés, vulnérables. Le paradis perdu est aussi la perte de l'illusion d'un moi tout-puissant, indifférencié, fusionné. La honte inaugure le sujet sexué, séparé, désireux, et pour cela... faillible.

Honte et narcissisme : Freud et Lacan

Freud, dans L'interprétation des rêves (1900), fait du Paradis une image de l'enfance, temps d'innocence où la honte n'a pas encore pris place. L'enfant, nu, ne connaît ni pudeur ni morale. Ce n'est qu'avec l'éveil du regard de l'Autre – souvent parental – que surgissent honte et angoisse. Le Surmoi ne s'est pas encore constitué, mais l'Idéal du Moi, cette instance héritée de l'image idéalisée parentale, commence déjà à exercer son pouvoir.

Freud introduira plus tard, dans Pour introduire le narcissisme (1914), la distinction entre narcissisme primaire et secondaire. C'est ce second narcissisme, construit à partir des investissements affectifs reçus dans l'enfance, qui permet au Moi de se constituer, tout en restant vulnérable au regard de l'Autre.

Lacan, reprenant et radicalisant cette perspective, introduira en 1936 la théorie du stade du miroir. L'enfant, se voyant dans le miroir, se reconnaît dans une image unifiée, source de jubilation... mais aussi d'aliénation. Cette image, soutenue par le regard de l'Autre, devient un modèle : l'Idéal du Moi. Dès lors, toute défaillance perçue face à cet idéal devient potentiellement honteuse. Le sujet se mesure sans cesse à une image qui le dépasse.

Ainsi, pour Freud comme pour Lacan, la honte est le fruit d'un écart entre ce que le sujet est et ce qu'il croit devoir être. Elle ne suppose pas une faute, mais une révélation : celle d'une faille, d'une limite, d'une exposition à un regard qui juge, qui sait, qui exige.

Honte et culpabilité : deux modalités de la perte

La culpabilité, quant à elle, survient lorsque le Surmoi, cette instance héritée des figures parentales et de la Loi, accuse le Moi d'une transgression. Là où la honte est une blessure narcissique, la culpabilité est une dette morale. L'une est silencieuse, corporelle, souvent indicible. L'autre peut s'exprimer, se confesser, chercher à être réparée.

Mais l'une comme l'autre confrontent le sujet à une perte : perte de l'innocence, perte de l'unité, perte du fantasme de complétude. Elles traduisent à leur manière la condition humaine, marquée par la séparation, le manque, le désir.

Du paradis perdu à la quête du sujet

En quittant le jardin d'Éden, Adam et Ève n'ont pas seulement perdu un lieu : ils sont devenus sujets. Sujet du désir, sujet du langage, sujet du regard. Ils ont découvert le poids de leur nudité, la complexité de leur corps, la responsabilité de leurs actes. Cette expulsion est aussi une naissance.

On peut faire ici un parallèle avec le développement de l'enfant : lui aussi passe, douloureusement, d'un état de fusion supposée à une position de sujet séparé, sexué, limité. Et dans ce passage, honte et culpabilité émergent comme des jalons essentiels. La honte vient signaler la perte de l'idéal. La culpabilité, celle de la Loi transgressée.

Mais ces affects, pour douloureux qu'ils soient, peuvent aussi être féconds. C'est souvent dans l'espace analytique qu'ils peuvent se dire, se penser, se transformer. Car la honte tue lorsqu'elle se tait, mais elle peut s'ouvrir à la parole, à condition de trouver une écoute qui ne juge pas et qui accueil.

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Écrit par

Céline Durand

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Bibliographie

  • L'Interprétation des rêves S. Freud (1900), Paris PUF (2010)
  • Nouvelles conférences d'introduction à la psychanalyse, S. Freud, 1933, Folio Essais (1992)
  • La honte de l'innocence, G. Pommier, « C'est pas moi! » - Lettre du Grape N°47

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