Les troubles alimentaires et la question de limite
Le trouble alimentaire est un motif récurrent en psychanalyse et psychothérapie. De quoi s'agit-il ? Je vous propose une lecture sous l'angle des limites du corps et de la période archaique
Le trouble alimentaire est un vaste sujet qui nous entraine vers cet au-delà des limites que la psychanalyse questionne souvent en terme de créativité et de destructivité.
La nourriture, la question des limites
La question du trouble alimentaire, c'est déjà une question de trop ou de pas assez. Trop de kilos, trop de poids, trop loin de l'image que je souhaiterais, pas assez de motivation, pas assez bien. En-dessus ou en deça d'un seuil idéalisé, c'est entre manque et surplus que nous pouvons poser l'hypothèse d'un corps qui n'a pas ou plus la capacité de sentir de se réguler et de se satisfaire de ce qui est réellement suffisamment bon pour lui. Le trouble alimentaire, c'est un trouble de la satisfaction.
Entre pulsion de vie et pulsion de mort, le trouble alimentaire oscille entre destructivité et toute puissance du corps. Un corps qui se détruit, un corps dont la jouissance va au-delà de sa propre destruction. Parfois oui il faut détruire pour reconstruire mais le danger de maigreur ou de surpoids va entrainer le corps dans des conséquences médicales souvent lourdes où le processus de reconstruction se heurtera au limites du réel. Les troubles alimentaires sont un engrenage qui a des effets secondaires sur la santé : troubles digestifs, complications dentaires, déséquilbre glycémique, déséquilibre du cycle menstruel, complications sur la fertilité, stress, fatigue, etc.
La relation au corps, c'est ce que le bébé va expériementer dans ses premières années de vie. Quand le bébé a faim, il a une sensation somatique, il pleure ou gigotte pour exprimer son anxiété voire sa colère projettée sur autrui trop long à venir lui apporter ce qu'il pourra l'apaiser. C'est un circuit pulsionnel qui part d'un besoin et se décharge par le corps. Le bébé, à ce moment là, est passif et dépend de son environnement. L'allaitement, au début à la demande pour le nourrison place au sevrage et à la diversification alimentaire, entrainant ainsi un processus naturel de séparation et d'une ouverture vers autre chose que la mère ainsi qu'avec l'introduction de la notion de rythme, d'autres aliments que le lait, ces coupures étant essentielles de la notion de présence-absence et à l'élaboration de la notion de soi.
Il est vital pour le bébé de sentir l'apaisement dans son corps des tensions tout comme il est essentiel qu'il puisse entendre qu'il ne peut être remplit en permance, son corps lui rappelera vite ses limites avec des régurgitements ou des maux de ventre et sa mère son désir ailleurs aussi, parfois.
Le sentiment d'unification corporelle
La fonction d'apaisement permet au bébé de calmer ses angoisses massives de vide dues au fait qu'il n'a pas conscience à la naissance de son corps. Il est dans le fantasme d'une illusion primaire de retour dans le ventre de la mère et n'a pas encore expérimenté les notions d'espace entre soi et l'autre et soi à ce stade, c'est aussi l'autre. C'est le stade de l’indifférenciation
Participant au processus de maturation, le lait tiède et doux va lui donner la sensation d'un apaisement du corps mais cependant être nourrit ne suffira pas. Les cas d'hospitalisme ont montré que les seuls soins de nourrisage et d'hygyiène ne permettent pas l'épanouissement du bébé ; ils doivent être renforcés par une autre contenance que l'aliment seul. Le regard, la voix, l'odeur de la mère et le toucher de la peau avec les carresses qui accompagnent la tétée sont essentielles au bon développement de l'enfant, lui donnant encore la sensation d'unité et de fusion mère-enfant mélée déjà quand même de ce qui n'est pas lui mais qui le contient encore. "Je vois par tes cris que tu dois avoir faim et que tu n'es pas content d'attendre".
"Un bébé seul, ça n'existe pas" disait Dolto. C'est un accordage nécessaire à sa survie, entre lui et l'autre, qui le fera exister en tant que sujet plus tard dans cette capacité de pouvoir être seul car il aura été "avec" au départ.
Le holding permet à l'enfant d'être rassuré sur ses éprouvés. L'acte de s'alimenter renvoit à du sensoriel. Les sens sont stimulés et le langage, associé aux sensations, va venir renforcer l'image inconsciente du monde. A ce sujet évoquons la capacité de réverie de la mère : elle permet de calmer les éléments béta du bébé, déliés, en les transformant en des éléments alpha, connus et les renvoyer au bébé sous une forme entendable par lui. C'est ici le même processus qui se retouve avec la cure psychanalytique. La fonction de nourrissage va de pair avec la fonction maternelle et en est une des composantes essentielles.
Les expériences précoces du nourrissage font partie du développement psycho corporel et psycho affectif de l'enfant, à la notion de soi et de l'autre, entrainant une différenciation progressive et supportable parcequ'elle sera justement normalement progressive. L'autre, ça ne se mange pas tout comme toi, on ne te mange pas, le corps propre pouvant être investi avec les interdits garants de sécurité.
Les dysfonctionnements alimentaires
- Que se passe t-il lorsqu'il n'y a pas de rencontre ?
- Que se passe-t-il lorsque la mère est morte ou toxique ?
- Comment se séparer lorsqu'on n'a pas déjà été ensemble ? Quand la mère est trop là ?
La sensation d'insécurité ne lui permettra pas de vivre l'objet de jouissance comme pouvant être absent à postériori s'il n'a pas été présent en amont. Le trouble alimentaire est lié à un trouble plus large du trouble de l'attachement ultérieur.
Un travail psychothérapeutique peut prendre la forme d'une psychoéductaion sans s'y substituer pleinement. Nombreux d'ailleurs sont ceux et celles qui ont besoin d'être régulés par des régimes ou des nutritionnistes, ces derniers faisant office de cet objet manquant régulateur des pulsions orales. Puisque les limites du corps n'ont pas été pensées, les limites de l'estomac ne le sont pas non plus et il est bénéfique que quelqu'un les pense à ma place. Dans un premier temps.
Le trouble alimentaire englobe donc des problématiques diverses, principalement liées à ces noeuds archaiques. Ce sont des désordres alimentaires qui sont les marqueurs extérieurs des désordres psychiques intérieurs et parfois cachés du conscient. Le sens est caché : la solution ne se trouve pas dans le frigo mais bien dans l'inconscient.
La compulsion de répétition
Le processus "j'ai faim/je manque/je suis seul/je suis en danger/je souffre/j'ai peur/je pleure, j'alerte/ je suis en colère, c'est trop /je me contracte/je mange/je me sens mieux/je m'apaise/je m'endors" chez le bébé résumerait le processus de la compulsion boulimique chez l'adulte où l'émotion est rattachée au besoin de se combler : il/elle m'a quitté, je suis contrarié(e), je mange. Ce processus est régressif car nous avons tous connus ce fonctionnement à un moment donné de notre enfance. Manger, c'est notre premier mécanisme employé face à l'angoisse.
Le refus du sein ou son trop plein renvoient à des problématiques régressives ou à des fixations archaiques. Le fantasme oral d'engloutissement, le fantasme anal de rétention-controle sont dans l'alimentation des tentatives de régulation et des mécanismes défensifs du psychisme. Manger n'est plus un plaisir, le corps est agréssé. Lorsque le bébé n'est pas rassuré par des bons soins, il va trouver des mécanismes défensifs pour soulager son angoisse. Il va s'adpter en se coupant de ses émotions, trop fortes pour lui :
"j'ai faim/je manque/je suis seul/je suis en danger/je souffre/j'ai peur/je pleure, j'alerte/ je suis en colère, c'est trop /je me contracte/je mange/je me sens mieux/je m'apaise/je m'endors. Il s'apaisera seul voire en s'endormant pour se replier sur lui-même et repétera ce shéma dans sa vie sociale.
Ce processus a un double intérêt : d'abord se protéger et ensuite éviter de détruire la mère en pensée. En effet, la mère-tout avec laquelle je fusionne dans une dyade laissera place à une alternance amour-haine à un moment donné du développement psychoaffectif de l'enfant. Il n'y a pas de tiers, pas d'autre, on est si bien. Par la suite une bonne et une mauvaise mère émergeront des proto-pensées du nourrison, clivant ainsi la mère, laquelle devenant en somme déjà cet autre. C'est en ce sens que le terme de "mère suffisament bonne de Winnicott prend tout son sens : bonne oui mais just goog enough c'est à dire ni trop ni pas assez. C'est la période de la défusion et de la construction de deux êtres séparés, une période cruciale du développement.
Isoler l'affect, c'est aussi éviter de décharger sa colère sur la mère et donc de la détruire au passage, on la conserve dans un processus illusoire de mère totalement bonne. On connait bien l'expression "Ne touche pas à ma mère". C'est ce déni que l'on retrouvera chez l'adulte de ne pas vouloir voir les choses en face. C'est aussi la phase de l'omnipotence. S'il ne se venge pas, il n'éprouve pas la colère et s'il n'éprouve pas de la colère, la mère est là, pour moi, à moi entièrement et je suis tout pour elle, son phallus. Si le bébé ne se venge pas, sa colère peut se retrourner contre lui, c'est une porte vers la question du masochisme et de la destruction de soi qui est aussi en lien aussi avec le trouble alimentaire.
Avec le temps, le bébé saura qu'il n'a qu'une mère et que si cette dernière ne répond pas, elle est cependant là. Ce sera l'époque du doudou et l'inscription dans la transionnalité qui marqura la possibilité de l'absence en la présence. Le début de la phase anale, vers 2/3 ans lui permettra de passer d'une phase de passivité à une phase de contrôle (des sphinters avec l'aquisition de la propreté). C'est l'entrée dans le non, pour exprimer le "Je suis". Après tout ce chemin de défusion, l'enfant apprécie cette phase où il part à l'exploration du monde, la marche est acquise, un autre équilibre se fait.
La boulimie
Ces notions de contrôle se retrouvent très souvent dans les troubles de l'alimentation. On plus on cherche à contrôler (ses pulsions, ses émotions), au plus les décharges se feront sous formes de pulsions d'engloutissement pour calmer son angoisse (de ne pas contrôler). Le travail thérapeutique sur l'alimentaire inclut un travail sur ces notions de rétention-contrôle et des noeuds s'observent souvent dans la difficulté de perdre (de lâcher) des kilos, paradoxalement. On repèrera souvent des conflits : je veux perdre (idéal du Moi) mais je ne peux pas (Moi Idéal = la relation en dyale fusionnelle).
Lorsqu'on va mal, quand quelque chose ne va pas, on cherche à se rassurer et l'objet aliment permet de rejouer la scène de fusion et de se rassurer. Plein oui mais à quel prix? S'en suit la culpabilité. De quelle culpabilité s'agit-il? Engloutir la nourriture, se sentir plein, c'est aussi incorporer la mère symbolisé par la nourriture et en somme la détruire c'est se cacher derrière une culpabilité plus consciente de ne pas être arrivé à contrôler son désir et ses pulsions cannibaliques.
L'anorexie mentale
C'est une de ces pathologies que l'on aborde dans le cadre du trouble alimentaire et touche en plus la féminité et la sexualité. Le corps ne peut pas être investi pleinement comme étant sexué. C'est le "je ne supporte pas de me voir devenir femme" qui s'exprime devant le miroir. A la problématique maternelle dans les notions d'identification auxquelles la jeune femme est renvoyée viendront se rajouter à la problématique de type oral précédemment exprimée. La problématique paternelle s'exprime ici aussi avec un lien à questionner sur l'oedipe, la fuite de la sexualité (arrêt des règles également dans l'anorexie), comme compromis pour éviter l'impasse de la castration et d'un couple père-fille impossible. La relation est à questionner en tous cas. On peut retrouver aussi le corps déformé par les kilos, à l'inverse, comme moyen d'évitement de la sexualité.
Trouble de l'attachement, angoisse de séparation, angoisse de morcellement, angoisse de morcellement, culpabilité, pulsion de destruction, masochisme, addiction, amour, haine, le trouble alimentaire est lié au processus du développement psychoaffectif et renvoie bien souvent à une part archaique.
Les pathologies du trouble alimentaire sont en lien avec un processus dynamique circulaire qui prend source dans le corps (lieu de l'angoisse et de l'apaisement), la poussée s'effectuant par la pulsion (de remplissage, de vomissement), et l'objet étant l'aliment. Circulaire puisqu'il n'y a pas de tiers...c'est encore l'inclusion réciproque. Nous pouvons faire l'hypothèse avec l'anorexie de cette impasse plus marquée sans doute que dans l'introduction du tiers, la sexualité étant barrée. Si je ne suis pas femme, je reste donc enfant.
Lorsqu'on aborde le trouble alimentaire en psychothérapie, il parait opportum en tous cas de se demander ce qui s'est passé dans la relation et ce qui a coincé. Coincé dans la relation avec les parents et parfois aussi au-delà, en creusant les cryptes du transgénérationnel et ses fantômes.
Nous retrouvons d'ailleurs souvent ces habitudes de remplir les placards comme en temps de guerre. "Ma mère faisait pareil, ma grand-mère aussi, chez nous on ne jettait pas la nourriture". La question de la honte est à poser aussi ici : 'je me cache pour manger, j'ai trop honte d'en parler, trop honte qu'on ne voit", la honte pouvant être creusée comme une émotion autour d'un lourd secret familal qui n'a pas été verbalisé et qui s'est encrypté dans le corps.
* Il est important de rappeler que c'est le ressenti de l'enfant et la façon dont il a AUSSI vécu intérieurement ses expériences qui vont déclacher les troubles et en aucun cas la "faute" systématique de l'un ou l'autre parent, ce serait absolument culpabilisant et faux de le penser.
Photos : Shutterstock
Les informations publiées sur Psychologue.net ne se substituent en aucun cas à la relation entre le patient et son psychologue. Psychologue.net ne fait l'apologie d'aucun traitement spécifique, produit commercial ou service.
PUBLICITÉ
PUBLICITÉ