Le trauma lié à la violence : comment traverser « l’enfer personnel » ?

« Le traumatisme est un effet de sidération, une perte de liberté, un retournement de l’agressivité contre soi-même, une perte du plaisir à vivre. » FERENCZI

1 DÉC. 2021 · Lecture : min.
Le trauma lié à la violence : comment traverser « l’enfer personnel » ?

Pour aborder ce sujet en thérapie il est nécessaire d'avoir une certaine discipline intérieure. En travaillant sur ce sujet on passe par les mêmes étapes importantes :

  • 1. Stabiliser et gérer les réactions
  • 2. Explorer et faire le deuil des souvenirs traumatisants
  • 3. Reprendre le contact avec le monde.

Cependant à chaque fois cela se passe de manières différentes. La perception d'expérience traumatique est unique et individuelle. Une personne traumatisée vit parfois de nombreuses années, se bat pour la vie, survit du mieux qu'elle peut : au cours de cette étape de la vie elle forme sa propre vision du monde, bien qu'à travers le prisme de la douleur, une certaine endurance et un mode de vie.

Et tout cela ne doit en aucun cas être dévalorisé. Cette partie du chemin de vie ne peut pas être simplement supprimée, réécrite et modifiée. Il est important de l'aborder avec prudence en préservant le droit de cette personne de décider elle-même comment gérer ses propres expériences. Très souvent les gens essaient de « guérir » cette personne à travers leur propre image du monde, provoquant ainsi un nouveau traumatisme et construisant une barrière encore plus importante entre la personne traumatisée et le monde au-delà du traumatisme.

Que se passe-t-il dans l'inconscient de la personne affectée ?

  • 1. La souffrance du sentiment d'omnipotence

Oui, ne soyez pas surpris. Chez une personne « bien portante », l'une des croyances inconscientes de base est : « Je peux tout faire » et « Je peux tout gérer». Cette conviction nous aide à nous fixer des objectifs ambitieux et à les atteindre, surmonter les obstacles, accomplir l'impossible, atteindre le sommet.

Maintenant, essayez d'imaginer ce qui se passe au moment de l'agression (n'importe laquelle : physique, mentale, sexuelle). L'agresseur viole rudement les limites d'une personne sans se soucier de ses intérêts en imprimant chez elle une énorme charge émotionnelle: haine, jalousie, rancœur, cruauté (parfois sadique) sans scrupules, et parfois avec indifférence et sang-froid.

La victime n'est tout simplement pas prête pour une telle situation. Choc, panique, horreur, engourdissement, peu importe, mais pas de l'omnipotence et toute puissance. Pendant une fraction de seconde et parfois pendant des heures (encore pire - si cette personne se trouve dans un tel environnement pendant longtemps, pendant des années), le sentiment du "moi entier" est perdu. La volonté de la personne est remplacée par la volonté de l'agresseur.

Et même lorsque la situation se termine le souvenir émotionnel reste. Le souvenir de la perte de son Omnipotence. Il reste un sentiment d'impuissance totale. Le sentiment que « le monde s'est détourné de moi ». « Ce monde est injuste et cruel, personne n'est venu à mon aide, ce qui veut dire que personne n'a besoin de moi. » Et plus loin : « Je suis un looser et un nul, je suis inutile »

  • 2. La souffrance du sentiment de dignité

"Je ne pouvais pas sauver ma puissance, j'étais faible, je ne pouvais pas me battre, j'ai échoué. Alors je ne suis pas assez parfait et digne ? »

Notre inconscient ne peut pas accepter cette affirmation. Il s'accrochera au sentiment de dignité de toutes ses forces. Le coût sera de plonger dans la répétition de situations traumatisantes. Pour le reconquérir, réparez-le, afin d'en sortir vainqueur.

Pour cette raison pendant la thérapie je préfère éviter le mot « victime » mais utiliser plutôt le mot « survivant ». L'inconscient sait que quelque chose ne va pas et essaie avec le peu de force qui reste de maintenir un sentiment de normalité, en résistant aux identifications destructrices.

Une violation flagrante des limites provoque une confusion dans les critères d'estime de soi. « Comment je m'évalue ? Comment j'évalue les autres ? Qui a raison ? Celui qui a le plus de force, de pouvoir, d'arrogance, d'argent ? »

Très souvent, ceux qui connaissent le triangle de Karpman (le triangle « poursuivant-victime-sauveur ») commencent à « soigner » la victime en l'invitant à «pardonner l'agresseur», « accepter le fait de la violence » , « arrêter d'être une victime », « ne pas se transformer en agresseur ».

Ces trois rôles sont des rôles intrapersonnels qui s'enchaînent dans la psyché de la personne traumatisée. C'est un signe de trauma, pas un traitement. Le traitement du traumatisme consiste précisément à accepter le droit de la personne traumatisée à un tel clivage.

« L'enfer personnel » de la victime

  • 1. Désir de vengeance

Et c'est normal, la personne traumatisée tente de restaurer son sentiment de dignité. Le désir de vengeance peut être profondément refoulé, et souvent redirigé vers ceux qui ont accidentellement offensé telle personne dans un contexte complètement différent, qui n'a rien à voir avec l'histoire personnelle. Un tel transfert de haine peut s'effectuer à la suite des traits de similitude insignifiants avec l'agresseur en question comme les manières, la voix, les gestes, le style de communication.

Il est important d'accepter le droit de la victime d'avoir de telles pulsions de vengeance. C'est pire quand cela se transforme en auto-agressions, en agressions réprimées, refoulées. Ce qui peut amener à la dépression. L'agressivité refoulée ne fait qu'intensifier les sentiments de tristesse et d'impuissance.

De plus, accepter vos pulsions de vengeance vous permet « d'allumer votre cerveau ». C'est-à-dire de rendre conscient du véritable objet envers qui ces impulsions sont dirigées.

  • 2. Désir d'être sauvé

Restaurer son sentiment d'omnipotence, une confiance fondamentale envers le monde, voilà ce qui est caché derrière ce désir. L'évidence d'être important pour le monde, la conviction d'être soutenu. La personne qui a subi un traumatisme souffre d'avoir perdu la foi en un monde bon.

Nous avons tous besoin dans notre inconscient d'une image d'un Parent attentionné sur laquelle nous pouvons compter dans les moments difficiles. Et c'est cette image qui est « cassée » par le traumatisme.

« Il n'est pas parfait, n'a pas pu, ne m'a pas aidé. » Conclusion : "je suis inutile", "j'ai été trahi", "jeté", "rejeté"...

Cela provoque une douleur interne insupportable. Et le désir de vengeance se reporte sur l'image de ce qui « a échoué à sauver ».

Les personnes traumatisées ont un douloureux désir de trouver un partenaire idéal, un thérapeute idéal, un monde idéal... Il y a une douloureuse tentative de retrouver l'image d'un Parent bienveillant et attentionné.

La rancœur, la colère, la méchanceté surgissent lorsque tôt ou tard ces idéalisations s'effondrent, le monde ne répond pas aux attentes, les gens laissent tomber, les partenaires et les thérapeutes déçoivent. Et, hélas, c'est une étape indispensable et nécessaire. L'étape de la rencontre avec votre déception. Cela fait du mal, donne une certaine amertume. Il y a une plongée dans l'angoisse et le désespoir, une rencontre avec le Vide en soi.

  • 3. Scénario « culpabilité de la victime »

A ce stade, la victime est confrontée à un phénomène tel que le déni par la société de la culpabilité de l'agresseur et le transfert de responsabilité à la victime de violence.

La victime commence à croire qu'elle est mauvaise, qu'elle est elle-même coupable. Elle s'identifie à l'agresseur par le fait qu'elle a ces besoins de vengeance et de sauvetage. Aucune distinction n'est faite entre les besoins eux-mêmes et la manière dont ils sont réalisés.

  • 4. Clivage du Moi

Les gens vivent dans l'illusion que la violence est quelque chose de lointain, quelque chose qui n'a rien à voir avec eux. En fait, c'est ainsi que les gens protègent leurs besoins d'omnipotence et de sentiment de dignité. La violence est un conflit de la domination. Un conflit qu'une personne résout aux dépens d'une autre.

Au moment de la violence un clivage de l'image de son propre « Moi » se produit: la perte d'une partie de l'âme, comme diraient les chamanes. A ce moment, la partie dite affective/dissociée se forme. Ce « vide » peut être remplacé par l'image de « Moi » de l'agresseur par le mécanisme de défense - identification projective. C'est un processus inconscient. Cette image même peut être perçue comme une ressource de force et de pouvoir.

Thérapie des traumatismes liés à la violence

Le traitement d'un traumatisme lié à la violence est habituellement un engagement à long terme. Il est donc très important de prendre le temps de trouver un thérapeute avec qui vous vous sentez à l'aise. La guérison doit se faire dans le cadre d'une relation pour que la personne puisse éventuellement envisager les relations interpersonnelles comme étant sécuritaires et positives. En développant une relation de confiance avec son thérapeute, la personne acquiert des aptitudes relationnelles qui lui permettront d'établir des rapports plus valorisants et respectueux avec autrui.

Cette thérapie se construit autour de l'acceptation des émotions de la personne blessée et l'aide à rendre conscient son « enfer personnel » pour qu'elle puisse se libérer des émotions qui la rongent et retrouve son droit à l'omnipotence et le sens de sa propre dignité, et restaure l'image de soutien dans son propre inconscient pour retrouver la sécurité intérieure.

Les personnes qui suivent une thérapie sont souvent impatientes de « se sentir mieux ». Une trop grande hâte, en entreprenant par exemple l'exploration des expériences douloureuses avant d'être prêt(e), peut toutefois déstabiliser. Le thérapeute doit vous expliquer les répercussions possibles d'une trop grande hâte. Vous devez travailler de concert avec lui pour établir le rythme de la thérapie.

Dans une telle thérapie, il n'y a pas de moyen facile. Les techniques sont toujours secondaires, car il faut traverser et revivre des sentiments toxiques, libérer le corps de toutes les tensions, laisser la haine, la colère, la déception, le vide vous traverser. Toutes ces émotions, en règle générale, sont condensées dans une seule pelote de sensations corporelles mal perçues et obsessionnelles, de pensées destructrices qui deviennent habituelles.

Je pense qu'une approche intégrative est plus efficace. Le thérapeute adaptera les différentes méthodes en fonction de votre situation tout en respectant toujours les étapes du modèle de traitement des traumatismes. TCC, EMDR, l'hypnothérapie, le rêve éveillé dirigé - toutes ces méthodes visent à aider la cliente à se sentir plus calme et moins accablée par ses émotions. Les traumatismes ont des répercussions sur le corps et l'esprit ; une thérapie efficace doit aborder ces deux dimensions.

Déclaration des droits de la personne traumatisée

  • 1. J'ai le droit à tous les sentiments que je ressens.
  • 2. J'ai le droit d'être vulnérable. Cela ne donne à personne le droit de m'utiliser et ne justifie pas la violence.
  • 3. J'ai le droit d'être blessé et de guérir ma blessure, aussi longtemps que j'en ai besoin et de la manière que je choisis.
  • 4. J'ai le droit d'être compris, à la compassion et à être soutenu quelles que soient les projections et les attentes que mon image génère chez les autres.
  • 5. J'ai le droit aux besoins d'omnipotence et de sentiment de dignité. Ces besoins sont normaux ! La forme pathologique de réalisation de ces besoins est de la responsabilité de l'agresseur et pas de la mienne.

Photos : Shutterstock

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Écrit par

Daria Surova Bénédite

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Bibliographie

  • Barrois C. « Les névroses traumatiques. » 1998, Dunod.

  • Bergeret M. « La violence fondamentale. » 1984, Dunod : Paris.

  • Copeland, Mary Ellen et Maxine Harris. « Healing the Trauma of Abuse: A Woman's Workbook », Oakland, Californie, New Harbinger Publications, 2000.

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