L’angoisse et la liberté 

La liberté est donc l'identité de chacun, identité intime, que nous ne définirons pas ainsi ou ainsi [..] et nous dirons donc ce qu'elle n'est pas plutôt que ce qu'elle est.

15 MARS 2019 · Lecture : min.
L’angoisse et la liberté 

Qui ne recherche pas la liberté et ne dit pas haut et fort « Je veux être libre ! » ? Nous tomberons tous d'accord, la liberté c'est bien et on la veut tous. Alors quand on commence à réfléchir en commun pour tenter de dire ce qu'est la liberté, tout devient compliqué. Chacun affirme avoir sa définition personnelle de la liberté ; « à chacun sa liberté », « chacun est libre comme il veut », « je suis libre quand je fais ce que je veux »…

Peut-on définir la liberté ?

La liberté est donc l'identité de chacun, identité intime, que nous ne définirons pas ainsi ou ainsi (« la liberté consiste à faire ce que l'on désire quand on le désire » mène au mieux à l'anarchie, au pire, au chaos et la fin du monde), et nous dirons donc ce qu'elle n'est pas plutôt que ce qu'elle est.

Définition par négation, maigre consolation. Mais à bien y réfléchir, puisque définir et connaître quelque chose, c'est le contraindre et le limiter dans le langage et les concepts pour en faire un objet de connaissance, puisque connaître quelque chose, c'est le déterminer, et que par principe la liberté s'oppose au déterminisme, on entend immédiatement l'impossibilité de désigner avec précision ce qu'elle est sans contradiction. Définir la liberté, cela revient à la nier, la détruire. L'indéfinissabilité de la liberté en fait son principe premier, accompagnée de la subjectivité et de l'intimité.

Osons nous rapprocher de la liberté sans la définir afin de cerner mieux ses effets à défaut de la saisir dans son absoluité...chacun est sa liberté ou identité intérieure qui ne se définit pas, qui ne se désigne pas. Cette liberté subjective si ample et immense ne saurait recevoir une forme langagière fixe de l'extérieur, ne pourrait souffrir le simple contour d'un concept, autrement dit une limite par la connaissance que nous en élaborons.

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Les effets de la liberté

Quel est donc le premier effet de cet liberté que nous ressentons avec intensité et qui doit être aussi grand que l'immensité de cette liberté ? En un terme, l'angoisse. C'est que, lorsque l'on agit avec pour fondement de nos actions, un principe premier, la liberté, dont on ne sait rien et dont on ne peut rien dire avec certitude, inévitablement une angoisse infinie en résulte. Une angoisse lourde qui se cramponne au ventre, aux entrailles.

Je suis libre signifie que je suis strictement seul à être responsable des choix que j'entreprends et qui engagent mon être et ma conscience entièrement, sans excuse ni dédouanement. La conscience morale en chacun vibre au rythme des décisions et des choix qui gouvernent nos actions à venir. On peut se reposer sur les autres pour choisir et éviter ainsi d'avoir à se justifier dans son agir. Nous demandons souvent l'avis des autres pour agir, c'est une manière rassurante d'avaliser des choix que nous n'assumons pas seul(e). Notre liberté nous fait peur. Pire, nous la nions ou la refusons en faisant appel au jugement des autres. La liberté est une sorte de monstre, une chose "inhumaine" en nous et il nous faudra beaucoup de temps, d'années d'existence pour nous familiariser avec.

Dans l'existence, nous rencontrons des situations qui exigent que nous décidions. Pour rappel, un choix est une palette d'alternatives dans laquelle nous allons trier, évaluer, envisager des critères d'examen afin de déterminer l'option la plus optimale ; en raisonnant entre A, B, C et D nous allons choisir B plutôt que les autres car B semble présenter les caractéristiques du préférable ; si D était en réalité la meilleure possibilité à réaliser, je dirai que je me suis trompé. On pourrait dire que la décision est un choix premier sans choix, sans alternative ; si je décide, alors seulement A se présente à moi comme unique possibilité.

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Le choix permet à la conscience de gagner du temps. Dans le choix, chacun délibère et diffère dans le temps. Dans la décision, je ne suis jamais sûr de savoir si je ne me trompe pas. Et je ne saurai jamais si cette décision était la bonne car il n'existe nul autre élément optionnel permettant la comparaison et l'évaluation, car ma liberté étant indéfinissable, jamais je ne pourrai saisir ce qui va permettre de fonder la décision alors qu'elle ne pourra paradoxalement être fondée que par cette liberté insaisissable ; ne jamais savoir si la décision fut bonne ou mauvaise engendre inévitablement l'angoisse la plus vive qui soit.

La liberté s'abîme dans certains choix décisifs et elle s'annihile presque quand elle décide car simultanément elle devient angoisse. Cette angoisse de la conscience entendue comme identité indicible de la liberté qui souffre de décider est une structure normale de la conduite humaine avec laquelle il faut faire, être et exister.

La liberté, c'est bien et on la veut tous. Notre proposition de départ se révèle bien faible quand on y réfléchit et c'est tout le contraire : la vraie liberté, notre vraie identité subjective et infiniment seule dans la décision et l'agir, nous n'en voulons pas. Il y a en chacun une impossible liberté.

Photos : Shutterstock

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Écrit par

Maxime Le Bihan

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