L’écoute, une question d’attention & d’intention

Dans cet article, l’auteur questionne l’écoute dans la relation qu’elle soit professionnelle ou personnelle pour lui redonner sa puissance. Parce que chacun est habité par le désir d’être écouté, comment replacer l’écoute, la cultiver ?

5 AVRIL 2024 · Lecture : min.
L’écoute, une question d’attention & d’intention

L'écoute, c'est devenu de l'or noir. Dans une société où l'attention est de plus en plus perturbée par les distractions massives du quotidien. Dans une société où prendre le temps et se centrer sur une seule activité voire une seule personne ne fait plus partie des acquis. Dans une société où la simple audition des sons remplace désormais une écoute volontaire, une écoute choisit, une écoute désirée qui mobilise l'oreille interne et l'envie d'aller à la rencontre du discours de l'autre. Dans cette société, l'écoute est devenue très complexe.

Ainsi dans les métiers de l'accompagnement, offrir son écoute pleine et entière a des vertus réparatrices qu'il faut sans doute vivre pour comprendre. Comme le soutient Irvin Yalom, écrivain, psychiatre et psychothérapeute, c'est la relation qui soigne. Ainsi, il est bon de reconnaître à l'écoute son potentiel quand il s'agit de construire une relation, bâtir la confiance, développer du lien, panser les blessures, envoyer des signes de reconnaissance, confirmer à l'autre qu'il existe et qu'il est important… Oui, l'écoute est vertueuse et exigeante, et parce qu'elle exige, elle nécessite un questionnement, une méthode, une prise de conscience parfois même pour sortir des postures ou des habitudes afin de se centrer, au moins l'espace de quelques minutes, sur l'autre.

L'écoute, une posture exigeante qui parle de chacun

Il existe des dizaines de définition de l'écoute. Alfred Vannesse, docteur en Psychologie et Sciences de l'éducation, et psychothérapeute propose : Écouter, c'est aider à faire surgir chez l'autre ce qui est et qui ne lui apparaît pas encore. Bien sûr, dans les métiers du social et de l'humain, cette proposition est de l'ordre de l'évidence, l'enjeu d'un travail thérapeutique ou d'une démarche de coaching étant de favoriser les prises de conscience pour développer ce que l'on appelle une conscience claire. La conscience claire est la connexion la plus juste possible avec qui l'on est, comment l'on fonctionne, quels sont nos moteurs, nos valeurs, notre scénario de vie, nos croyances limitantes… pour décider ensuite (ou pas) de dépasser ce qui nous pèse et nous épuise.

Pourtant, si elle est juste concernant les professions de l'accompagnement, elle se révèle tout aussi juste à l'échelle de la société. Le psychologue jungien et fondateur de l'école de Palo Alto, Paul Watzlawick, écrivait en 1967 On ne peut pas ne pas communiquer !. C'est vrai, tout est message, tout est histoire ou détail de l'histoire, et surtout tout ce que l'on ne dit pas. Concernant l'écoute, les choses sont malheureusement très différentes, car il est très facile de ne pas écouter.

Prenons pour exemple un échange entre un collaborateur et son manager sur un sujet quelconque. Les doutes, les questions, les arbitrages sont complexes. Le manager est alors la personne la plus indiquée pour palier à tout ces manques apparents. Deux options sont alors envisageables : le manager en bon père de famille se targue d'être reconnu dans son rôle et pour son expertise, et distille la bonne parole de tout ce qui, selon lui, est à faire. Simple et efficace. Et puis, il y a celui qui écoute, celui qui questionne, celui qui confronte, celui qui reformule et qui permet au collaborateur, non pas, comme l'explique Confucius, de récolter du poisson, mais d'apprendre à pêcher.

Comment expliquer ces différences d'approche ?

Les compétences à mettre au service de l'écoute sont un prisme éclairant.

  1. L'accueil inconditionnel ou la posture martienne : Quand un individu réclame l'écoute, il ouvre une porte sur son monde. Dans ce monde singulier, chaque idée, chaque croyance, chaque manière de raisonner ou d'apprécier un sujet n'appartiennent qu'à lui. Ainsi se placer à l'écoute de l'autre, c'est déposer au vestiaire sa propre façon de voir le monde pour rentrer par la porte qui vient de nous être ouverte, tel un cadeau. C'est ce qu'Eric Berne, psychiatre et fondateur de l'analyse transactionnelle, qualifie de manière très métaphorique de posture « martienne » c'est-à-dire sans idées préconçues. C'est une autre manière de résumer la formule socratique Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien, un paradoxe qui permet d'éviter d'être dupé par sa pensée, et d'écouter tant avec sa tête qu'avec son cœur et son corps.
  2. Les écueils de l'hyperpuissance : L'hyperpuissance, c'est la posture dans laquelle chacun peut tomber quand il est confronté à deux facteurs. Le premier est d'incarner ce que l'on appelle une figure d'autorité. Que l'on soit thérapeute, coach ou manager, la simple demande d'accompagnement octroie une responsabilité importante et une légitimité qui peut parfois conduire à des comportements déviants. Le second est la recherche de performance ou de résultat à tout prix qui peuvent émerger, l'enjeu étant alors pour l'aidant de le conforter dans son fauteuil plus que de soutenir réellement la personne en demande. Dans l'épisode 25 de sa chronique « Ça tourne pas rond » éditée par le média SLATE, la chroniqueuse mardi noir, psychologue et youtubeuse, évoque l'attention intentionnelle de Freud. Cette écoute orientée consiste non pas à accorder une attention pleine et entière, mais au contraire à poser une hypothèse très rapidement que l'accompagnant cherche à valider, à justifier, à travers une écoute parcellaire. L'écoute n'est plus ici un moyen d'être en relation mais bien une fin qui cherche une réponse. Jean-Marc Randin, psychologue, psychothérapeute et formateur, rappelle ce danger. La recherche d'interprétation altère l'écoute, mobilisée à faire trop de bruit pour pouvoir entendre les bruits extérieurs émis par l'autre. L'attention libre, la disponibilité à recevoir et à laisser venir à soi sont fondamentales.
  3. Savoir écouter le silence :  Écouter c'est savoir accueillir le silence sans en avoir peur, considérant qu'il est à lui seul une forme d'expression, un besoin, un message. Face au silence, le réflexe peut être de remplir cet espace parfois considéré comme angoissant ou malaisant. Pourtant, ce silence est parfois beaucoup plus fertile que la parole elle-même. Le silence entre deux êtres peut permettre d'accéder à une forme d'intimité et de respect très aboutie. Le silence peut également être un besoin pour reprendre son souffle, digérer, conscientiser, casser un rythme qui ne convient plus. Le silence, enfin, est souvent riche d'un ou plusieurs messages. Le poète Yves Bonnefoy rappelle que le silence est comme l'ébauche de mille métamorphoses. Ainsi, savoir écouter c'est savoir accueillir le silence comme les mots et respecter le tempo de l'autre. Ses besoins. Lui.Comment expliquer ces différences d'approche ?
  4. L'indispensable travail sur soi-même :  L'écoute du verbe ne s'apprend pas comme une leçon et ne s'aiguise pas uniquement par les théories. Elle s'enrichit par toute une série de décollements, de traversées, de deuils, de confrontations traumatiques au réel. A chaque fois que son narcissisme est pris en défaut, que ses attentes sont déçues et que ses illusions tombent, l'écoute se développe vers l'Autre.  A travers ces quelques mots posés par Jean-Richard Freymann, psychanalyste, psychiatre et chargé d'enseignement à l'université de Strasbourg, tout est dit ou presque. L'écoute n'est pas une compétence innée mais un processus. Ainsi, au fil des expériences de la vie, elle prend une dimension singulière. Elle s'aiguise, se questionne, s'affine, se développe pour laisser place à une écoute plus entière capable de capitaliser sur toutes les formes d'écoute. Mais elle peut tout autant, s'altérer, s'obstruer, se restreindre à un point de vue, s'enfermer dans des croyances limitantes… la seule alternative pour prodiguer une écoute simple, juste, globale, constructive, une écoute cicatrisante est d'abord, comme nous le rappelle Alfred Vannesse, d'avoir été suffisamment écouté. Ce constat se résume à l'indispensable travail sur soi-même à mener afin de développer un niveau de conscience avancé de ce que l'on est. L'écrivain Samuel Beckett défendait l'idée que Se taire et écouter, pas un être sur cent n'en est capable, ne conçoit même ce que cela signifie.  Ainsi, la manière dont je suis à l'écoute raconte tellement de ma personne et de mon histoire, et nécessite tellement que j'y mette de ma personne, que des questions du type : qui suis-je en situation d'écoute ? Qu'est-ce qui s'y joue pour moi ? Quelle est la part réelle que j'accorde à l'écoute dans ma vie ?… sont essentielles.
  5. Du travail sur soi à la relation d'aide à l'autre, l'écoute rogerienne :  Comment parler de l'écoute sans parler de Carl Rogers, docteur en psychologie et professeur à l'université de Chicago. L'écoute rogérienne est qualifiée d'écoute active. En cela, elle est une écoute qui ne se positionne pas uniquement en situation de réception mais plutôt de dialogue. Des échanges qui s'appuient sur 4 postulats de base : le degré d'empathie, la congruence autrement appelée l'authenticité, la considération positive inconditionnelle de l'autre et l'équilibre dans l'intensité de l'expression affective.

Ces postulats, Carl Rogers invite toute personne souhaitant engager une relation d'aide avec autrui à les explorer au travers de 10 questions simples. L'enjeu pour Rogers n'est pas d'être seulement en situation d'écoute de l'autre, mais d'être dans le même temps en situation d'écoute de soi et d'écoute de la relation. Ainsi, elle nécessite de la présence garantissant des qualités d'accueil et de soutien, un langage réflexif fait de reformulations plutôt qu'un langage introjectif, une écoute de précaution laissant l'espace nécessaire au cheminement et un niveau de conscience multimensionnelle qui autorise le partage des ressentis, des impressions, des sensations s'ils sont de nature à favoriser le travail de l'écouté et la qualité de la relation.

Les pouvoirs de l'écoute sont nombreux, parce que l'écoute est puissante. L'absence d'écoute que l'on pourrait qualifier d'ignorance de l'autre est porteuse d'un message destructeur injonctif du type : tu n'es pas important ou pire encore, tu n'existes pas. L'enfant qui est amené à se construire dans ce type d'environnement et avec ce type de messages fera à l'âge adulte face le plus souvent à des difficultés relationnelles issues des stratégies d'adaptation qu'il aura dû mettre en place pour compenser ces manques ou pire encore à des troubles pathologiques liés notamment à une image de soi défaillante.

L'écoute feinte ou parcellaire est tout aussi dommageable. Si elle se répand dans notre société parasitée par trop de signaux extérieurs, elle ne doit pour autant pas être acceptée parce qu'elle deviendrait la norme. Et s'il ne fallait garder qu'une seule raison de veiller à la qualité de son écoute dans ses relations amicales, professionnelles, amoureuses, ce serait peut-être que l'écoute c'est la porte ouverte à l'inattendu, à la surprise, à l'étonnement, à l'apprentissage, au lien…

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Écrit par

Florence Dubernet

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Bibliographie

  • Berne, E. (1977) Que dites-vous après avoir dit bonjour ? Tchou, Paris
  • Brécard, F et Hawkes, L (2009) Le grand livre de l'analyse transactionnelle Eyrolles
  • Freud, S et Laine, R. (1953) Conseils au médecin dans le traitement psychanalytique PUF, Paris
  • Freymann, JR. (2002) Introduction à l'écoute Arcanes Erès, Paris
  • Mardi Noir, Ça tourne pas rond. (2022) Qu'est-ce que mon psy prend en notes pendant ma séance ? https://www.slate.fr/sante/ca-tourne-pas-rond/psy-prendre-notes-pendant-seance#:~:text=Selon%20lui%2C%20c%27est%20même,semble%20être%20le%20plus%20importantRandin, JM. (2008) Qu'est-ce que l'écoute ? Des exigences d'une si puissante « petite chose » ACP Pratique et Recherche numéro 7, pp 71 à 78
  • Rogers, C. (1968) Le développement de la personne Intereditions, Paris
  • Vanesse, A. (2008) Écouter l'autre, tant de choses à dire Chronique Sociale, Lyon

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