Le traumatisme social et psychique lors d'une crise

Le psychologue apporte son vécu dans un temps de crises...

9 MARS 2020 · Lecture : min.
Le traumatisme social et psychique lors d'une crise

David BICHET psychologue à Toulouse aborde le traumatisme à travers l'explosion de l'usine AZF le 21 septembre 2001 à Toulouse. Les habitations seront devastees et les habitants en manque de soin depasses par les problemes de reseaux et de mise en contact des interventions sanitaires. Le 21 septembre 2001 l'usine AZF explose à 10h17 minutes du matin.

Chaque traumatisme crée un effondrement dans la vie sociale et psychique des personnes. Le traumatisme constitue des failles dans nos vies humaines. Des failles insurmontables ou provoquant des modifications dans les rapports intra- et intersubjectifs. « Le "choc" est équivalent à l'anéantissement du sentiment de soi, de la capacité de résister, d'agir et de penser en vue de défendre le soi propre[1] ». Force est de constater que la confrontation à un traumatisme provoque un délitement et une destructivité des forces en présence. Le fait majeur de l'impact du traumatisme est qu'il intervient toujours de manière inattendue et vient fissurer l'obscurité de notre monde interne et nos capacités à se montrer résilient. Ferenczi a fait du pôle contre-transférentiel le moteur de l'analyse, l'outil qui permet d'amener le patient à revivre le traumatisme subi, dont il ne subsiste, par définition, aucune trace mnésique, et « alors une nouvelle sorte de résolution, plus avantageuse, voire aussi durable, du traumatisme peut se produire[2] ». La vie psychique est fragilisée, mais également le monde externe : l'environnement, l'urbanisme, le champ du social, du sanitaire et du politique. Le monde connu, l'environnement plus ou moins familier et nos habitudes deviennent soudainement étrangers. Nous sommes dans une confusion des choses, des perceptions, des lieux.

Cette situation de violences extrêmes provoquée par une catastrophe industrielle nous impose de nous retirer des autres, de perdre le sens, de nous laisser envahir et d'être fortement démuni. Où devient-il possible de trouver refuge et des soutiens ? Comment travailler ce qui est démuni entre chacun et en soi ? Le traumatisme transparaît sur nous, dans la ville, le pays voire l'Europe ou le monde entier. L'identification adhésive est à la fois vitale et effrayante. Vitale car il nous faut rester en contact pour pouvoir être vu et effrayante parce que la vision est impactée par des scènes de chaos, le sol a bougé, l'air doux s'est changé en atmosphère sinistre, peu respirable, très sombre. Les corps des personnes sont ensanglantés et les cris se multiplient. L'affolement est général et envahit la population. Nous devenons spectateur de nos fracas, pris de panique sans être en capacité de reconnaître nos impuissances et nos limites. Nous paraissons être sous l'emprise d'ombres négatives, voulant porter gravement atteinte à nos vies. La persécution se manifeste sous la forme d'une croyance à une nouvelle attaque terroriste après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis.

Une désaffiliation s'entrechoque avec une filiation fragilisée et perturbée. Les racines sont mobilisées dans un transfert négatif. Le sentiment social est altéré, gravement impacté par le manque de réactivité et de liaison dans les soins, les présences et les étayages internes. Le poids de la perte apparaît supérieur au sentiment social. Comment s'accorder ? Comment accueillir et donner la vie quand on ne peut la porter ? « Le familier offre un premier modèle d'ensemble que le moi intègre comme spécifique de l'appartenance[3] ». Le monde extérieur se trouvant très effracté se confond avec un monde interne décontenancé. Sous l'effet de chaos, l'appartenance à une histoire familiale et culturelle et l'appartenance à une vie sociale et culturelle se confondent, reproduisant une difficulté à trouver sa marque et à élargir les voies de la communication.

Cette catastrophe industrielle nous attaque dans l'organisation intrapsychique mais aussi dans l'infrastructure des moyens de communication et d'action d'intervention prévus par un système de sécurité. Ce qui nous amène à rester dans l'intra-subjectif. Nous attendons de l'aide sans la voir venir et sans être en mesure de produire du lien social. Nous sommes enkystés dans une « mère morte », la protégeant et s'empêchant de s'extraire, de se subjectiver. « La plus grande part du déplaisir que nous éprouvons est en effet du déplaisir provoqué par des perceptions.

Le travail du lien est suspendu et coupé dans une discontinuité continue sans que les consciences ne perçoivent ces errances. Chacun est pris par un fort mouvement dépressif insoutenable. Celui-ci touche le « complexe de la mère morte ou vide », découvert par André Green : « La mère morte avait emporté, dans le désinvestissement dont elle avait été l'objet, l'essentiel de l'amour dont elle avait été investie avant son deuil : son regard, le ton de sa voix, son odeur, le souvenir de sa caresse. […] Il y a eu enkystement de l'objet et effacement de sa trace par désinvestissement, il y a eu identification primaire à la mère morte et transformation de l'identification positive en identification négative, c'est-à-dire identification au trou laissé par le désinvestissement et non à l'objet[4] ».

C'est partir de ce qui nous touche que nous vivons une identification possible aux personnes en situation de détresse sociale et matérielle. Cette identification est à l'œuvre à partir d'un schéma référentiel (concept de scro de Pichon-Rivière), sinon le problème reste, sans répondant, dans une « désidentification » ou une déshumanisation du travail. Le scro désigne le schéma référentiel, conceptuel et opératoire. Le « « S » désigne « schéma », qu'il faut comprendre comme un ensemble articulé de connaissances. […] L'aspect référentiel renvoie au champ, au segment de réalité sur lequel on pense et opère, et aux connaissances en rapport avec ce champ ou avec tel fait concret auquel nous allons nous référer dans l'opération[5] ».

Pour conclure, la question de la reconnaissance de la souffrance et des difficultés des victimes de catastrophes est essentielle pour tenter de leur apporter un soin psychosocial et interculturel en se liant avec les cultures de leurs vies quotidiennes. Leur quotidien serait une médiation qui permettra de fabriquer un dispositif particulier. Celui-ci répondra à un contexte.

Photos : Shutterstock

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Écrit par

BICHET David

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Bibliographie

[1] S. Ferenczi, Le traumatisme (1985), Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2006, p. 33.

[2] Ibid., p. 24.

[3] I. Berenstein, J. Puget, Psychanalyse du lien, Toulouse, érès, 2008, p. 29.

[4] A. Green, Narcissisme de vie, narcissisme de mort, Paris, Éditions de Minuit, 1983, p. 235.

[5] E. Pichon-Rivière, Le processus groupal, trad. fr. par D. Faugeras, Toulouse, érès, 2004, p. 47-48.

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