L'enfant et la surexposition aux écrans : quels sont les risques ?

Il y a maintenant plusieurs années que médecins et neurologues, en France et à l’étranger, alertent sur les dangers d’une surexposition aux écrans chez les jeunes enfants et les ados.

28 OCT. 2019 · Lecture : min.
L'enfant et la surexposition aux écrans : quels sont les risques ?

Jusqu'à cette année, ces scientifiques ont pu avoir le sentiment de « crier dans le désert ». Aujourd'hui, quand les médias s'emparent du sujet les pouvoirs publics commencent à prendre la mesure du risque.

Selon une étude française (Esteban) l'exposition des 6-17 ans en 2015 est supérieur à 4h par jour. Le pourcentage d'enfant de moins de 8 ans qui ont une tablette est passé de 8% en 2011 à 78% en 2017.

Parallèlement, en 2019 les professionnels de l'enfance constatent une augmentation de 94% des troubles de la parole et du langage chez les 6- 11 ans, par rapport à 2010.

D'autres études (120 au total) menées en Allemagne, en Suisse, en Chine, au Canada pointent une corrélation entre le temps d'exposition aux écrans des enfants et la qualité des résultats scolaires.

Des expériences chinoises, qui consistaient à faire passer un scanner cérébral à 15 d'adolescents présentant une addiction à internet ont permis de révéler, dans les quinze jeunes cerveaux, des zones en rouge montrant des voies du cortex frontal rétrécies, dans lesquelles la communication était très fortement ralentie.

Quels sont les risques ?

Augmentation des troubles du spectre autistique, retards du développement moteur et retards de développement du langage, troubles du sommeil, trouble du contrôle des émotions, troubles du comportement et de la socialisation, sont autant de maux que les professionnels de santé et de la petite enfance ont remarqué depuis une dizaine d'années, sans forcément l'attribuer au départ à une cause identifiable…jusqu'à-ce que certains médecins pédiatres, psychomotriciens et médecins généralistes établissent le lien entre l'usage intensif des objets numériques et le trouble observé. C'est très simple à vérifier : il suffit de supprimer l'usage de l'objet numérique et de constater que le trouble disparait. C'est ce qu'a expérimenté, avec d'autres, le Dr Anne-Lise Ducanda, en suivant plusieurs enfants venus consulter pour les troubles évoqués plus haut.

Pour ma part, dans mon cabinet j'ai reçu à plusieurs reprises des ados en décrochage scolaire qui souffraient d'une addiction aux jeux vidéo. Les symptômes étaient réellement ceux d'une addiction, tels que décrits dans le dictionnaire des troubles psychopathologiques (DSM V).

Chez l'ado, si le jeu vidéo n'est pas forcément à l'origine du décrochage, il va le renforcer et fournir au jeune un échappatoire dont il aura le plus grand mal à sortir seul.

Très souvent, à l'origine du décrochage on observe soit une difficulté relationnelle (anxiété sociale) en lien avec l'estime de soi, soit une difficulté scolaire dans une ou plusieurs matières. Dans les deux cas ces difficultés mettent le jeune face à l'échec. S'il n'a pas les ressources pour faire face et rebondir, et si les systèmes familial ou/et scolaire ne sont pas soutenants, le jeune va se réfugier dans un monde « virtuel », plus facile, qui lui permet de ne pas se confronter à la réalité devenue anxiogène. Il va chercher à éviter les situations d'échec et se désengager de sa scolarité.

Il s'agit alors de travailler avec le jeune non seulement sur son addiction mais surtout sur l'estime de soi et la confiance en soi face à l'échec ou à la difficulté. Plus le système familial et le réseau social de l'enfant sera associé aux solutions proposées, meilleur seront les chances du jeune de s'en sortir.

Désamorcer les résistances

La prise en charge de ces troubles liés à la surexposition rencontre plusieurs résistances.

Tout d'abord, au niveau des pouvoirs publics, la prise de conscience est venue tardivement, car les enjeux économiques étaient et restent encore importants, et les lobbies ont bien fait leur travail ! En 2013, les académies des Science, de médecine et de technologie évoquaient, à propos de l'usage des technologies numériques mobiles, « d'effets positifs considérables ». En avril 2019, elles appellent à une timide « vigilance raisonnée », sans pour autant réclamer que l'on légifère.

Une autre résistance que l'on peut rencontrer se situe au niveau des parental. Les parents sont encore souvent dans l'ignorance du risque d'une surexposition aux écrans, ils ont du mal à croire que ces outils numériques, dont ils sont eux même de grands consommateurs et qu'ils trouvent ludiques et pratiques, soient néfastes pour de jeunes enfants. C'est d'autant plus difficile qu'on leur a vanté (et vendu) les vertus « pédagogiques » de ces outils, ce qui a favorisé le développement d'applications et de jeux « ludo-éducatifs », dont on sait maintenant que non seulement ils ne font pas le poids face à l'apprentissage par la manipulation réelle, mais qu'ils empêchent les développements des capacités qu'ils sont sensés favoriser.

Depuis les années 1990s, confiants dans le discours des industries du numérique qui se veut rassurant*, les parents ont de plus en plus souvent laissé en toute confiance leur progéniture à la garde des écrans hypnotiques, libérant ainsi du temps pour eux ou pour les activités ménagères.

La culpabilité qu'ils peuvent ressentir lorsqu'ils découvrent aujourd'hui qu'ils ont contribué aux troubles de leur enfant rend parfois difficile la prise de conscience et entretient le déni. Il s'agit alors de les rassurer en mettant en avant la désinformation dont ils ont été victimes, et qu'il n'est pas trop tard pour réparer.

Une autre forme de résistance peut venir du fait que cela demande aux parents d'être exemplaires dans ce domaine, et donc de passer moins de temps eux-mêmes sur les écrans, pour réinvestir la relation à l'enfant. Passer du temps en famille, partager des activités,se rendre disponibles pour écouter les difficultés de l'adolescent, sont autant de facteurs quoi vont contribuer à un « sevrage » réussi.

Au niveau de l'utilisateur adolescent, la résistance sera proportionnelle à son niveau d'addiction. Il lui faudra dans tous les cas traverser l'étape pénible du sevrage, avec ce que cela peut impliquer de réactions violentes et de rébellion. Durant cette phase, les nerfs des parents peuvent être mis à rude épreuve lorsqu'ils ne sont pas soutenus par un tiers, médecin ou psychothérapeute, qui les aidera à poser le cadre. Etablir un lien de confiance avec l'ado et l'amener peu à peu à prendre conscience de son addiction et des enjeux qui en découlent sera à la base de l'accompagnement thérapeutique.

Chez l'enfant, même combat ! L'interruption de l'exposition aux écrans déclenche colères, cris et pleurs lors de la phase de sevrage, qui incitent les parents à baisser les bras s'ils ne sont pas soutenus par un tiers qui les rassure sur ces manifestations « normales » du sevrage. Il s'agit de tenir bon pour aider l'enfant à passer le cap.

À quel moment peut-on parler d'addiction ?

La plupart des études parlent d'addiction à partir de 30 heures de jeu hebdomadaires (soit 4h/jour), mais ce qu'on observe « cliniquement*, sur le terrain, c'est que les individus sont inégaux et vont devenir addicts plus ou moins facilement, en fonction de : - l'âge de la première exposition - l'environnement familial, soutenant ou non

  • Le comportement des autres membres de la famille vis-à-vis de ces technologies - le contexte psychologique (capacité à gérer les émotions)
  • la présence d'une autre difficulté sous-jacente (anxiété sociale, difficulté ou phobie scolaire, anxiété de performance…)

Ce qu'on peut retenir c'est que les symptômes sont les mêmes que pour n'importe qu'elle autre addiction :

  • Une attitude de déni : le jeune a tendance à minimiser le temps passé devant l'écran, et à nier son incapacité à s'en passer
  • Une impossibilité de diminuer ou de contrôler le temps passé devant l'écran
  • L'envie d'utiliser les écrans est impérieuse au détriment des comportements naturels de survie (dormir, s'alimenter).
  • L'incapacité de remplir ses obligations (travail, école, loisirs)
  • Un comportement agressif et une perte de la notion de réalité quand le jeune n'a pas accès aux écrans.
  • Un abandon des activités sociales, professionnelles ou de loisir au profit des écrans.

Les principes préventifs : la règle des « PAS »

Avant 3 ans, il faut savoir que 2 heures de télé quotidienne contribuent à multiplier par 3 la probabilité de voir apparaître des retards de développement et de langage.

Ensuite, le contenu anxiogène de certains programmes TV (journal télévisé) a des répercussions sur le comportement et la gestion des émotions de l'enfant, car son cerveau analytique (capacité à prendre du recul sur ses émotions) n'est pas terminé avant 24 ans.

Enfin, il s'agit de se souvenir que jouer c'est construire le réel, ce que ne permettent pas les écrans qui ne proposent qu'une réalité virtuelle. Répéter « red, green, blue » ou « one, two, three » devant un écran ne permet pas d'apprendre les bases du langage mais fabrique des perroquets capables de répéter sans réfléchir, tout simplement parce que cela ne fait pas sens pour l'enfant, dans une interaction avec son environnement concret, comme le ferait la manipulation d'objets physiques.

Le collectif COSE a été fondé sur ce constat. Il réunit des professionnels de l'enfance (pédiatres, pédopsychiatres, psychomotriciennes et médecins) qui souhaitent se mobiliser pour cette problématique et poser les bases d'une bonne hygiène d'utilisation des écrans sous la forme de 4 principes :

  • pas d'écrans le matin
  • pas d'écran pendant les repas
  • pas d'écrans dans la chambre de l'enfant
  • pas d'écrans avant de se coucher (1/2 heure avant)

Auxquels le neurologue Boris Cyrulnik ajoutera : « pas d'écran du tout avant 3 ans ».

À noter : le site internet du collectif C.O.S.E propose des ressources pour accompagner les professionnels et les familles.

Un usage raisonné et sous vigilance parentale

Il ne s'agit pas d'interdire totalement l'accès à l'outil numérique, ce qui reviendrait à passer d'un TOUT à un Rien intenable dans notre civilisation hypermédiatisée. En revanche, une fois bien informés et lucides, nous pouvons tenir compte, avec bon sens, du fait que les adultes et les enfants n'ont pas les mêmes besoins ni les mêmes capacités et que l'utilisation des outils numériques, comme d'autres outils et substances (alcool, cigarette, mais aussi conduite d'une automobile ou d'un scooter), doivent faire l'objet d'un apprentissage et reste soumise à des règles qui protègent.

  • *voir à ce sujet le reportage d'Envoyé Spécial sur la surexposition aux écrans, dans lequel les ténors repentis de la Silicon Valley, conscient du danger des écrans, avouent interdire à leurs enfants l'utilisation de ces technologies.

Photos : Shutterstock

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Écrit par

Caroline Gormand

Praticienne en psychothérapie et Hypnose - Sophrologue Sa vocation est de vous accompagner dans les changements que vous souhaitez pour vous même, dans le cadre d’une écoute bienveillante, afin de vous aider comprendre vos difficultés et blocages, et faire émerger les ressources, savoir-faire et savoir-être que vous pouvez mobiliser.

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Bibliographie

  • Le collectif COSE
  • « 3-6-9-12 Apprivoiser les écrans et grandir » du Dr Serge Tisseron (Psychiatre)
  • « TV Lobotomie » et « La Fabrique du Crétin Digital » du Pr Michel Desmurget ((directeur de recherches à l'Inserm)
  • L'émission « Envoyé spécial, spécial addiction aux écrans »

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