Gestalt et psychopathologie

La Gestalt-thérapie permet d'accompagner les personnes qui souffrent de pathologies diverses. Voici un exemple de la posture gestaltiste concernant l'histrionisme.

12 NOV. 2013 · Lecture : min.
Gestalt et psychopathologie

Le client histrionique se perçoit comme une personne sociable et enjouée. Cette perception colore ses sensations et ses processus de symbolisation. Par exemple, un intérêt modéré pour ce qu'un interlocuteur est en train de raconter, se transforme aisément en une symbolisation du genre : « je devrais en tant que personne sociale et enjouée, manifester beaucoup de fascination pour ce que cette personne me raconte... ».

Il est donc hautement mobilisé : sa tendance à exagérer ses sensations et ses émotions exige de lui une forte quantité d'énergie organismique. L'Histrionique, on l'a vu, a tendance à agir de façon théâtrale, affective ou impulsive. Cette affectation, il l'éprouve comme la manifestation de sa joie de vivre et il est rare qu'il puisse entrevoir ce qui, dans cette « joie de vivre » tient de la manoeuvre visant à satisfaire son immense besoin d'attention. Il est une personne de pré-contact. Il se sent relativement à l'aise dans tout ce qui est de l'ordre d'un prélude au contact mais a du mal à soutenir le plein-contact. Paradoxalement, bien qu'animé de cet immense désir de contact, sous forme d'attention, il ne peut jamais jouir vraiment du fruit des efforts qu'il fait pour attirer cette attention.

Les hypothèses psychanalytiques connues quant à ce qui empêche la jouissance du plein contact soulignent le fait que ce dernier est chargé de connotations de triomphe oedipien et doit donc être tenu à distance (transfert). Sachant la perception que le client histrionique a de lui-même (sociable et enjoué), il est plausible que le retrait tend à être anxiogène, puisqu'il risque de mettre cette perception favorable en péril. Son mode de résistance et d'adaptation majeur au contact est l'introjection. En effet, il se voit comme grégaire, sociable et charmant dans le rapport interpersonnel. En général, il n'est pas le genre de personne à être véritablement critique dans le pré-contact, à moins bien sûr qu'il ne croie qu'une telle attitude le rendra attrayant aux yeux de quelqu'un.

Toutefois, la plupart du temps, l'approbation enthousiaste de l'histrionique n'est pas à proprement parler une manifestation d'introjection, mais plutôt de déflexion : il échappe au contact. Les projections de l'histrionique sont également importantes. Elles contiennent par-dessus tout le désaveu de la séduction. Avec lui, la relation est d'emblée érotisée, mais la responsabilité en est attribuée à l'autre : les histrioniques, hommes ou femmes, sont la plupart du temps occupés à des projections stéréotypées quant au fait que les membres de l'autre sexe sont excessivement préoccupés par la sexualité et la séduction (projection). La rétroflexion concerne peu l'histrionique : il est trop hyperactif et trop préoccupé de séduire pour être véritablement habile à rétrofléchir.

En fait, souvent, il éprouve et parle de cette faible capacité à retenir comme d'une manifestation de sa spontanéité. Ses fonctions de contact, outre l'apparence dont nous avons parlé, sont :

  • La parole : il utilise sa voix en tant qu'instrument pour, encore une fois, attirer l'attention, en communiquant son goût pour la sociabilité et l'entregent. Sa voix est énergique et modulée. Son choix de mots va bien au-delà de son expérience et il est un virtuose des exagérations du type «toujours-jamais», du « tout-rien », et du «tout le monde-personne». Par exemple : « J'ai toujours fait ce que j'ai pu pour être gentil avec tout le monde et jamais personne n'a reconnu mes efforts !
  • L'écoute : au plan de l'écoute, l'histrionique est surtout disposé à entendre les aspects superficiels et mondains des communications verbales. Il a tendance à défléchir les tonalités intimes, dans son effort habituel pour ne pas s'impliquer dans le plein-contact.
  • Le mouvement et le toucher : avec l'histrionique, le toucher et le mouvement sont d'emblée érotisés. Ces fonctions de contact expriment sa sensualité et il les utilise de façon routinière pour se rendre désirable aux yeux des autres, et, plus particulièrement, aux yeux du thérapeute. On pourrait schématiser le cycle du contact de l'histrionique comme suit : l'histrionique est sujet à de multitudes introjections, nées de son désir de plaire (« C'est bien d'être sociable », « il faut être spontané »…). Sa fonction « moi » est omnipotente mais inauthentique. L'érotisation massive lors du pré-contact, venue d'un fort interdit de sexualisation qu'il tente de réparer en réamorçant perpétuellement des Gestalts, fait naître une angoisse du contact dès que la réalité de la relation apparaît ou que la sexualité est possible. La rupture du cycle du contact se fait alors généralement au niveau de l'excitation ou au plus tard à l'étape de l'émotion. Si le blocage n'est pas encore total à cette étape, il peut y avoir début de jeu (forme d'engagement) qui sera vite avorté s'il réalise que ce jeu n'est pas innocent. Le processus se termine généralement par une formation réactionnelle (fuite physique, symptômes, somatisation, frigidité…) venant renforcer les introjections (« le sexe c'est sale »), et éviter la mise en échec par autrui et l'angoisse que cette perspective engendre (anxiété du retrait). L'argumentation peut se présenter comme suit : « j'en ai envie mais je n'y ai pas droit parce que c'est mal ; rien que d'y penser c'est mal ; il n'est donc pas pensable que j'y pense ». Cette argumentation mène à une répétition de Gestalts et une souffrance psychique car elles se télescopent : la suivante arrive avant que la précédente ait pu se boucler. Il n'y a donc pas de place au plein-contact et au lâcher-prise et pas de possibilité de structuration de la Personnalité forte.

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Roue des Personnalités

La Gestalt prend en compte la personnalité histrionique et Serge Ginger l'a intégrée dans sa terminologie classique d'Hystérie. Dans sa « Roue des Personnalités », l'hystérique se situe dans le registre de la « soumission et de la dépendance » (notamment au regard de l'autre), dont la polarité « opposée » est l'Obsessionnel (contrôle et organisation ; maîtrise des objets). L'hystérique agit sur un fond de narcissisme et emprunte au borderline ses sautes d'humeur et son hyperactivité, ainsi qu'une rupture certaine dans le contact : Posture thérapeutique. Les clients histrioniques sont parmi ceux qui ont le plus recours à la psychothérapie en clinique privée et il leur arrive d'exprimer une nette préférence pour un thérapeute masculin ou féminin, selon ce qu'ils perçoivent de leur problématique.

A. Envisager la personnalité dans sa totalité

Pour le Thérapeute Gestaltiste, dans les pas de Lucien Israël, la personnalité histrionique présente également des traits de caractère positifs qu'il convient d'intégrer en complément des traits de souffrance décrits dans le DSM-IV. C'est au demeurant la posture naturelle d'un Gestaltiste, quelles que soient la pathologie et la névrose concernées. Les histrioniques sont des personnes qui ont des traits de personnalité constructifs comme :

• l'intuition

• la créativité

• la réactivité

• la fantaisie

• le jeu, le ludique

• la drôlerie

• la convivialité et la jovialité

• la souplesse d'esprit

• la spontanéité

• la confiance en l'autre

Ils sont potentiellement artistes, souvent doués pour la comédie.

B. Stratégie Thérapeutique

La reconnaissance du trait ou de la névrose hystérique ou d'une personnalité histrionique par le thérapeute Gestaltiste, permet de trouver des idées thérapeutiques pour mobiliser le client. Voici quelques pistes de travail non exhaustives :

Développer le pôle Obsessionnel

La « roue des Personnalités » de Serge Ginger permet de travailler avec les polarités : avec l'hystérique, le thérapeute peut travailler, entre autres, avec la polarité obsessionnelle par un travail en croissance.

  • Reconstruire l'estime de soi

L'hystérique/histrionique a une profonde altération de son narcissisme et son environnement peut ou a pu, étant enfant, manipuler ou récupérer son hystérie naturelle et saine : par exemple, enfant qui montre son zizi et qui se fait battre ou qui éveille un désir pédophile chez un adulte. Un travail sur la reconstruction de l'estime de soi est donc conseillé.

  • Combler le besoin de reconnaissance et d'amour

Le thérapeute participera à reconnaître l'hystérique/histrionique dans son manque d'affection, y compris dans ses tentatives de charme. Il pourra ainsi trouver l'affection autour de lui, autrement que par l'érotisation et la séduction artificielle et systématique. Il y a d'autres moyens d'être reconnu et il doit les prendre en considération. Gilles Delisle dit que dans sa gestion du contre-transfert, le thérapeute qui accepte d'être remis en question par l'hystérique/histrionique va lui permettre de vivre sa capacité à être avec sérénité, confrontée à elle-même, et non plus dans un jeu de séduction.

  • Recentrer sur la réalité et le détail

Il est nécessaire pour le thérapeute de se dégager du déferlement dramatique exprimé par l'hystérique/histrionique, tout en continuant à le soutenir, à le contenir et à l'écouter. Un sérieux travail de tri et de sélection dans le contenu de ce qu'il raconte doit être effectué.

  • Nommer et préciser les émotions

Au plan émotionnel, l'hystérique/histrionique aura besoin que le thérapeute nomme les sensations et les émotions car il est souvent perdu dans une exagération sensitive et est souvent incapable de faire la différence entre colère et excitation saine par exemple. Tout travail de dépliement, de détricotage, de recherche des événements les plus petits, sera utile à la reconstruction des repères. L'hystérique/histrionique ayant pu être abusé, de façon réelle ou fantasmée – de manière brutale ou subtile - dans son passé (détournement d'un désir de l'organisme par l'environnement), le thérapeute doit dans un premier temps se montrer distant et soutenant à la fois, afin de ne pas répéter le phénomène d'abus. L'hystérique/histrionique a une perception floue de sa frontière-contact. Le thérapeute doit donc veiller à restaurer une frontière nette et précise.

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Dédramatiser l'expression

L'excitation perpétuelle et le goût pour le théâtral de l'hystérique/histrionique, est un remède à son ennui, à sa solitude existentielle voire à son sentiment angoissant de finitude. Le thérapeute pourra l'inviter à connaître en séance les vertus du silence, du calme et de l'apaisement.

  • Réduire la symptomatologie

Pour accompagner des personnes qui auraient des traits d'hystérie de conversion, on peut s'inspirer de la triangulation de Sami ALI (théorie relationnelle unitaire) qui schématise la psychosomatique : La névrose résulte ici d'une déflexion d'un stimulus extérieur (par exemple, l'intrusion d'une mère provoque un eczéma chez un enfant). Le travail du thérapeute sera d'accompagner son patient dans un travail minutieux de reconnaissance de ses symptômes et des liens affectifs qu'il peut faire dans les phases précédant l'apparition de ses symptômes. Recentrage, méditation et introspection pourront être développés avec lui par le thérapeute, s'il a des compétences psychocorporelles. Sinon il pourra lui proposer un travail corporel apaisant par ailleurs : relaxation, sophrologie, massage… et d'entrer en lien avec un psychosomaticien afin de travailler sur la résolution des symptômes.

  • Différencier responsabilité et culpabilité

Par l'insistance sur la nécessité de l'engagement dans la thérapie, l'hystérique/histrionique pourra passer de la culpabilité fantasmée à la responsabilité engagée. En effet, ses jeux de séduction sont un évitement du contact et de sa responsabilité existentielle et l'excitation soudaine et perpétuelle suscite immédiatement chez lui confusions et angoisses. Comme orientation de travail, il faudra miser à mettre en échec le processus de déresponsabilisation, de culpabilisation et d'introjection. Le thérapeute pourra amener l'hystérique/histrionique à avoir accès à sa fonction « moi » en lui faisant expérimenter qu'il a des choix possibles et en mettant au jour ses nombreuses introjections. Le patient devra percevoir que le désir en lui-même est inoffensif mais que l'agir peut l'être et passer de l'irresponsabilité de la fonction « ça » à la responsabilité de la fonction « moi ». Quant au travail sur l'introjection, le travail portera sur la fonction « personnalité » très faible puisque les épisodes de contacts sont limités. Globalement, il conviendra de s'attacher à un meilleur traitement des excitations de la fonction « ça », un ralentissement de leur mobilité et une relativisation de leur intensité.

Assainir le contact

Face aux tentatives de séduction et d'érotisation de la personnalité histrionique, il convient de lui montrer que le thérapeute peut s'attacher à lui autrement ; qu'il a d'autres atouts que sa séduction et la sexualité pour entrer en contact. Cela renforcera au passage son estime personnelle et lui permettra de nouer des relations plus profondes et authentiques et de l'ouvrir à la possibilité de relations sexuelles non anxiogènes. Plus largement, nous avons vu qu'en « mode ça », le désir de l'Hystérique/Histrionique est flou, il est souvent confondu avec le désir de l'autre (confluence), des stéréotypes (projection) et il a peu de sensations ancrées. En « mode moi », s'il s'oriente, décide ou choisit, c'est souvent sur un mode délibéré ou contraint (introjection). En « mode moyen », il connaît donc peu le plein-contact, car il y a souvent fuite à l'étape du pré-contact (séduction sans suite, déflection) et les rares contacts sont inauthentiques (jeu de rôles ou actions délibérées) ou douloureux car le retrait est anxiogène. Enfin en » mode personnalité », l'assimilation est rarissime puisque le cycle ne se développe jamais complètement. Un travail sur les modes du cycle de contact et les modes de régulation sont donc nécessaires :

  • l'aider à ressentir vraiment et à développer ses propres désirs
  • l'autoriser à exprimer ses désirs propres
  • l'aider à prendre des décisions issues de ses propres ressentis
  • travailler sur ses multiples introjections
  • l'aider à rester ancrer afin de ne pas défléchir (rire, excitation, érotisation…)
  • lui laisser le temps de l'assimilation (silences, repos, méditation…)

L'intervention thérapeutique consiste à faire prendre pleinement conscience du processus de cycle de contact avant qu'il ne s'enraye. Il faudra calmer le jeu en encourageant la rétroflexion qui consiste en un salutaire contrôle de soi et en parallèle ramener l'Hystérique/Histrionique à l'ici et maintenant en dénonçant les projections et déflexions qui alimentent le processus pour arriver à l'angoisse sous-jacente et à l'introjection fondamentale. o L'être thérapeute Globalement, dans son être, le thérapeute devra veiller à être toujours centré et non dispersé, tolérant et accueillant, face à une personnalité souvent « agaçante » et « tous azimuts ». Il sera contenant et soutenant et veillera par sa juste distance à ne pas être « manipulé ». Il pourra ainsi dépister les idées suicidaires et l'état dépressif sous-jacent. En reconnaissant sa souffrance, cachée en apparence sous la joie et l'excitation, il désamorcera les tentatives d'évitement.

Conclusion

L'Hystérie, telle que décrite par Jean-Martin Charcot (la « grande crise » épileptique) ou Sigmund Freud, n'est plus d'actualité dans sa forme spectaculaire. Autre changement d'époque, longtemps considérée comme une névrose féminine, on repère aujourd'hui nombre d'hommes à la personnalité histrionique. La personnalité histrionique recouvre, selon le DSM-IV, des caractéristiques souffrantes pour la personne concernée quand elles ne sont pas traitées : - mal-être dans les situations où il n'est pas au centre de l'attention d'autrui, - interaction avec autrui souvent caractérisée par un comportement de séduction sexuelle inadaptée, - expression émotionnelle superficielle et labile, - utilisation régulière de son aspect physique pour attirer l'attention, - manière de parler trop subjective et très pauvre en détails, - dramatisation, théâtralisme et exagération de l'expression émotionnelle, - suggestibilité, - impression que ses relations avec les autres sont plus intimes qu'elles ne le sont en réalité. Toutefois, elle permet aussi une créativité et une fantaisie qui la rendent attachante et sympathique, si elles sont gérées. On retrouve cette richesse à double tranchant dans l'étymologie du terme Histrion (acteur facétieux et drôle souvent mêlés à des histoires controversées). Le thérapeute Gestaltiste pourra donc s'appuyer sur ces deux pôles de la personnalité histrionique pour affiner sa posture et accompagner de manière constructive son client : - développer le pôle Obsessionnel, - reconstruire l'estime de soi, - combler le besoin de reconnaissance et d'amour, - recentrer sur la réalité et le détail, - nommer et préciser les émotions, - dédramatiser l'expression, - réduire la symptomatologie, - déculpabiliser et responsabiliser - assainir le contact.

Et ce, d'autant plus et mieux qu'il saura être distant et cadrant, mais contenant et soutenant. La femme ou l'homme ayant une personnalité histrionique, est un bon client des cabinets de psychothérapie puisqu'il aime se montrer et parler de lui… C'est ce premier écueil que le thérapeute devra éviter : ne pas tomber sous le charme de cet histrion.

Photos : Shutterstock

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Écrit par

Stéphan Lert - Psychopraticien (adultes-enfants/adolescents-couples)

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Commentaires 2
  • Pierre Pignac

    excellent pour moi ! J'en rajoute pour être accepté...

  • Véronique R

    Bonjour, j'ai souffert d'une mère histrionique et je souffre moi-même aujourd'hui d'un trouble schizo-affectif (actuellement sous traitements). Aujourd'hui, je souffre de certains troubles émotionnels (en relation avec ma mère). Je ne connais pas la Gestalt et j'ai beaucoup apprécié votre article. Pourriez-vous me conseiller un praticien dans la même lignée que vous dans le sud de la France (Salon de Provence) ? Merci

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