Les changements : questionnement autour des actes choisis et/ou manqués

Les changements, on en rêve certains. Toutefois lorsqu'ils surviennent brutalement, malgré soi, ils peuvent être aussi traumatiques, ouvrant une rupture au sein d'une continuité établie.

6 AVRIL 2021 · Lecture : min.
Les changements : questionnement autour des actes choisis et/ou manqués

J'ai du succès dans mes affaires

J'ai du succès dans mes amoursJe change souvent de secrétaireJ'ai mon bureau en haut d'une tourD'où je vois la ville à l'enversD'où je contrôle mon universJ'passe la moitié de ma vie en l'airEntre New York et SingapourJe voyage toujours en premièreJ'ai ma résidence secondaireDans tous les Hilton de la TerreJ'peux pas supporter la misèreAu moins es-tu heureuxJ'suis pas heureux mais j'en ai l'airJ'ai perdu le sens de l'humourDepuis qu'j'ai le sens des affairesJ'ai réussi et j'en suis fierAu fond je n'ai qu'un seul regretJ'fais pas ce que j'aurais voulu faireQu'est-ce que tu veux mon vieux?Dans la vie on fait ce qu'on peutPas ce qu'on veutJ'aurais voulu être un artistePour pouvoir faire mon numéroQuand l'avion se pose sur la pisteÀ Rotterdam ou à RioJ'aurais voulu être un chanteurPour pouvoir crier qui je suisJ'aurais voulu être un auteurPour pouvoir inventer ma viePour pouvoir inventer ma vieJ'aurais voulu être un acteurPour tous les jours changer de peauEt pour pouvoir me trouver beauSur un grand écran en couleurSur un grand écran en couleurJ'aurais voulu être un artistePour avoir le monde à refairePour pouvoir être un anarchisteEt vivre comme ... un millionnaireEt vivre comme ... un millionnaireJ'aurais voulu être un artistePour pouvoir dire pourquoi j'existeJ'aurais voulu être un artiste Pour pouvoir dire pourquoi j'existe

Le blues du businessman

La boite aux lettres du désir

Qui n'a pas été amené un jour à rêver de changement de vie ? Les rêves, la voie royale vers l'inconscient, nous ouvrent la porte vers le champ de notre désir. On commence par des projets. "Quand je serai grand je serai policier". "Quand je serais à la retraite, je prendrais des cours de jardinage". "Quand les enfants auront fini leurs études, on pourra enfin s'acheter une moto". "Quand j'aurai 18 ans, je prendrai mon appart". "Quand le COVID nous laissera tranquille, on se réunira en famille". "Quand je l'aurai quitté, je serai mieux". Les envies et les projets, on en a tout au long de la vie. On se projette, on s'enfuit, on se fait du bien en songeant que, peut-être, plus tard, là-bas, ailleurs...

Ces projets, ces idées, en fin de compte, les réalise-t-on vraiment ?

Sur nos parcours, il y a souvent une boite aux lettres et dans nos poches, une lettre. Cette lettre, dans notre poche, c'est la promesse qu'on s'est faite de devenir policier, de prendre des cours de jardinage, de s'acheter une moto, de prendre un appart, de se reunir en famille, de se séparer.

"Si je conçois un projet le matin qui doit être réalisé le soir, il peut arriver que certaines circonstances m'y fassent songer plusiseurs fois au cours de la journée. Mais il n'est pas du tout nécéssaire que ce projet reste dans ma conscience toute la journée. Lorsque le moment de la réalisation approche, il me revient subitement à la mémoire et incite à faire les préparatifs que nécessite l'action projetée. Lorsqu'en sortant de chez moi j'emporte une lettre que je me propose de mettre dans une boite, je n'ai nullement besoin, si je suis un individu normal et non névrosé, de tenir la lettre à la main tout le long du chemin et de chercher tout le temps à droite et à gauche une boite aux lettres pour exécuter mon projet à la première occasion qui pourra se présenter : je mets ma lettre dans ma poche, je laisse tranquillement mes idées se succéder, librement, comptant bien que la première boite que j'apercevrai éveillera mon attention et m'incitera à plonger la main dans ma poche pour en retirer la lettre. L'attitude normale à l'égard d'un projet conçu se rapproche tout à fait de celle que l'on détermine chez des personnes auxquelles on a suggéré sous hypnose une idée "post-hypnotique à longue échéance" (Bernheim, Hypnotisme, suggestion, psychothérapie, Paris, Doin, 1891). On décrit généralement le phénomène de la manière suivante : le projet suggéré sommeille chez la personne en question jusqu'à l'approche du moment de l'exécution. Il s'éveille ensuite et pousse à l'action."(Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne, Petite Bibliothèque Payot, 1967, p.190).

Bien sûr qu'en est-il des oublis ? Des actes manqués ? J'ai oublié de téléphoner au propriétaire de ce studio que je devais visiter à côté de la fac.

"L'oubli de projets reçoit d'ailleurs une bonne illustration de ce qu'on pourrait appeller "la conception de faux projets" (...) "des résistances intérieures" (op.cit.p.201)

Qu'en est -il des maladresses, des accidents? Je ne pourrai pas devenir policier, je me suis cassé la jambe le jour de l'examen.

"Tomber, c'est faire un faux pas, glisser - autant d'accidents qui ne résultent pas toujours d'un fonctionnement momentanément et accidentiellement défectueux de nos organes moteurs. Le double sens que le langage attribue à ces expressions montre d'ailleurs quelles sont les idées dissimulées que ces troubles de l'équilibre du corps sont succeptibles de révéler" (op.cit.p.220). "Il faut dire que ce sont justement les actes symptômatiques de ce genre qui nous ouvrent le meilleur accès à la connaissance de la vie psychologique intime de l'homme (op.cit.p.267).

"Le mécanisme des actes manqués et accidentels, tels qu'il s'est révélé à nous grâce à l'application de l'analyse, montre, dans ces points essentiels une grande analogie avec le mécanisme qui préside à la formation de rêves, tel que je l'ai décrit dans le chapitre "Travail du rêve" de mon livre sur La Science des rêves. De part et d'autre on trouve des condensations et des formations de compromis (contaminations) ; la situation est la même, c'est à dire qu'elle est caratérisée par le fait que des idées inconscientes arrivent à s'exprimer à titre de modifications d'autres idées, en suivant des voies inaccoutumées, indépendamment des associations extérieures". (...) Mais nous avons encore un intérêt tout particulier à considérer les actes manqués, accidentels et symptômatiques, à la lumière de cette dernière analogie. En les mettant sur le même rang que les manifestations des psychonévroses, que les symptômes névrotiques, nous donnons un sens et une base à deux affirmations qu'on entend souvent répéter, à savoir qu'entre l'état nerveux normal et le fonctionnement nerveux anormal, il n 'existe pas de limite nette et tranchée.(...)."Mais le caractère commun aux actes les plus légers comme les plus graves, donc aussi aux actes manqués et accidentels, consiste en ceci : tous les phénomènes en question, sans exception aucune, se ramènent à des matérieux psychiques, incomplétement refoulés et qui, bien que refoulés par le conscient, n'ont pas perdu toute possibilité de se manifester et de s'exprimer (op.cit.p364 à 366).

Freud a montré que le rêve est la voie royale à l'inconscient mais qu'il y a dans notre vie quotidienne" d'autres chemins vers cette part qui échappe à notre contrôle et qui, par ses manisfestations, traduit nos désirs."

Le changement comme avancement vers soi

Désirer c'est manquer. Rêver de partir, s'imaginer ailleurs, tout plaquer, larguer son entourage, changer d'emploi etc fait sens. L'esprit mais le corps, la maison, peuvent- être une station du voyage : changer de coupe de cheveux, se faire tatouer, changer de look, refaire la décoration, déménager etc. Il y a des désirs venant du Moi.

Vouloir changer de vie, c'est déjà percevoir une sortie d'impasse en premier lieu pulsionnel, une mise en mouvement, parfois un passage à l'acte. "C'était plus fort que moi, j'ai acheté une moto". La pulsion est un concept majeur de la psychanalyse, un processus dynamique qui tend vers un but de l'apaisement de l'exitation. Alors oui, tout plaquer peut être cette voie de décharge d'un affect insupportable, sous pression et pouvant être associé à un conflit. La pulsion est liée à une manifestation corporelle. On peut imaginer une sensation d'étouffement et une pulsion d'aller prendre l'air pour s'en décharger. Prendre l'air revêt de nombreux aspects bien sûr allant de la pause cigarette à l'hôtel où l'on ira passer la nuit pour respirer un peu, que ce soit pour prendre des vacances ou dans le cadre d'une scène de ménage.

René Roussillon souligne que « La pulsion est « […] notre grand principe énergétique interne, […] un concept forgé pour résoudre des difficultés dans la théorisation de l'articulation de la vie psychique et de la vie somatique. […] En tant que telle on ne la rencontre jamais, on rencontre ses représentants ".

Quand le changement est traumatique

Le changement a un doux goût d'exotisme mais oui aussi, certains évènements de vie peuvent venir lourdement impacter l'existence : entrée au CP, décès, divorce, mariage, pax, licenciement, grossesse, naissance, déménagement, retraite, séparation, changement de rythme etc. mais que disent-ils de nous et ne sont-ils pas là comme un chemin à prendre aussi ? L'essentiel n'est-il pas de savoir si on est en train de tourner en boucle dans un rond point ou s'il s'agit d'une sortie que l'on n'aurait jamais osé prendre ? Plutôt qu'un échec à ressentir, que nous invitent-il comme autre voyage ? Ce licenciement se permettrait-il pas de changer d'emploi et de devenir policier? Cette mise à la retraite anticipée ne permettra-t-elle pas de repenser à cette moto qu'on n'a jamais finalement acheté ?

Il n'en demeure pas moins que ces derniers évènements de vie liés à des changemements de vie peuvent se révéler absolument traumatiques s'ils réactivent des "déjà-vu - déjà souffert" ou s'ils arrivent trop subitement sans y être préparé. Ils sont amplifiés émotionnellement et brouillent la vue.

Ainsi le changement, subi ou décidé, fait partie de la vie et sont tels des carrefours à prendre. Nous changeons de toute façon chaque jour un peu plus depuis notre naissance, multipliant les expériences et les apprentissages. Ce que nous sommes aujourd'hui ne sera pas vraiment ce que nous serons demain ni ce que nous étions hier. Parfois on tourne en rond longtemps dans le rond point tout comme on aura mis le pantalon et la lettre avec à la machine à laver et il faudra un accident pour nous en faire sortir ou un nouveau facteur à croiser parfois alors oui le hasard s'en mèle. Parfois, les projets vers du mieux être sont plus fluides et on postera la lettre dans la poche.

La vie est faite d'étapes, d'oublis, de rencontres et d'expériences et leur donner sens permet, comme avec l'analyse des rêves, d'aller pleinement vers soi en écoutant ce que ces changements disent de nous.

Photos : Shutterstock

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Écrit par

Corinne Vera Alexandre

Psychanalyste, Hypno analyste, Psychothérapeute et Sexothérapeute, elle exerce dans le Vaucluse à Bollène et Avignon ainsi qu'en ligne. Elle utilise les thérapies brêves en association de la psychanalyse dans une pratique intégrative en EMDR et en Hypnose.Sa pratique est aussi psychocorporelle avec l'hypnose et de la médiation corporelle.

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Bibliographie

  • Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne, Petite Bibliothèque Payot, 1967, p.190

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