Suicide : le récit de quelqu'un qui a survécu

En pensant rationnellement, on a du mal à comprendre que les décès par suicide l'emportent sur les maladies graves ou incurables. Mais, en y pensant émotionnellement, c'est logique.

16 OCT. 2017 · Lecture : min.
Suicide : le récit de quelqu'un qui a survécu

Comment un acte volontaire peut-il causer tant de morts alors que le gouvernement investit tant dans sa prévention et son combat ? Quand on y pense émotionnellement, les statistiques prennent pour moi un sens : la douleur d'être vivant, accroché à la vie par un fil, je connais cela très bien.

D'une certaine façon, parler de suicide m'aide et, dans mes sentiments les plus sincères, la possibilité que mon histoire puisse aider m'apporte une grande satisfaction.

Cette dernière semaine, avec la fin du Yellow September (mois de prévention du suicide), un thème a été très abordé avec la campagne #faceofdepression, réunissant des photos de personnes ayant fait une tentative de suicide ou s'étant suicidé. Les photos dataient que quelques jours ou heures avant l'acte, montrant bien que le suicide n'était pas le fait d'un stéréotype défini. J'ai commencé cet article avant de connaître l'existence de cette campagne, mais avec le même objectif.

La discussion ne doit pas se centrer sur la bravoure ou la couardise de l'acte, mais bien montrer que c'est le résultat d'une douleur intense et persistante. Je crois que beaucoup recherchent en la psychothérapie un moyen de découvrir l'origine de leurs douleurs. Les comprendre peut évidemment aider. Mais, soyons pragmatiques, cela ne permet pas toujours de mettre fin aux souffrances. Les raisons ne changent pas le fait que la douleur est présente, ne changent pas le passé et n'aident pas à dormir plus sereinement.

La majeure partie des gens connaissent l'origine de leur douleur et ne la sentent pas s'adoucir pour autant.

La "supposée cause" de mes problèmes a été la mort de mon père, à mes 7 ans. Oui, vous devez penser que ce n'est pas une raison pour vouloir mettre fin à ses jours, et je suis d'accord, car ça ne l'a pas été. Voilà comment a commencé cette étape de ma vie et est née cette "douleur" qui m'a amenée des années plus tard à la TS.

Ça a été très dur, ma fratrie et moi avons dû changer d'école et faire avec les regards de compassion de nos camarades, professeurs et voisins, qui exprimaient la douleur devant ces trois enfants et cette veuve d'à peine 38 ans. Mais, évidemment, ce n'était pas non plus la raison de mon acte.

L'origine de ma douleur, augmentant au fil du temps, a été l'impression que ma famille mourait après le décès de mon père. Aujourd'hui, 23 ans après, je perçois la difficulté des personnes qui doivent affronter le deuil d'un être cher. Je ne sais pas s'il s'agit d'un manque d'information et de soutien, ou si affronter la mort fait partie de la nature humaine.

À l'époque, ma sensation a été d'être devenue orpheline, au coeur d'une famille fantôme qui n'a jamais montré qu'elle percevait ce qui se passait à l'intérieur de moi-même. À 12 ans, j'ai commencé à fumer et à 14, à prendre des drogues. J'ai fugué plusieurs fois et, à 16 ans, alors que ma dépression était mal comprise, j'ai découvert une chose qui soulageait ma douleur et calmait mes pensées bien plus que n'importe quel analgésique : me couper.

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Les coupures étaient faites dans des endroits cachés et n'étaient pas destinés à attirer l'attention. Un des psychologues qui m'a aidé lors de l'une de mes nombreuses crises m'a expliqué que ces coupures étaient la manière que j'avais trouvé de faire ressortir les blessures que je portais à l'intérieur.

Ça avait du sens : à cette époque, ma douleur était bien développée, je la pensais intraitable et inaccessible, alors que les blessures externes me donnaient une sensation de soulagement et d'autonomie. Me mutiler calmait ma douleur.

Douleur invisible

Personne ne savait ce que je ressentais, ça me faisait me sentir invisible. Je doutais de mon existence : le sang me faisait revenir à la réalité. J'étais encore faite de chair et d'os.

Accidentellement, ma mère vit à deux reprises les coupures sur ma cheville. À ses questions, je répondis que j'étais tombée à vélo. Les deux fois. Deux fois j'ai répondu que j'étais tombée en vélo, à deux périodes différentes, et deux fois la réponse est passée. J'ai des frissons au souvenir du silence de ma mère.

Est-ce que j'étais déprimée ? Oui. Est-ce que j'étais visiblement déprimée ? Non.

Je n'ai jamais été "visiblement déprimée", au contraire. On est toujours venu me chercher car j'étais de bon conseil, amusante, spontanée et intrépide. J'ai toujours été vue comme authentique et entourée d'amis. Mais, à l'intérieur, la douleur grandissait et grandissait, et à certains moments je demandais à Dieu qu'il m'enlève, qu'il ne me donne pas la possibilité de me réveiller le matin suivant.

Le diagnostic borderline fut posé peu de temps après et je crois que ça collait bien. La nomenclature borderline dérive du limitrophe et du frontalier, et qui souffre de ce trouble vit entre la névrose et la psychose. C'est ce que je ressentais : entre raison et folie. Une personne pleine de vie et brillante, mais qui portait en elle une grande obscurité la conduisant à rechercher la mort.

Les année passaient, j'allais parfois mieux, parfois moins bien, mais le noeud dans ma gorge et l'abîme étaient toujours là. Ce noeud ne me laissait pas respirer. J'avais l'impression de suffoquer, d'une certaine manière ; la recherche de la mort n'était pas présente de façon aussi claire et objective mais se manifestait sous d'autres formes.

Je développais des troubles alimentaires, commençais à boire fréquemment et avais des conduites à risques. La dernière année d'université, il s'est passé beaucoup de choses dans ma vie et mon corps commençait à s'effondrer. Ça faisait un an que j'avais arrêté de me mutiler et, un jour, j'ai été prise d'une angoisse telle que je savais qu'il fallait recourir au pont qui me ramenait à la réalité.

Je garai ma voiture près d'une papeterie et y achetai un stylet. Désespérée, j'entrai dans les toilettes d'un centre commercial et me coupai avec une intensité que je n'avais jamais connue jusque là. C'est à ce moment-là que j'ai décidé de demander de l'aide.

Appui professionnel

Je commençai un traitement psychiatrique et psychologique. Après quelques semaines, comme je ne sentais pas d'amélioration significative, je décidai de commencer un cocktail de médicaments : antidépresseurs, anxiolytiques, antipsychotiques et stabilisateurs de l'humeur, environ 10 comprimés par jour.

Un jour au travail, je me brouillai avec mon copain par sms et, pour essayer de me calmer, je pris quelques gouttes en plus d'anxiolytique. Il fallait en prendre 5 gouttes par jour. Pendant la dispute, j'en pris près de 60. Ce ne fut pas la dispute, ni le médicament, mais j'ai été dépassée.

Je commençai à pleurer compulsivement, de tout ce que je n'avais pas pleuré pendant toutes ces années. J'appelai la psychiatre qui m'indiquait un service d'urgence. En arrivant à l'hôpital, au moment de classifier mon cas et d'évaluer l'urgence, l'infirmière me demanda pourquoi je venais et je répondis que j'avais pris 60 gouttes d'anxiolytiques. À ce moment-là, elle me prit dans des bras et me dit de ne pas m'en faire. Je pleurais encore plus.

Je porte encore la sensation de ce câlin à ce jour, et c'est grâce à lui qu'un de mes manques fut comblée. Jusque là, je doutais de mon existence et, pour la première fois, je me sentais vue, assurée que c'était réel.

Deux semaines plus tard, après une nuit chez mon copain, je me réveillais en retard pour le travail (les médicaments du soir donnait très sommeil). J'ai toujours été très ponctuelle, et ce retard d'une demie-heure m'a tellement perturbée que je ne pouvais pas l'expliquer avec mes mots. Si vous souhaitez connaître la raison littérale de cette tentative de suicide, la voilà : je me suis réveillée en retard pour aller au travail.

C'est ce jour-là que j'ai compris ce qu'était une épidémie. C'est comme si un barrage avait éclaté et emporté mes valeurs éthiques, morales et ma capacité de raisonnement. Tout était confus.

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Mon unique souvenir est de sortir de l'immeuble de mon copain avec mon sac du week-end. Je suis dans la voiture, je pleure et je prends tous mes médicaments du mois. Je veux que ce soit clair : je ne me souviens pas d'avoir pris cette décision, ni de la raison pour laquelle je pleurais. Ensuite, j'ai appelé au travail pour dire que je ne viendrais pas aujourd'hui, tout en pensant à l'infirmière qui m'avait prise dans ses bras. Je décidai d'aller à l'hôpital la chercher parce que, à mes yeux, c'était la seule qui pouvait me voir.

Je me revois arriver dans la rue de l'hôpital et aller vers les urgences. Je ne sais pas comment je me suis dirigée jusqu'à l'hôpital. Je demande à un agent de sécurité où sont les urgences psychiatriques. Ensuite, c'est le black-out.

Je me souviens ensuite d'être sur une civière, pleurant de douleur alors qu'on me met un tube de lavement nasogastrique et qu'on m'injecte un sédatif. Après cela, la psychiatre m'a dirigé vers un autre collègue car elle ne pensait pas pouvoir traiter mon cas. La psychothérapie est interrompue aussi par manque d'expérience du professionnel face à une tentative de suicide.

Le dénouement

J'ai fini par trouver les bons professionnels. Après 2 ans de suivi, je ne souffrais plus de cette instabilité émotionnelle, d'automutilation, de pensées suicidaires et je ne suffoquais plus à cause de ce noeud dans la gorge. Aujourd'hui, après 5 ans, je crois en mes ressources émotionnelles pour gérer mon passé et mes émotions.

Je suis professionnelle de santé, et j'ai marqué certains patients en leur offrant une accolade accueillante et apaisante, comme celle que j'ai reçue. Vous vous souvenez que, pour moi, la raison ne soulage pas la douleur ?

Ce qui amenuise la douleur, c'est l'expérience émotionnelle, et c'est ce que j'ai ressenti après ce câlin qui m'a fait rechercher un hôpital après une décision impulsive que je ne me souviens pas avoir prise.

A ceux qui souffrent de douleur sévère et pensent que la mort est une option : n'abandonnez pas, trouvez un moyen de demander de l'aide. Il y a toujours des moyens d'en finir avec la douleur sans que cela signifie en finir avec votre vie.

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psychologues
Écrit par

Témoignage de Sarah

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Commentaires 10
  • LOSER

    Trois mois apres une TS je suis d'accord avec l'importance du dialogue emotionnel. Je suis dans le reseau Vigilans et en psychotherapie. Cela ne change rien a ma souffrance et une TS reste possible lorsque je ne pourrais plus vive ainsi... Elle se fera dans la solitude et la peur, souffrance totale et doit reussir. Je lutte seul. Cela doit etre un choix respecte.

  • Loïc

    Ton histoire me fais penser à celle de mon ex copine et malgré qu'on ne soit plus ensemble, je suis resté en bon terme avec. On se voyait très souvent et j'essayais très souvent de la motiver pour lui donner goût à la vie mais je vous avoue que c'est une épreuve très complexe à surmonter. Dépression, abandon, borderline ou bipolaire et alcool en tout genre sont les émotions qu'elle vivait depuis plus de 10 ans. J'ai fais énormément de choses pour elle mais la semaine dernière elle a sauter du 6 ème étage.. Mais un miracle s'est produit, elle est encore vivante, sortie du coma, conscient de ce qu'il s'est passé, elle a de multiples fractures mais je sais qu'elle va s'en sortir après une longues rééducation. Au fond de moi j'ai toujours étais amoureux de cette jeune femme mais je ne savais pas quoi faire, je me sens coupable de cette situation car c'est extrêmement grave mais j'ai accepté le geste car je sais que c'est une souffrance sans fin. Peut être que c'est un mal pour un bien qu'elle s'en sorte et qu'elle se fera vraiment suivre et qu'elle ira de l'avant, nos moments me manquent énormément et je ne la lâcherais jamais.

  • Léo

    Je me reconnais bien dans toute cette description . Ça m’a fait du bien de le lire. Il y a 1 an et demi j’ai voulu mettre fin à mes jours . Je ne me souvient pas de cette nuit terrible . J’ai été dans le comas 10 jours durant et à mon réveil on m’a dit ce que j’avais fait ! Je ne voulais pas le croire! C’est un médecin qui m’a dit que j’avais sauté du 4 eme étage . Mes premiers mots ont été qu’on m’avait poussé ! Évidemment que non . J’ai écrit des mots pour ma famille en expliquant mon geste , le pourquoi . Bref je n’ai jamais voulu les voir car j’ai peur que tout me revienne en bloc. J’ai toujours été une fille souriante , gentille avec tout le monde , à l’ecoute et très soucieuse de mon physique . Autant dire que ce geste ne me ressemble pas . J’ai le vertige et j’aurai jamais risqué m’abîmer. Aujourd’hui je réapprends à vivre avec mes séquelles . J’ai eu beaucoup de chance dans mon malheur , je marche , mon corps se répare comme par magie, je sais que je suis une vrai miraculée . Je ne fume pas ni ne bois d’alcool , ni autre Ce soir là je ne m’aimais plus assez sûrement , il parrait que j’etait très calme d’après des amis que j’ai eu au téléphone . Anormalement calme . C’était le 11 février 2020 .

  • anonymous

    tu viens de sauver une vie

  • Ohjaja

    Moi mon salut est venu de mon amour pour les animaux. J'ai donc pris une chienne. Et j'ai trouvé une raison de vivre. Mais au final je l'aime tellement que je refuse tout amour de quelqu'un d'autre et j'ai très peur du jour où elle va partir. J'ai peur que ce soit cette envie de vivre qui part avec.

  • TinaduSud

    Merci...........................................................

  • Roger

    Quand ont ne peux rien que faire les antidépresseur ne fonctionnent pas les électrochocs ne fonctionnent pas la stimulation magnétique ne fonctionne pas J'ai une polyarthrite rhumatoïde Une pudendalgie avec douleurs neuropathiques nodules a la thyroide Les médecins sont dépassés Vous faite faites quoi

  • desesperee

    quand on est desepéreé sans soutien

  • WendyHastings

    Ce témoignage est touchant...

  • Mirabelle

    Témoignage bouleversant, je m'y retrouve aussi dans ce témoignage, pour être passé par là, j'ai pris un chemin différent sur le plan professionnel mais en effet, il ne faut jamais abandonner, demander de l'aide et y croire.

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