Le Covid-19 et ses conséquences : l’émergence de symptômes post-traumatiques

Pour la plupart des patients du Covid-19 sortant de réanimation, le plus difficile est le décalage entre leur état psychique et leur état physique.

28 MAI 2020 · Lecture : min.
Le Covid-19 et ses conséquences : l’émergence de symptômes post-traumatiques

Au cours des semaines passées, les médias ont largement communiqué sur les conséquences psychologiques liées à la propagation du Coronavirus - COVID-19.

Conséquences pour les personnes confinées bien sûr, car avec ce virus, le chaos est entré brutalement dans notre vie quotidienne, notre rapport au travail, nos relations avec nos enfants/parents, notre façon de communiquer avec autrui ; tout, absolument tout, a été perturbé, entraînant chez certaines personnes des conséquences psychologiques importantes, les laissant comme exsangues sur un champ de bataille à l'heure du déconfinement.

Conséquences pour le personnel médical, qui a dû faire face, avec des moyens insuffisants et des injonctions paradoxales incessantes (ne portez pas de masques mais finalement portez des masques ! Prenez soin de vos patients mais ne les approchez pas trop – Soignez mais ne contaminez pas vos proches – etc.).

Anxiété, stress, angoisse, troubles de l'humeur, insomnies, attaques de panique, pour certains donc. Mais pour d'autres, ce confinement aura pu être un moment de répit, comme une parenthèse enchantée dans leur vie (trop) trépidante ou (trop) compliquée. Engendrant une crainte de la reprise d'une vie « normale », pouvant provoquer l'angoisse à ce moment précis du déconfinement si attendu par ailleurs, et ce, jusqu'à avoir des comportements dépressifs, une impossibilité à sortir, à reprendre une vie normale, proche de la phobie sociale.

Et les malades dans tout ça ? Si on en parlait ?

Il y a eu des malades qui ont « seulement » passé plusieurs jours alités. Certes, ils n'auront pas été hospitalisés, mais auront vécu pour certains une période noire, isolés de leurs proches, mis en « quatorzaine », pouvant vivre cela comme une stigmatisation douloureuse.

Il y a eu les personnes décédées, provoquant un raz-de-marée émotionnel chez leurs proches, la douleur de perdre quelqu'un de sa famille ou de son entourage s'additionnant à la sidération devant la violence du virus, le tout couronné par la difficulté de dire adieu à cette personne avec l'impossibilité d'organiser des funérailles dignes de ce nom, qui comme, chacun sait, sont un premier pas à accomplir sur le long chemin du deuil.

Et puis il y a eu les malades qui ont frôlé la mort. Qui sont sortis de l'épreuve de la réanimation, arrachés à la mort par les soignants cités plus haut. Comment s'en sortent-ils ?

Antoine est médecin spécialiste dans une clinique parisienne.Le 16 mars, il montre les premiers signes du Coronavirus. La semaine précédente, il a pris en charge deux patients victimes de malaises cardiaques, sans être prévenu immédiatement qu'ils étaient contagieux. Et de toutes manières, cette semaine-là, l'ARS (Agence Régionale de Santé) donne pour consigne de ne pas porter de masques. Du reste il n'y en n'a plus à la clinique, ils ont été volés. Au départ Antoine n'est pas très inquiet. Il est médecin, il sait que 95 % des cas ont des formes bégnines. Mais le 20 mars, très fébrile et essoufflé, il se fait hospitaliser dans la clinique où il officie. Le 23, il est transféré en réanimation, mis en coma artificiel d'où il ne sortira que 15 jours plus tard, le 5 avril, sauvé par un traitement expérimental administré par son collègue chef de service en réanimation. Le miracle a eu lieu. Antoine n'en n'a pris conscience qu'à postériori, au fur et à mesure que son entourage (famille, médecins, infirmières) lui raconte son histoire. Et c'est là sa chance. Être bien entouré, contrairement aux autres patients, plus isolés. Car le plus dur dit-il, c'est le réveil. On se réveille, on est attaché, on entend des bruits, on ne sait pas où on est, pourquoi on est là (en prison ? en otage ?).

Alors évidemment, Antoine est passé par un panel d'émotions qui heureusement n'ont pas été « confinées ». La colère d'abord. Contre le gouvernement qui communiquait sur l'absence de nécessité du port du masque. C'est devenu obligatoire la semaine de son hospitalisation. Trop tard pour lui donc. La culpabilité d'avoir sous-estimé les risques d'attraper le virus, et les complications qui pouvaient en résulter. La peur, l'angoisse lors du réveil : Où suis-je ? Que s'est-il passé ? Puis les conséquences de la réanimation : perte de la voix, séquelles (provisoires) au niveau de la main, diminution physique, dépendance aux autres, et notamment aux soignants qu'il connait, ce n'est pas facile de vivre cela. Malgré tout, Antoine est positif, il réagit avec optimisme. Mais il reconnait que cela lui a été plus facile sûrement qu'à un patient « lambda ». Il a eu un régime de faveur par rapport à d'autres : des visages connus autour de lui, qui s'occupaient de lui, le droit d'avoir des visites de sa famille (composée en grande partie de soignants), des visites aussi d'autres amis médecins. La chance également, de savoir de quoi on lui parlait, et de récupérer plutôt rapidement car il est d'une nature solide. La chance d'avoir une famille unie et aimante. Le confinement qui a suivi sa sortie a été un peu difficile, car peu de contacts après l'effervescence de la clinique. Et puis il y avait la perte de la voix, retrouvée un mois plus tard, qui est comme une barrière entre soi et la « vie normale » si on peut dire. Quand on n'a plus sa voix, on est traité comme un malade, les gens n'osent pas trop vous parler de peur de vous fatiguer, et c'est épuisant pour se faire comprendre aussi.

Enfin, il y a les dommages collatéraux : Antoine était en train de contracter un emprunt à la banque pour un achat immobilier. Ça va être compliqué. Antoine n'est pas de ceux qui vont se laisser envahir par un sentiment d'injustice, il va de l'avant, parce que la vie est une chance. Mais il reconnait être assailli de pensées parfois envahissantes : le problème de la reprise du travail (pas encore possible cinq semaines plus tard), et donc des finances, le problème du prêt, la lenteur de la récupération… Il n'a pas eu de suivi psychologique à la clinique, et pense que cela doit manquer à certains patients. En effet la clinique où il exerce, privée, ne dispose pas de cellule psychologique.

Cette dernière existe en revanche dans le public, où les services de psychologie sont extrêmement sollicités et en alerte maximum sur les effets de la réanimation des patients du Covid-19.

Thomas, psychologue dans un Hôpital parisien, explique comment cela se passe pour ces patients sortis de réanimation. Généralement, ils ont l'impression que cela a duré une nuit. En fait cela a duré 1 semaine, 15 jours voire plus (il rapporte un cas de 45 jours !). Il y a de leur part un moment de sidération quand ils réalisent cela. Puis une forme de soulagement de s'en être sortis. Progressivement, certains ont quelques souvenirs, et souvent l'impression d'avoir été maltraités, bousculés. Ce n'est pas forcément la vérité, mais c'est leur ressenti. Ils font des cauchemars, ils ne sont pas sûrs de leurs souvenirs. Cela peut être très déstabilisant, voire traumatisant. Habituellement en service de réanimation, les nouvelles sont données à la famille. A sa sortie, le patient peut donc refaire l'histoire avec l'aide de ses proches. Ce qui est difficile avec le Covid-19, c'est que les visites étant interdites, cette transmission ne se fait pas, ou peu, et compte tenu du volume des urgences, la communication est au niveau minimum. A l'hôpital Saint-Joseph à Paris, le service de réanimation a décidé de mettre en place un « journal de bord » pour chaque patient. Celui-ci pourra alors savoir quel a été son traitement chaque jour, s'il le souhaite. Quelle jolie initiative qui prend en compte le ressenti des patients !

Des réactions très différentes selon les personnalités et le contexte

Le côté positif qui ressort pour de nombreux cas, est le sentiment d'euphorie de s'en être sorti, de retrouver ses proches, ainsi qu'un sentiment très fort de gratitude envers les soignants. Il arrive que ces patients-là trouvent le moyen de rebondir, prenant tout d'un coup leur vie en mains, avec de nouveaux projets, de nouvelles idées, de nouvelles résolutions. Comme s'ils se disaient tout d'un coup « tu vaux mieux que ça ». Par ailleurs, certains vivent ça comme un évènement dans leur vie, et préfèrent passer rapidement à autre chose.

Pour d'autres au contraire, l'anxiété est très forte. Il faut noter que dans de très nombreux cas, les malades ont une comorbidité : ce sont des patients qui sont cancéreux, qui ont du diabète, une sclérose en plaques, ou une autre pathologie. Ils ont peur, logiquement, que le Covid ait aggravé les symptômes de leur maladie, cela ajoute donc du stress à une situation déjà inquiétante.

Certains ressentent de la culpabilité par rapport à leurs proches : leur avoir fait subir si longtemps cette situation anxiogène, sans pouvoir s'exprimer, les rassurer, les protéger. La culpabilité peut aussi résulter du fait de s'en être sorti (pourquoi moi et pas mon voisin ?).

D'autres encore, se sont sentis abandonnés, seuls, du fait de l'interdiction des visites.

Pour la plupart des patients du Covid-19 sortant de réanimation, le plus difficile est le décalage entre leur état psychique et leur état physique. Ils sont parfois en effet débordants d'envies, plein d'énergie, mais le corps ne suit pas. Car les conséquences physiques ne sont pas des moindres quand on sort de réanimation : perte de masse musculaire, perte de la voix, difficultés pulmonaires… Autant de séquelles dont on ignore les aboutissements, ce qui peut entamer le moral de certains.

Ce que l'on ignore également, ce sont les répercussions de tous ces évènements sur le long terme. La situation est inédite, et si l'on compare cette épidémie aux traumatismes liés aux attentats, il est fort probable que les impacts vont être nombreux et risquent de durer dans le temps.

Alors comment se préparer aux suites de ce raz-de-marée émotionnel et aux troubles psychiques qui peuvent en résulter ?

Parmi les solutions existantes, la Thérapie brève et Stratégique nous offre des possibilités multiples que nous pourrons explorer avec nos patients en fonction de ce qu'ils auront mis en œuvre eux- mêmes. Paul Watzlawick, l'un des célèbres piliers de l'école de Palo Alto, formule la théorie selon laquelle il y a deux réalités. Celle que nous percevons à l'aide de nos sens : l'ouïe, la vue, le toucher, l'odorat et le goût (réalité de 1er ordre), et la signification que nous donnons à la première réalité (réalité de second ordre). Un problème est donc un problème, en fonction de la perception que l'on en a, de la signification que l'on donne à ce qui se produit. Alors, le thérapeute s'attachera à comprendre ce que le patient a mis en place pour résoudre le problème qui le fait souffrir, afin de lui proposer une stratégie complètement différente.

Par exemple, un patient qui ne peut s'empêcher de ressasser sur sa sortie de réanimation va avoir tendance à chasser ses souvenirs répétitifs et envahissants en se noyant dans le sport ou dans le travail, en se forçant à penser à autre chose, en se disant que c'est du passé, en évitant d'en parler à ses proches, etc. Bien souvent, cela ne fonctionne pas, et paradoxalement, cela participe à la persistance, voire à l'amplification du problème. D'une certaine manière, plus il essaie de ne pas y penser, plus ses pensées vont être intrusives et envahissantes. Nous pourrons alors proposer à ce patient d'opérer un virage à 180°, en lui demandant, au contraire, de passer ses souvenirs en revue tous les jours, mais dans un cadre conscrit.

Ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres, car encore une fois, personne à l'heure actuelle ne sait à quoi s'attendre, et nous allons découvrir peu à peu des multitudes de cas et de traumatismes différents : cauchemars, insomnies, flash-backs, sentiments d'impuissance, de culpabilité, symptômes d'évitement, hypervigilance, Tocs, phobies… Le modèle de Palo Alto pourra alors être une ressource tout à fait utile.

Photos : Shutterstock

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Écrit par

Muriel Faes

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Commentaires 2
  • Muriel Faes

    Bien sûr Myra, c'est pourquoi j'ai mis "seulement" entre guillemets. Pour certains cette période de maladie et de mise à l'écart a déjà été très traumatisante !

  • Myra

    Seulement dites vous certes mais la peur de partir en hospitation était très présente

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