Suis-je normal.e ?

Une question revient souvent sur le site psychologue.net ou en cabinet : suis-je normal.e ? Mais, c'est quoi : "être normal" ? Peut-on l'être ? Et est-ce une si bonne idée que cela ?

20 AOÛT 2019 · Lecture : min.
Suis-je normal.e ?

Voilà bien une question angoissée et angoissante, qui n'est d'ailleurs pas toujours posée de façon directe tant la réponse fait peur. Parfois, c'est au soupir de soulagement : « mais je suis normal.e alors ! » que l'on découvre que ce doute sur sa normalité persécutait notre client.

C'est quoi, « être normal » ?

Il y a deux questions que je pose parfois quand quelqu'un s'interroge sur sa normalité (ou plutôt, d'ailleurs, sur son anormalité) :

  • Ce serait quoi, pour vous, "être normal" ?

Je préfère l'avouer immédiatement : je suis incapable moi-même de répondre à cette question. J'ignore ce que c'est qu'être normal. Je ne connais que des gens normalement anormaux !

Mais quand quelqu'un redoute de ne pas être normal, il sait très bien ce que cela veut dire pour lui. Les réponses sont variées, mais le plus souvent liées à un modèle social idéal, infusé depuis l'enfance : être en couple (hétérosexuel de préférence), avoir des enfants (mais pas trop), avoir un job (mais en rapport avec ses études), avoir un salaire équivalent à ses copains de promo, avoir une passion, être mince et beau, ne pas perdre ses cheveux, avoir suffisamment de rapports sexuels (le chiffre exact est encore à l'étude), jouir à chaque rapport sexuel, être rationnel et donc ne pas s'imaginer en croqueuses d'hommes ou en champion de foot dans ses fantasmes alors que la réalité est tout autre, etc...

Bref, il s'agit de ressembler à une sorte d'humanoïde fonctionnant de façon optimum. Et cela en dit assez sur l'habitude que l'on a de se juger en se comparant aux autres, ou à l'idée que l'on a de ce que sont les autres.

  • Et si je vous disais que vous êtes normal.e, qu'est-ce que cela changerait pour vous ?

Évidemment, le soulagement est à ce moment là perceptible. Vite suivi d'une nouvelle inquiétude : mais alors, si je suis normal.e, cela veut dire que être angoissé, malheureux, seul, etc.... est normal et donc, sans remède ? Mais que vais-je faire ?!

Un client m'a un jour dit que être normal, c'était être heureux. Le malheur, les difficultés à vivre, sont effectivement souvent considérés comme « anormaux », comme si la vie se devait d'être un chemin de roses ; le malheur est alors une faute ou un défaut de sa personne. Évidemment, chacun cherche le bonheur, mais est-il dans la norme ?

Quand normer devient... la norme.

Mais avouons que tout nous pousse à considérer l'humain comme une machine à remettre en état en cas de « dysfonctionnement », d'anormalité par rapport à un standard attendu.

On « gère » ses émotions et son « employabilité », on « re-programme » ses cellules, il faut 21 jours pour implémenter une nouvelle (bonne) habitude, on se « re-boot », on « up-date » ses connaissances et ses croyances. A l'inverse, et pour boucler la boucle, les entreprises ont désormais un ADN... Allons donc !

Dans la vie économique (qui nous sert depuis quelques décennies de tenant et d'aboutissant) tout est calibré et quantifié. Les normes diverses et variées se chargent de nous faire vivre la même « expérience client » à Dunkerque ou Dublin.

Quand au DSM-V (Le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux utilisé dans le monde de la santé mentale) il nous offre une longue liste de symptômes à éviter soigneusement ou à traiter d'urgence pour que l'humain redevienne le plus rapidement possible la version attendue de lui-même : opérationnel, exempt autant que possible de scorie ou de bizarrerie.

Les dangers de la normalité

Pourtant, on ne cesse à longueur de phrases moralisatrices et décorées de cœurs et de fleurs sur les réseaux sociaux, de nous intimer l'ordre « d'être soi-même », d'être ouvert aux différences et particularités individuelles. Les grand auteurs ou artistes sont appelés à la rescousses à coup de citations « inspirantes ».

Oui, mais à condition que l'on puisse nommer ces différences et les décrire précisément pour les faire rentrer dans une néo-normalité : hyper-sensible, zèbre, empathe, souffrant de syndrome post traumatique, TDAH, DYS-, pansexuel ou a-sexuel, traits autistiques, etc... j'en passe, évidement. Chaque personne est sommée de se définir ou d'être diagnostiquée et malheur à celle ou celui qui ne se tient pas rigoureusement à sa fiche de normalité !

Chacun s'identifie désespérément à son symptôme jusqu'à en faire, parfois, une « mission de vie ». Alors, le vivant se fige et le changement, la découverte d'autres parties de soi, sont impossibles.

Quitte à souffrir, autant que ce soit de quelque chose de « normal » et que l'on puisse exhiber comme un passeport à la douane plutôt que de risquer d'être unique, et donc sans étalon pour nous évaluer et nous inscrire dans une normalité tyrannique mais – faussement – rassurante.

Photos : Shutterstock

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Écrit par

Marion Favry

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