L'hypnose, une thérapie intemporelle?

L’hypnose contribue à nous réconcilier en profondeur avec les capacités réparatrices de notre corps, sans la contrainte de l'effort physique et sans la contrainte du langage. L'hypnose commence et termine par le corps.

6 AVRIL 2023 · Lecture : min.
L'hypnose, une thérapie intemporelle?

Mon premier emploi à l'âge de dix huit ans a été aide soignant à l'hôpital psychiatrique de Vieille Église, dans les Yvelines. J'avais dix huit ans, je prenais une année sabbatique après mon bac. C'était il y a presque quarante ans. J'y ai vécu une expérience qui reste capitale dans mon existence. À l'époque, la représentation de la folie occupait une position très stéréotypée dans l'inconscient collectif.

Le fou c'était l'autre, celui qui a basculé de l'autre côté du miroir. Et j'avais du fou, moi-même, une drôle d'idée. Quarante plus tard, est-ce que cette représentation a changé ? Pas tant que ça. La folie est toujours plus ou moins perçue comme un trou noir dans lequel on peut tomber sans jamais plus pouvoir en sortir. Ce qui a véritablement changé en quarante ans, ce n'est pas la représentation de la folie, mais bien plutôt les places qu'occupent "le soignant et le soigné".

Ce n'est plus seulement le fou dont il s'agit vis-à-vis du soignant, mais potentiellement de tout le monde. L'idée que nous pouvons toutes et tous avoir recours aux médecines et thérapies dédiées aux souffrances psychologiques a fait son chemin. « Aller voir un psy » est une démarche qui s'est normalisée en même temps que les approches et les spécialités thérapeutiques se sont démultipliées. En quarante ans, l'idée même de "patient" s'est associée à une idée de mieux être dans tous les domaines de l'existence. Nous sommes plus ouverts à l'idée de prendre "soin de nous", mais cet éveil, est conditionné par son versant tragique : l'accès à une source illimitée d'inquiétudes.

Quand j'ai commencé à travailler il y a quarante ans, les réseaux sociaux sur Internet n'existaient pas. Depuis leurs débuts, l'activité humaine se met constamment en scène. Tout se raconte, tout se montre et se joue, l'activité médiatique est devenue une industrie et chacun peut se réclamer du statut de l'auteur ou du journaliste. Les émotions sont exaltées en masse dans un réseau digitalisé auquel nous sommes connectés en permanence. Le fait d'être « connecté au réseau » participe désormais de la condition humaine. Jacques Lacan disait, « être, c'est être parlant" . Nous ne sommes pas loin de pouvoir dire : « être, c'est être connecté ».

L'offre Internet est devenu le lieu d'une tragédie dans laquelle nos vies privés - via les réseaux sociaux où nous sommes invités à nous raconter - se mêlent à l'actualité internationale sur fond de crises politiques constantes. Dans ce maelström d'informations publiques et privés continues, la notion de crise se substitue à celle d'événement et l'anxiété règne.

Au sein de nos vies déplacées sur Internet, nous percevons les différentes interprétations du réel qui nous parviennent, augmentées et aiguillées par nos émotions. C'est l'essence même du spectacle dans nos quotidiens encerclés d'écrans. Dans cet emmêlement constant, la valeur des sources de diffusions est lissée par le bas. Peu importe d'où vient l'information pourvu qu'elle produise un effet émotionnel saisissant. Le philosophe et physicien Etienne Klein dit de ce moment de l'Histoire : « sur Internet, circulent à valeurs égales, des opinions, des croyances, des mensonges et des connaissances scientifiques. L'espèce humaine a toujours manqué d'informations, elle était rare et avait de la valeur. Nous sommes passés à une surcharge permanente d'informations et notre cerveau ne sait pas gérer ce flux. »

Les vérités et les connaissances scientifiques sont désormais compromises par les croyances et les opinions. Nous ne pouvons plus nous référer à une vérité commune. Le réel est fracturé et le tragique de nos vies intimes se fond dans le tragique du monde. Dans cette confusion, pour le dire plus simplement, être connecté, c'est être inquiet. Le nombre de gens suffisamment et confusément inquiets qui se tournent vers l'offre thérapeutique augmente chaque jour. Mais quelle thérapie ? Par où commencer ? Qui croire ? "À quels soins se vouer ? "

L'hypnose peut être l'une des thérapies utiles pour nous défaire des effets de confusion et d'inquiétude. Elle est inscrite dans nos capacités humaines. Nous sommes toutes et tous plus ou moins suggestibles à l'hypnose et elle a toujours été pratiquée sous des formes et des protocoles variés tout au long de l'histoire humaine.

Entre les origines lointaines de l'hypnose - du papyrus datant de trois mille ans avant Jésus Christ, découvert et traduit par l'égyptologue Georg Ebers « Pose ta main sur la douleur et dis que la douleur s'en aille » - jusqu'aux récentes évolutions de l'Imagerie Médicale qui a révélé que l'hypnose était bien un état spécifique… Plus de cinq mile ans de remise en question, d'interrogations et d'évolutions ont marqué les pratiques de l'hypnose.

Celle qui aujourd'hui domine en France provient de l'approche du psychiatre américain Milton Erickson dont le travail s'est fait connaître dans les années quarante pour s'élargir jusqu'à nos jours avec la Nouvelle Hypnose, ou hypnose humaniste, proposée par Daniel Araoz. Jean Gaudin, Corydon Hammond, Gaston Brousseau, François Roustang ont, comme d'autres, étiré et enrichi cette approche pour l'adapter aux attentes d'aujourd'hui.

Ce qui émerge de ces différentes approches de l'hypnose et qui les rendent pertinentes, c'est qu'elles posent de façon constante la question de la liberté et du respect de la personne. Mais l'hypnose continue de faire peur. Pas seulement parce qu'elle est soupçonnée de manipulation et de prise de pouvoir, mais aussi et surtout parce qu'elle commence par le corps et se termine par le corps. Le corps et le placement du corps en dehors du langage de la raison, par la catalepsie et la transe. Il y a de quoi susciter des craintes.La transe ne renvoie-t-elle pas à une forme de délire ? De perte de soi ?

Le patient, face au psychologue, au psychiatre ou au psychanalyste « traditionnels » peut avoir l'illusion de garder le contrôle, de maintenir une distance par le langage. L'hypnose aboli le recours au langage, elle suppose que l'on offre son corps, et ainsi, peut-être, le perdre. Quoi de plus inquiétant ?

En réalité, l'objectif de l'hypnose est simple : amener le patient à ne plus penser, mais à être un corps afin qu'il prenne les décisions durables pour se débarrasser de ce qui l'entrave pour améliorer et changer les conditions problématiques de son existence.

L'hypnose contribue à nous réconcilier en profondeur avec le corps, sans contrainte, sans la mise à l'épreuve de l'effort physique. Affranchi des contingences du raisonnement, le temps de l'hypnose est un temps où notre corps peut faire ce dont il a besoin et défaire ce dont il n'a plus besoin.

L'hypnose révèle ce que nous possédons déjà en tant que nous sommes humains. Un bagage d'auto-guérison de naissance. L'hypnose rend possible l'ouverture de ce bagage afin d'y puiser les ressources que nous négligeons habituellement par l'exercice de la pensée et de la raison. Pendant le temps de l'hypnose, je n'ai pas un corps, je suis un corps.

J'en reviens à mon premier emploi en tant qu'aide soignant en hôpital psychiatrique en 1983. Une infirmière psychiatrique et un psychiatre avaient entrepris de rassembler dans le même pavillon des malades qui jusqu'à lors étaient disséminés dans l'hôpital, et qui, par leurs symptômes, étaient les souffre-douleurs des autres patients. Ils étaient qualifiés d'oligophrènes à l'époque, mais souffraient d'hallucinations pour certains insoutenables. La souffrance était visible, audible, et semblait constante tout en se manifestant par des crises plus violentes. L'un d'eux s'appelait Guy. C'était un jeune homme à peine plus âgé que moi. Il était physiquement très en forme, très tonique. Mais totalement mutique. Le regard toujours perdu ou tendu vers un horizon parallèle, perçu par lui seul. J'ai bien vite compris pourquoi ma candidature à ce travail avait été retenue, du moins le concernant. Guy éprouvait le besoin de courir quotidiennement et il fallait quelqu'un pour l'accompagner dans cette pratique.

Hypnose therapie

L'hôpital bordait une partie de la forêt de Rambouillet. Guy avait son parcours. Une boucle de quinze kilomètres de chemin forestier. L'infirmière responsable du pavillon m'avait dit : « il suffit de le suivre ». Je n'avais jamais parcouru quinze kilomètres de course à pieds dans ma vie. Je ne connaissais rien de mes capacités en endurance. J'étais certes jeune et en bonne santé, mais dépourvu d'expérience et de technique pour assurer un tel effort dans la durée et sur la distance. J'ai suivi Guy. Nous courions côte à côte. J'entendais et sentais sa respiration, son rythme. Il était parfaitement en place dans l'effort. Ça n'était d'ailleurs pas un effort pour lui, mais un geste. Tout en lui était en parfaite harmonie dans l'espace et dans le temps de la course. Très vite, au bout de cinq cent mètres, j'éprouvais des difficultés. Point de côté, souffle court, tensions dans tous les membres…

Toutes ces indispositions étaient intensifiées par la peur de perdre Guy. Si je m'arrêtais, rien ne pouvait m'assurer qu'il n'allait pas disparaitre et se tromper de chemin pour se perdre dans la forêt. Je n'avais pas d'autre choix que de tenir. Je me suis concentré sur son rythme, j'étais uniquement attentif à sa vitesse, à l'arc de distance entre chacune de ses foulées. Je posais mes pieds en même temps que les siens sur le sol. Je me suis concentré sur son mouvement et suis entré en moi. J'ai pu trouver un chemin de respiration qui a défait les douleurs. J'ai accompli les quinze kilomètres sans plus souffrir, dans un état de légèreté et de joie profonde. Tant et si bien qu'arrivé à la fin de la course, après cette longue boucle de quinze kilomètres, j'avais totalement oublié que Guy était le malade, et moi l'aide soignant. J'étais devenu un apprenti à qui il avait enseigné l'art de l'endurance, en une seule course.

Lorsque j'ai commencé à me former à l'hypnose bien des années après, ce souvenir m'est revenu comme le parfait exemple d'une dissociation réparatrice, d'une auto-hypnose simple et efficace qui m'a fait découvrir une aptitude et qui m'a ouvert des horizons physiques et sensoriels que j'ai continué à exploiter et explorer toute ma vie. Courir a été et demeure un bienfait pour moi.

Par ailleurs, cela a déconstruit des peurs que j'éprouvais sans le savoir à l'endroit des malades dont j'étais censé m'occuper. Grâce à cette expérience avec Guy, la relation avec la folie et les malades pouvait s'ancrer et se déployer autrement que par le langage et les représentations. Et l'idée même de maladie et de handicap s'en est trouvée modifiée pour moi. Je continue de l'interroger. Exactement comme le fait l'hypnose. Elle nous change et nous améliore, elle nous humanise.

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Écrit par

Richard Bean

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Bibliographie

  • Jacques Lacan, Séminaire "Encore" édition du Seuil.
  • Daniel Araoz, "Hypnose et sexologie, une thérapie des troubles sexuels", édition Albin Michel

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