Travailler avec les autres : dynamiques et engagement

Climat et projet d'équipe sont déterminants pour favoriser la santé des professionnels et la mise en oeuvre d'actions opportunes. Comment et pourquoi accompagner l'équipe et ses membres ?

2 NOV. 2018 · Lecture : min.
Travailler avec les autres : dynamiques et engagement

Régulièrement les professionnels du milieu éducatif et social (de toutes professions) que je rencontre et accompagne témoignent que les difficultés dans leur travail peuvent résider dans le rapport à leurs publics, et parfois dans leurs mandats. Pour autant ils insistent sur une dimension qu'ils n'avaient pas forcément vu comme déterminante au départ mais qui selon leur terme peut « tout plomber » ou à l'inverse permettre de se déployer : les collègues et le travail d'équipe.

Les relations avec les collègues, une composante importante ?

En effet, les publics (jeunes et moins jeunes) peuvent pour certains êtres difficiles, pénibles voire détestables. Mais ils « font leur job » de publics de l'action éducative et sociale, au sens où ils re-agissent les pénibilités de leurs vies dans la relation avec les professionnels. Ces relations et climats de travail mobilisent les professionnels sur les plans éthique, énergétique et émotionnel.

L'engagement des professionnels avec ces publics sur la « scène éducative et sociale » suppose des espaces pour pouvoir s'en reposer, se relâcher, être plus libre, moins en vigilance, réajuster ses postures et pratiques, pour mieux y retourner.

À ce titre, les relations avec les collègues ainsi que les temps d'équipe peuvent s'apparenter aux coulisses de cette « scène éducative et sociale ». Ce besoin d'espace pour vivre des relations hors relation d'aide, des relations tantôt moins contrôlées, plus fluides, mais aussi plus légères, plus soutenantes, créé paradoxalement beaucoup d'attentes et d'exigences entre les professionnels dans une équipe.

Lorsque dans l'équipe les relations peinent à se réaliser, sont difficiles, pénibles ou heurtantes, les professionnels peuvent être très seuls et empêchés d'exister mieux, plus librement dans ce lieu qu'est l'équipe. Ils fondent alors leurs interventions sur leurs compétences individuelles à défaut d'une puissance d'agir collective. Ils restent dans le rôle professionnel avec leurs collègues. Et ils gardent bien souvent pour eux leur charge émotionnelle, leurs convictions, leurs jugements, et tout ce qui ne correspond pas strictement au professionnel idéal (voir article précédent « travailler avec les autres : idéalisation et sensibilité »), s'attachant à absorber les effets de ces difficultés.

Au travail, les relations peuvent être également satisfaisantes entre certains membres de l'équipe et pénibles voire détestables avec d'autres. Les tensions et violences relationnelles peuvent alors être graves ou répétées et concourent à dégrader et gêner l'ambiance de travail et la réalisation de l'équipe.

Mon expérience en tant qu'éducateur spécialisé

Durant mes douze années de pratiques d'éducateur spécialisé, dans les différents lieux auxquels j'ai participé (maison d'enfants, foyer de vie, foyer post cure, prévention spécialisée) j'ai fait ce que j'ai pu, avec ce qui m'était donné, vigilant à ne pas rester trop longtemps dans les endroits où le climat d'équipe pouvait « plomber » ma bonne énergie.

J'ai eu à partager des vies d'équipe globalement chaleureuses, attentives et solidaires. J'ai aussi été confronté à des climats collectifs très claniques où des visions s'opposaient avec violences et discrédits et où, à défaut d'élaboration, chacun était sommé de choisir un camp. J'ai été dans une équipe celui qui, nouvellement arrivé, est rejeté, regardé avec méfiance et discrédit. J'étais alors pris dans des luttes entre professionnels, entre éducateurs et cadres hiérarchiques, stigmatisé malgré moi et soupçonné d'être « à la solde » de la direction, Etc.

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Pris dans certaines relations difficiles, j'ai parfois œuvré à créer des rapprochements, à clarifier et dépasser nos tensions et oppositions. Avec d'autres, j'ai entretenu mes jugements, mes indifférences et mes crispations, convaincu que ma vision de l'autre était la réalité, sans motivation à l'interroger.

Quand le climat au travail change tout !

Je distingue vraiment aujourd'hui ces lieux où le climat coopératif dans l'équipe me permettait de venir et revenir au travail avec légèreté et même enthousiasme, où les élaborations collectives étaient confiantes, soutenantes et bien souvent opportunes ; de ces lieux où du fait d'un climat dégradé, je me fatiguais plus vite, pouvais perdre certaines ambitions de projet, m'agitais à l'idée d'assurer un service ou de mener une activité avec certains collègues « difficiles », Etc.

Je dis aujourd'hui aux professionnels que j'accompagne, pour alerter, que la fatigue et le stress au travail sont des indicateurs puissants. Personne ne naît « burn-outé ». Il y a donc des conditions qui créent ces épuisements ou qui appuient sur les vulnérabilités qui préexistaient chez les personnes.

Bien sûr, la prise en charge des publics peut être fatigante, et conjointement il y a ce qui se passe dans les rapports entre professionnels et avec l'institution qui peuvent abîmer la motivation, donner l'envie de lâcher ou d'attaquer, de se réfugier dans une bulle.

Comment créer un esprit d'équipe ?

Donc nous pourrions nous poser la question : comment prendre soin de nous et renforcer une vie d'équipe soutenante dans ces milieux et ces contextes qui peuvent être très enthousiasmants et créatifs quand tout se passe suffisamment bien, et destructeurs quand les climats de travail entre professionnels sont dégradés ?

Très vite dans mon parcours, j'ai été sensible à cette réalisation du travail d'équipe, et j'ai eu l'occasion de commencer à intervenir auprès d'autres professionnels pour améliorer leur réalité du travail collectif. J'ai donc développé une pratique de formateur pendant une dizaine d'années, intervenant entres autres sur cet enjeu du travail d'équipe. J'ai soutenu avec certains succès des collectifs de travail, mais j'ai aussi vu la limite dans ma posture de formateur qui peut se résumer par « voilà ce qui faudrait faire ».

Longtemps, j'ai eu tendance à dire aux professionnels: « vous devez coopérer, et pour le faire vous devez faire ceci et cela, comme ceci et comme cela, … » et à les stimuler par des pédagogies dynamiques et enthousiasmantes.

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Puis en 2008, j'ai découvert une autre approche, une autre méthode, une autre façon de travailler ces relations et coopérations avec les professionnels dans un collectif. Il s'agit de l'intervention en Thérapie Sociale. En tant qu'intervenant en Thérapie Sociale, je pars du postulat que les gens ont des compétences, des savoirs, des aptitudes, des expériences, des envies, des ambitions, mais aussi des démotivations, des craintes, des doutes, des ressentiments, des tristesses et colères, … et qu'ils ont quelque chose à dire, à parler, à confronter et élaborer de leur situation.

 L'intervention en Thérapie Sociale, c'est quoi exactement ?

Il s'agit donc de créer d'abord un cadre qui autorise et structure, qui les légitime, un cadre d'écoute et d'élaboration nouvelles, avec les autres, dans lequel les professionnels vont être plus libres à dire, entendre et confronter ce qu'ils vivent et comment ils le vivent (avec quels effets, pour eux-mêmes, entre eux, avec les publics et l'institution).

Je pourrais résumer ce premier niveau de l'intervention en Thérapie Sociale, qui aujourd'hui me parait fondamentale avant de rechercher à renouveler un projet plus positif ou plus construit d'équipe, par : d'abord s'intéresser aux personnes, et à ce qu'elles ont à dire de leurs envies, de leur réalité, mais aussi et surtout de ce qui les empêche d'être bien, de réussir ensemble, d'innover, tout en considérant qu'elles peuvent être prises dans des tensions qui leur font malgré elles déformer la réalité. C'est remettre du vivant et de la réalité dans l'équipe et avec chacun, en commençant par soutenir l'expression des paradoxes qui peuvent nous traverser tous, c'est-à-dire que nous pouvons avoir des motivations, des intérêts, des envies et des aptitudes à la coopération, tout comme nous pouvons refuser, résister, être démotivé, fatigué, plombé.

Connaitre les conditions favorables au travail d'équipe est important (voir à ce propos les travaux de Roger Muchielli). Cela peut constituer une guidance, identifier des points de vigilance et renforcer une ambition positive pour l'équipe. En effet, de mon point de vue, l'absence de réel projet d'équipe, élaboré avec l'ensemble des membres de ladite équipe, est un vrai problème. Cette indéfinition fait courir le risque que l'équipe soit seulement au service de tous les autres projets et de leur réalisation (projets individuels et institutionnels).

Pour autant, s'attacher à reconnaître l'équipe et ses membres dans leur réalité, comprendre avec eux ce qui les stimule et ce qui les empêche, mieux repérer collectivement les responsabilités, les aptitudes et les solutions nouvelles, tonifiantes et accessibles, est vecteur d'un engagement renouvelé de chacun et d'une vie d'équipe plus ancrée, avec tous, au bénéfice du projet d'action.

Jérome Voisin, intervenant en Thérapie Sociale TST,

I-CARE FRANCE

Photos : Unsplash

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Écrit par

VOISIN Jérome

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