La dissociation péritraumatique, une réaction adaptative face au danger

Aujourd'hui, les neurosciences et la psychiatrie savent décrire avec une grande précision la façon dont notre cerveau, secondé par notre notre système hormonal, impulse une réponse physiologique face à un danger de mort imminente.

9 FÉVR. 2024 · Lecture : min.
La dissociation péritraumatique, une réaction adaptative face au danger

Examinons, de manière un peu simplifiée et schématique, le fonctionnement des parties du cerveau engagées dans le traitement des expériences extrêmes. Précisons que le cerveau du petit d'homme se construit de bas en haut, strate par strate.

La partie la plus ancienne, qui se développe pendant la gestation de l'enfant à naître, est le cerveau reptilien. Il est chargé d'assurer :

  • Les fonctions vitales (rythme cardiaque, digestion, système endocrinien et immunitaire) ;
  • La satisfaction des besoins vitaux (alimentation, sommeil et reproduction) ;
  • Les réflexes innés (ponte, vol des oiseaux) ;
  • Enfin la gestion du danger avec les fameux 3 F : fight (combat), flight (fuite) or freeze (figement, sidération).

À partir de la naissance et au contact du donneur de soin (la mère ou son substitut) se développe le cerveau limbique, qui comprend deux structures très importantes :

  • l'amygdale,chargée de détecter la menace et d'attribuer une signification émotionnelle aux événements vécus ;
  • l'hippocampe, qui permet de mémoriser les expériences récentes et les détails spatio-temporels.

À partir de notre deuxième année de vie, avec le développement du langage, se développent les lobes préfrontaux de notrecortex, la partie la plus élaborée de notre cerveau. C'est le siège :

  • des processus cognitifs les plus complexes (langage, raisonnement, pensée abstraite, créativité) ;
  • de l'empathie avec les fameux neurones miroirs ;
  • de l'intégration de l'information, où les souvenirs explicites sont stockés et transformés en mémoire biographique, c'est-à-dire en récit (événements organisés de manière chronologique et cohérente, et situés dans le passé), autobiographique (ce récit raconte mon histoire) et émotionnellement calme (je peux évoquer mon histoire de manière apaisée).

À la manière du standard téléphonique d'une entreprise, chargé de répondre au téléphone et de distribuer les appels entrants aux différents services concernés et gérer leur échanges, on trouve enfin le thalamus, situé à la jonction des cerveaux reptilien, limbique et du cortex préfrontal.

Les hormones, messagers chimiques

Pour faire face à une expérience extrême engageant un risque vital, le cerveau enclenche une « procédure d'alerte » bien rôdée et décomposée en trois étapes, en fonction de la gravité de la situation :

  • Dans un premier temps, l'adrénaline et la noradrénaline mettent le corps en état d'alerte : le rythme cardiaque accélère et la pression artérielle augmente, les bronches et les voies respiratoires se dilatent, la digestion, très énergivore, est momentanément stoppée. Dans le sang qui afflue plus massivement vers les muscles et le cerveau, sont acheminés en urgence de l'oxygène et du glucose (stocké dans le foie ou les muscles sous forme de sucre complexe appelé glycogène, et décomposé pour être prêt à l'emploi) : ce sont les deux carburants essentiels à la production d'énergie.

Voilà l'organisme prêt à entrer en action. Il peut maintenant combattre dans le meilleur des cas, ou tout au moins fuir si la victoire n'est pas certaine.

  • Si le risque perdure, une bonne dose de cortisol vient compléter le dispositif pour libérer plus de glucose stocké. Qui d'entre nous n'a jamais ressenti sa vigilance, sa force et sa rapidité décuplées sous l'effet d'un grand stress ?
  • Malheureusement, il arrive qu'aucune de ces deux issues (combat ou fuite) ne soit possible, lorsque l'adversaire a trop nettement le dessus par exemple. Dans ce cas, une autre procédure d'urgence est déclenchée, car le danger n'est plus seulement externe mais interne : nos constantes vitales sont menacées. Nous risquons en effet de voir nos cellules nerveuses endommagées par l'excès de cortisol, ou bien d'être victime d'un infactus ou d'un AVC en raison d'une hypertension maligne due à l'intensité du stress. On peut mourir de peur au sens littéral !

À la manière d'un disjoncteur désactivant une partie du circuit électrique pour éviter la surchauffe ou l'incendie, une libération massive d'endorphines permet d'anesthésier le cœur et le cerveau pour les apaiser. Quant au thalamus, il bloque, pour les préserver, l'action des fibres nerveuses qui ne font plus remonter les informations somato-sensorielles vers le cortex. Ce mécanisme s'appelle la déafférentation.

Quelles conséquences pour le cerveau ?

Quand tout va bien, vous vous rappelez que les informations somato-sensorielles de la mémoire à court terme, stockées dans l'hippocampe du cerveau limbique, remontent ensuite dans le cortex préfrontal pour être intégrées à la mémoire à long terme sous forme d'un récit de soi structuré et émotionnellement calme. En cas de stress aussi intense, vous vous rappelez également que le thalamus ne fait plus remonter ces informations. Voilà donc toutes ces sensations terrifiantes – jambes flageolantes et sueur, impossibilité de hurler de terreur, sons et odeurs – stockées dans le cerveau reptilien et limbique.

Non régulées émotionnellement dans le cortex préfrontal grâce à la transformation des données somato-sensorielles en un récit cohérent, toutes les éléments de cette expérience trop intense restent stockés de manière dysfonctionnelle dans les zones sous-corticales du cerveau et sont susceptibles de se réveiller à tout instant : il suffit pour cela qu'un déclencheur externe fortuit (un odeur, une circonstance, un son) appuie sur l'interrupteur et voilà l'événement passé qui envahit soudain le présent.

Pour finir, on pointera que la survenue du trauma se fait en 3 étapes. Dans un premier temps, nous sommes dans ce qu'on appelle la fenêtre de tolérance, c'est-à-dire dans un état normal qui permet de faire face à un stress modéré sans perturbation excessive. Lorsque survient un danger, nous sortons de cette zone de confort par le haut, en état d'hyperactivation (adrénaline, noradrénaline puis cortisol). Mais si le danger perdure, les endorphines et la déafférentation plongent alors l'organisme en état d'hypoactivation, avec son cortège de sensations particulières qui coupe le cerveau de l'intensité de l'expérience vécue au moyen de différents subterfuges. La perception de soi et de l'environnement, ainsi que les réactions, sont altérées :

  • il manque un morceau de temps ;
  • la scène n'est plus vue dans sa globalité, il manque une partie des éléments ;
  • déréalisation : restriction du champ de conscience, on se sent comme dans un film, on voit la scène à travers un filtre déformant ;
  • dépersonalisation : on se voit de loin, ou d'en haut, on a la sensation de sortir de son propre corps ;
  • incapacité à réfléchir et à bouger : stupeur temporaire ;
  • abolition totale des sensations et émotions : ni chaud ni froid, ni peur ni chagrin ;
  • actions automatiques réalisées sans en avoir conscience : monter à une échelle pour sauver qqn sans évaluer la dangerosité.

Dans ce cas, le cerveau ne peut plus traiter normalement l'information en raison des effets produits pour se couper de la réalité.

Dissociation péritraumatique

Pour résumer, en cas de stress très intense engendré par un danger imminent, une réaction adaptative normale se déclenche pour protéger l'organisme. C'est ce que l'on appelle la dissociation traumatique.

Des phénomènes de trois types se produisent :

  • cascade hormonale du stress : adrénaline, noradrénaline puis cortisol (hyperactivation : combat ou fuite) ; endorphines (hypoactivation : sidération) 
  • activation du système nerveux autonome sympathique qui entraîne des réactions adaptatives : augmentation du rythme cardiaque et de la fréquence respiratoire pour acheminer oxygène et glucose dans les cellules, horripilation (poils hérissés), blocage de la digestion ;
  • déafférentation : blocage des voies de circulation des informations somato-sensorielles (thalamus) empêchant leur remontée vers le cortex préfrontal : plus d'intégration et de synthéthisation possible des sensations, émotions et pensées.

Dissociation péritraumatique

Trauma ou traumatisme ?

Tous ces mécanismes, on l'a dit, constituent une réponse adaptative normale à un stress intense. Cette réponse est transitoire et peut durer de quelques heures à quelques semaines. Lorsque les symptômes perdurent et s'intallent dans le temps, on ne parle plus de trauma mais de syndrome de stress post-traumatique (PTSD ou TSPT) nécessitant une prise en charge thérapeutique. Un trauma ne devient donc pas forcément un traumatisme, et heureusement !

Mais de quoi dépend cette différence, alors ?

Rappelez-vous le cerveau limbique, chargé de détecter le danger et d'attribuer un sens aux émotions (plaisant vs déplaisant). Il se forme en fonction de la constitution génétique singulière du bébé bien sûr, mais aussi en réponse à l'expérience vécue au contact de l'environnement durant les premières années de la vie. Tout ce qui lui arrive forme donc « la carte émotionnelle et perceptive du monde », nous dit Bessel Van der Kolk. Les expériences répétées dans l'enfance tendent à créer des circuits neuronaux par défaut : si un enfant a été suffisamment sécurisé et aimé, son cerveau se consacre principalement à l'exploration et la coopération, rendues possibles par un socle suffisant de confiance. Dans le cas contraire, il se spécialise dans la gestion des sentiments de peur et d'abandon.

Face à un trauma, il apparaît évident que nous ne sommes pas égaux. La résilience naturelle de certaines personnes est donc fonction de leur génétique, mais aussi de leur histoire développementale et personnelle. Ont-elles pu se développer dans un environnement soutenant et enveloppant pour construire un attachement sécure ? Ont-elles pu vivre des expériences leur permettant d'avoir une image positive d'elles-mêmes, alliant force et vitalité ? Ont-elle acquis au contact des épreuves de la vie un sentiment de compétence (« J'en ai vu d'autres, je sais que je suis capable de m'en sortir ») ? Ont-elles pu développer un réseau relationnel (affectif, amical, professionnel) sur lequel elles savent pouvoir compter ? Ont-elles développé une capacité d'autorégulation du système nerveux pour permettre une décharge d'énergie et un retour progressif au calme (cohérence cardiaque, bodyshaking, méditation, marche, lien privilégié à la nature, talents artistiques etc.) ?

Ce sont ces différences individuelles qui expliquent qu'un même événement peut être vécu de manière bien différente et se voir attribuer une importance et un sens singuliers. Aux deux extrémités d'un continuum, nous aurions d'un côté une personne avec une bonne image d'elle-même, qui se sait capable de faire face avec succès aux épreuves, qui a des attachements solides et sécures sur lesquels elle peut compter, des compétences d'autorégulation. À l'autre extrémité, on aurait au contraire une personne avec un sentiment perment d'insécurité (de peur et d'abandon), une faible estime d'elle-même, qui aurait connu par le passé de multiples échecs, souffrant de liens insuffisants ou toxiques, et facilement débordée émotionnellement etc. Mais la plupart d'entre nous nous situons entre les deux : le tableau est plus nuancé, composé de zones de fragilité et de ressources précieuses sur lesquelles nous pouvons nous appuyer.

Lorsque survient un trauma, il est primordial de se faire aider pour pouvoir assimiler l'événement. Le cas échéant, il faudra aquérir de nouvelles compétences. Le coup dur peut alors devenir une occasion de croissance, de reconfiguration salutaire. Il existe aujourd'hui un nombre varié d'approches qui feront l'objet d'un prochain article.

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Écrit par

Agnès Malfettes

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Bibliographie

  • Van der Kolk, B (2014). Le corps n'oublie rien, collection Pocket, Albin Michel.

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