L’actualité et son humour : gilets de sauvetage et équipage en naufrage

Ainsi, capitaine et équipage s'occupent avec élégance et dignité de tout ce qui importe à ce moment précis et crucial d'une telle épreuve décisionnelle : il faut faire de la pédagogie ...

4 FÉVR. 2019 · Lecture : min.
L’actualité et son humour : gilets de sauvetage et équipage en naufrage

Cela fait une trentaine d'années qu'une lame de fond, inconsciente, remue progressivement les lignes apparemment infranchissables fixées dans toutes les strates de la société. Elle remonte avec plus de force et semble refuser toutes les digues que le pouvoir politique proposera.

Débattre pour se faire entendre

Jouer avec un petit pourcentage sur la fiscalité, hausser ou baisser le levier de telle taxe, et même débattre. Faut-il débattre d'une débâcle ? C'est bien de cela dont il est question dans chaque gilet jaune qui surnage sur cette vague qui l'emporte et qu'il crée lui-même en se débattant. Ne pas débattre, cela ne revient pas nécessairement à refuser le dialogue. Les gilets jaunes dialoguent tous entre eux alors qu'ils sont les uns pour les autres totalement étrangers.

L'équipage politique est affairé, affolé, car il a perçu le navire prendre l'eau avec un tel retard qu'il n'a pas aperçu qu'il était peut-être proche de couler. Ainsi, capitaine et équipage s'occupent avec élégance et dignité de tout ce qui importe à ce moment précis et crucial d'une telle épreuve décisionnelle : il faut faire de la pédagogie et surtout communiquer plus encore sur les actions à mener qui vont permettre aux gilets de remonter dans le navire alors qu'ils sont à la recherche de canots pour s'en éloigner au plus vite. Notre navire n'a pas prévu de canot et les pauvres nageurs préfèrent rester dans l'eau tempétueuse et froide bien plus agréable que ce tas de métal éventré qu'est le navire. Capitaine et équipage diront avec sang-froid que les aléas climatiques (crises économiques et financières à répétition qui arrivent comme par magie, selon le bon vouloir divin…) ont généré cette lésion grave de la coque, qu'ils ont fait le meilleur pour éviter les catastrophes comme à chaque crise.

La métaphore s'arrête ici.

Les gilets jaunes, une nouvelle façon de dialoguer ?

Le gilet jaune est quelqu'un qui, si on lui donne un doigt à manger, mangera le bras, puis le reste. Ce n'est pas que ce doigt ne passe pas mais il ne passera plus. C'est un refus nous l'avons déjà dit, du débat, qui s'origine dans deux négations plus profondes armées d'une affirmation première : le gilet jaune ne veut plus entendre parler de pédagogie ni de communication tout en affirmant la valeur niée depuis longtemps de son pouvoir de juger.

La pédagogie appliquée en politique, c'est la science pour les gosses que les votants et les abstentionnistes ne sont plus. Ce qui revient à infantiliser et prendre pour des idiots les citoyens qui peu à peu ont délaissé la politique politicienne pour se politiser eux-mêmes. La communication - science du bien parler pour mettre en forme les directives inadmises politiques, économiques et sociales – ou science de l'ingestion de pilules en placebo, ne convainc plus. Bien sûr, nous communiquons tous ; les experts en communication dans les médias, les entreprises et la politique, agitent des chiffons que les gilets jaunes aimeraient voir manger.

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Le pouvoir en place propose des directives de débat, ce fameux doigt qui ne passera plus car il a déjà été mangé avec le bras. Le niveau de surdité et de cécité n'est pas là où on le croit : les gilets jaunes ne veulent plus entendre, ni voir, ce qu'on leur dit d'entendre et de voir.

Alors, ils vont voir et entendre ailleurs. Certains pourtant tentent de se faire une place au soleil en imaginant que là où on leur dit d'écouter et voir, former un parti politique et faire des listes électorales, se canaliser, et retourner dans le navire, sont peu nombreux.

Un homme politique a deux fonctions fortes : parler et agir et cela justifie sa rémunération. Mais si l'on y regarde de plus près : les hommes politiques sont tous sculptés dans un langage vide et faux par des communicants, et ils prennent des décisions pour agir aussi percutantes que modifier de 0,2 % telle ou telle variable économique, sociale, financière.

Nous parlions de fonctions : dire et faire. Les hommes politiques à eux seuls ne disent rien et ne font rien : c'est cela qu'allèguent les gilets jaunes. On détermine les règles d'un débat de l'intérieur avec les membres qui débattent sur des sujets sur lesquels ils se sont entendus initialement. C'est un excellent point de départ pour dialoguer.

Si l'on reprend notre métaphore initiale, on peut se poser quelques questions dans la mesure où l'on distingue dans la brume les formes du navire de loin et l'on entend peu distinctement les paroles qui en émanent. De quoi parlent-ils et que font-ils ? Sont-ils entre eux, en pleine communication intense avec un officier expert en communication, en train de délibérer du choix des dix rustines en pourcentage faible et de la colle adaptée communicationnelle et pédagogique à mettre en place pour réparer l'avarie ? Et puis, comme l'on ne voit pas très bien, ont-ils eux-mêmes déjà enfilé un gilet de sauvetage ? De quelle couleur est-il ?

Ce brouillard dense empêche semble-t-il de remarquer de près – quand on est dessus - que le bateau a fait naufrage depuis des décennies sur un banc de sable et qu'il n'avance plus. De loin encore, on peut être stupéfait de compter les navires voisins qui peuplent ce cimetière marin.

Photos : Shutterstock

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Écrit par

Maxime Le Bihan

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