L'argent en psychanalyse : entre plaisir et réalité

Quelle interprétation l’argent a-t-il en psychanalyse ? Découvrez comment cet aspect de notre vie peut nous affecter.

10 NOV. 2023 · Lecture : min.
L'argent en psychanalyse : entre plaisir et réalité

L'argent joue un rôle complexe et souvent controversé dans nos vies. Au delà de sa fonction économique, il peut susciter des émotions puissantes, générer des conflits et influencer nos relations interpersonnelles. Dans le monde de la psychanalyse, l'argent est également un sujet d'étude et d'exploration fascinant qui m'interpelle tout particulièrement moi, analyste car il met en lumière de nombreux aspects de la psyché humaine. Dans cet article, nous allons examiner la question de l'argent en psychanalyse et explorer les différentes façons dont il est abordé dans le cadre thérapeutique.

L'argent en psychanalyse

L'argent occupe une place importante dans la vie de chacun car il est associé à la sécurité, à la réussite et à la satisfaction des besoins matériels. Dans le contexte psychanalytique, il est considéré comme un élément symbolique complexe qui peut révéler des conflits inconscients, des désirs refoulés et des dynamiques relationnelles. Les analystes cherchent à comprendre la signification profonde que leurs patients attribuent à l'argent et comment cela peut influencer leur bien-être psychologique.

L'une des façons dont l'argent est étudié en psychanalyse est à travers le concept de la valeur symbolique. Pour Freud, l'argent est un substitut universel des désirs et des pulsions, représentant souvent des aspects plus profonds et inconscient de notre psyché. Un exemple , une personne qui a grandi dans un environnement où l'argent était rare et source de conflits peut développer des attitudes ambivalentes à l'égard de l'argent, allant de la peur de la pauvreté à l'obsession de l'accumulation de richesses.

L'argent est également étroitement lié aux notions de pouvoir et de contrôle et dans une relation thérapeutique il peut ainsi devenir un élément de transfert et de contre transfert significatif. Par exemple, le paiement des honoraires peut susciter des sentiments de dépendance, de gratitude ou de ressentiment chez le patient/l'analysant. D'autre part, le thérapeute peut être confronté lui même à de véritables dilemmes éthiques lorsqu'il s'agit de fixer ses tarifs, de gérer les questions de remboursements s'il y a lieu ou encore de faire face à des patients qui expriment des attentes financières déraisonnables. La dimension économique de la psychanalyse est également marquée par la question de l'accès aux soins, notre métier est avant tout centré sur l'aide à l'autre.

Historiquement, la psychanalyse a souvent été perçue comme une thérapie réservée aux privilégiés financièrement, en raison de son coût élevé et de sa durée souvent prolongée, cela soulève des questions sur l'équité et la justice sociale dans l'accès aux soins psychanalytiques ainsi que sur les conséquences de cette dynamique financière sur la diversité des patients/analysants et des thérapeutes, tout le monde a le droit d'accéder à des soins et actuellement les prix restent en accord avec les dispositions de chacun. Par ailleurs, la psychanalyse a également examiné les comportements liés à l'argent tels que les dépenses excessives, l'avarice ou la dépendance financière.

Ces attitudes peuvent être étudiées à travers le prisme des mécanismes de défenses psychologique, tel que la sublimation, la régression ou la répétition. Comprendre les motivations profondes derrière ces comportements peut aider les patients à développer une relation plus saine avec l'argent et à surmonter leurs difficultés financières.Il convient de noter que les approches psychanalytiques d'argent ne sont pas uniformes et peuvent varier en fonction des théoriciens et des écoles de pensée. Certains analystes considèrent l'argent comme un aspect central de la vie psychique tandis que d'autres le voient davantage comme un symptôme ou un reflet des dynamiques psychologiques sous-jacentes.

Le domaine de l'avoir est celui par lequel nous nous encrons dans l'existence. Le nourrisson ne s'interroge pas sur son être, la vie psychique du bébé pendant les premières semaines est d'un caractère narcissique et régie par le principe du plaisir et de la douleur, il évolue dans la sphère de l'avoir, c'est à dire avoir faim, avoir soif ou souffrir du manque, de l'absence de sa mère. A l'âge adulte, cette problématique se déplace sur l'argent, représentant par excellence du domaine de l'avoir, posséder. Au delà de sa fonction rationnelle d'instrument de mesure, de moyen d'échange, l'argent possède des significations inconscientes pour chacun de nous. On ne comprend des comportements tel que l'avarice pathologique ou le besoin de thésauriser qu'en se référant à certaines peurs de manquer, vécues dans la petite enfance.

Comment notre relation à l’argent nous affecte-t-elle ?

Pour une part, notre relation à l'argent est animée par des fantasmes élaborés lors des phases orales et anales du développement psycho affectif. La relation de chacun à l'argent fait partie intégrante de la doctrine psychanalytique ; elle relève de ce que le praticien peut décrypter en toute quiétude, la théorie des stades libidinaux lui sert de support. A l'époque Freud a surtout théorisé le rapport entre l'argent et le stade anal mais ce dernier n'explique pas tout. En effet, au stade oral, phase la plus primaire du développement qui est aussi la première phase de la sexualité de l'enfant, le nourrisson se sent particulièrement démuni et impuissant, sa dépendance le conduit à rêver d'un "sein" inépuisable pourvoyeur permanent de lait qui lui permettrait d'échapper au manque, le paradis en quelque sorte. Ce type de fantasme oraux se retrouve d'ailleurs chez les gens qui courent après l'argent ou qui veulent brasser des sommes gigantesques.

Dans l'inconscient, l'argent est pour eux, l'équivalent d'un sein toujours à disposition. Ainsi une quête effrénée d'argent peut se lire comme la conséquence d'un sevrage trop brusque nourrissant les regrets de cette abondance perdue, toute au long de notre vie nous sommes amenés à retrouver cet état de bien être connu de la toute première enfance où la relation mère enfant était d'une totale fusion. La mère nourricière qui remplit le ventre de son enfant afin de s'assurer de son bien être, il est ainsi plus dans le besoin, elle a répondu à son désir.

L'essentiel se joue aussi et pour rejoindre Freud, pendant la phase anale, celle où les enfants apprennent à contrôler leur défécation et où les tensions pulsionnelles se déchargent alors principalement par ce mécanisme, mais le plaisir de la défécation n'est pas l'unique gain retirable du contrôle des sphincters. L'enfant, peut aussi trouver du plaisir à retenir ses selles, elles représentent le premier cadeau équivalent de l'argent : les donner (expulsion) ou les garder (rétention), ces mécanismes préfigurent l'avarice ou la prodigalité, l'avare, lui, retient son argent, il ressemble plutôt au jeune enfant dont la rétention obstinée lorsque la mère l'assoie sur le pot, le protège contre la menace imaginaire d'être complètement vidé de sa substance. Enfin, au cours de la phase phallique, l'enfant ne connait qu'un seul organe génital, on détient ou on ne détient pas le phallus, de même on possède ou on ne possède pas d'argent ; et l'on devient arrogant ou envieux.

Ainsi, nous comprenons que l'argent n'est pas une chose comme une autre, il appartient également au registre du langage, nous faisons crédit à celui qui est de parole, la crédibilité du discours soutient le crédit financier, il n'existe pas en dehors de l'échange entre êtres humains. Posons nous la question de l'argent en analyse car je pense qu'elle n'est pas souvent abordée en tant que telle et qu'elle présente encore des tabous chez chacun de nous. Pourquoi cette analyse a un prix et qu'est ce que revêt ce prix symboliquement ? L'argent versé par le patient fait-il partie intégrante de la cure? Je crois que la situation psychanalytique est par essence profondément dissymétrique, l'analysant parle et, selon la règle fondamentale dit tout ce qui lui passe par la tête, c'est la libre association, tandis que l'analyste se tait la plupart du temps ou fait des interventions furtives mais ne dit jamais rien de lui. Que dit la théorie et quelles sont les pratiques ?

Dans l'enseignement rêvé du psychanalyste, Freud met l'accent sur les connaissances qui assurent le symbolique, au détriment du savoir anatomique et physiologique qui attribue à la médecine un statut de science. Le psychanalyste doit avoir en sa possession les atouts pour devenir le gardien du symbolique et ainsi assurer le crédit de sa parole. De cette façon, il peut monnayer sa pratique, la psychanalyse construit un savoir qui se veut objectif. Les rapports des hommes avec l'argent sont alors décryptés avec assurance. C'est la théorie des stades qui entrent en jeu, elle décrit la libido chez l'enfant, détermine l'inscription de celle-ci sur le corps, la prééminence en fonction de l'âge, de telle ou telle zone érogène, cette porte d'entrée du monde extérieur et de ses objets. Dans cette perspective, l'argent et non la monnaie est considéré comme l'objet générique, celui qui rassemble tous les objets pris ou donnés, ingérés ou excrétés, assimilés ou rejetés, ceux qui entrent ou qui sortent, avant de devenir objets d'échanges dans un espace commun où la présence peut être partagée.

L'argent en psychanalyse

C'est donc un véritable engagement personnel et si les séances étaient remboursées? Pourraient elles avoir la même valeur symbolique? Pourrions nous autant nous livrer à une telle verbalisation des affects, le transfert pourrait-il avoir lieu? Personnellement, je ne pense pas, la séance a un prix, a ce prix, et nous sommes conditionnés en quelque sorte avec ce prix à nous livrer. La symbolique de l'argent au sein du couple : C'est bien connu dans le langage courant, quand on aime, on compte...ou on compte pas ? Instrument de valorisation et de pouvoir, l'argent ne facilite guère la paix des ménages et révèle même des conflits, la symbolique y est, très puissante. Avec la sexualité c'est l'un des sujets épineux au sein du couple, être généreux ou avare, peu de couples s'entendent parfaitement sur ce sujet.

L'argent comme la sexualité, a des fonctions affectives et symboliques qui vont bien au delà de la satisfaction des besoins, et quand l'argent devient source de conflits, il faut remonter loin derrière pour en comprendre l'origine. Anciennement, et dans nos sociétés patriarcales, c'est l'homme qui travaillait dans le couple et qui ramenait l'argent au sein de la famille, il pouvait ainsi faire prévaloir de sa toute puissance en brandissant sa fiche de paie comme un gage de pouvoir et de valorisation au yeux de la société et dans son couple. La femme, quant à elle, vouée aux tâches ménagères et à l'éducation des enfants pâtissait de cette image peu valorisante, bien que s'occuper de son foyer soit quand même un travail nous sommes d'accord. Dans nos sociétés actuelles et modernes, la situation change et on observe une certaine inversion des rôles entre hommes et femmes.

Cette nouvelle donne, pousse de nombreuses femmes à prendre leur revanche sur les hommes, une revendication phallique dirons nous, féminine assumée, "l'homme, c'est moi" déclarent-elles, un fantasme qui demeure souvent inconscient mais qui insidieusement conduit à une dévirilisation du partenaire, voire une sorte de castration n'ayons pas peur des mots. Quand un homme gagne moins on assiste par ce renversement des rôles à une infantilisation de l'homme par la femme qui le réduit à un objet, cela reviendrait à dire :"c'est moi qui gagne plus donc c'est moi qui décide", véritable enjeu de pouvoir dominant/dominé. Comme discuté dans ce thème, il est évident que toute cette problématique remonte à une origine infantile celle de la symbolique entre argent et excrément, première notion d'échange et de cadeau de l'enfant envers la mère. 

Dans la psychanalyse, la monnaie inscrit dans la réalité de la cure la dimension de l'autre, elle supporte la croyance, lorsque l'on est en analyse, on est sur le marché de l'interprétation, on ne fait pas ses courses au supermarché mais bel et bien, on entreprend cette étrange pratique qu'est une analyse. On questionne en nous ce qui est au-delà de nous et cela implique de renoncer aux évidences, accepter les aléas de la monnaie, est une trace d'abandon, le paiement est la forme active que prend l'analysant au regard de la responsabilité de son histoire, nous venons chercher ce qui nous manque et cela a un certain prix.

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Écrit par

Caroline Clini

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Bibliographie

  • S. Freud (1908). Caractère et érotisme anal. Névrose psychose et perversion. Paris PUF. 
  • S. Ferenczi (1970). Ontogénèse sur l'intérêt pour l'argent. Payot. 
  • Martin, P (1984). L'argent et la psychanalyse. Navarin. 

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